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— J’avais appris que des doutes s’étaient élevés à propos de l’opinion de Nicolas Copernic sur le mouvement de la Terre et la stabilité du Soleil, et voulant m’assurer de ne soutenir que des opinions saintes et catholiques, j’étais venu me renseigner sur ce qu’il convenait de soutenir en la matière.

— Êtes-vous venu à cette époque parce qu’on vous avait convoqué, et, dans ce cas, quelle était la raison de cette convocation ?

— En 1616, je suis venu à Rome de moi-même, sans avoir été convoqué, et pour la raison que j’ai indiquée, répondit fermement Galilée, comme s’il rectifiait une erreur d’un élève durant un cours.

Maculano hocha la tête et Galilée poursuivit :

— J’ai discuté de la question avec certains cardinaux qui supervisaient le Saint-Office à l’époque, surtout avec les cardinaux Bellarmino, Aracoeli, San Eusebio, Bonsi et d’Ascoli.

— Dites de quoi vous avez plus spécifiquement discuté avec lesdits cardinaux.

Galilée prit une profonde inspiration.

— Ils voulaient être informés de la doctrine de Copernic, son livre étant très difficile à comprendre pour ceux qui ne sont pas mathématiciens ou astronomes de métier. En particulier, Leurs Éminences voulaient comprendre la disposition des orbes célestes selon l’hypothèse copernicienne : pourquoi il place le Soleil au centre des orbites des planètes en postulant que Mercure d’abord, puis Vénus, puis la Lune en mouvement autour de la Terre, et enfin Mars, Jupiter et Saturne se meuvent toutes autour de lui. Et en ce qui concerne le mouvement, Copernic pose le Soleil immobile au centre et fait tourner la Terre sur elle-même et autour du Soleil, c’est-à-dire sur elle-même sous l’effet de sa rotation diurne et autour du Soleil sous l’effet de sa révolution annuelle.

Maculano observait Galilée très attentivement, mais le vieil homme disait tout cela aussi calmement que possible.

— Exposez également comment cette affaire fut conclue.

— Il fut déterminé par la Sacrée Congrégation de l’Index que cette opinion, prise en son sens absolu, était incompatible avec les Saintes Écritures et ne pouvait donc être admise qu’ex suppositione, répondit Galilée, utilisant là une formule latine qui avait un sens théologique et légal précis, avant d’ajouter : Comme Copernic le fait lui-même.

C’était le premier mensonge de Galilée sous serment. Copernic avait clairement déclaré à plusieurs reprises, dans ses livres, qu’il considérait son explication du mouvement planétaire comme étant à la fois mathématiquement opportune ainsi que littéralement vraie dans le monde physique. Galilée le savait. Et il était très possible que Maculano le sût également.

Quoi qu’il en soit, Maculano écarta l’argument et articula lentement :

— Dites ce que le Très Éminent cardinal Bellarmino vous a notifié au sujet de ladite décision. Vous a-t-il déclaré autre chose à ce sujet, et, dans ce cas, quoi d’autre ?

Galilée répondit fermement :

— Monseigneur le cardinal Bellarmino m’a informé que ladite opinion de Copernic pouvait être soutenue en tant que simple hypothèse, ainsi que Copernic lui-même l’avait fait. Son Éminence savait que je soutenais cette opinion ex suppositione, c’est-à-dire à la manière de Copernic.

Trois fois le mensonge, comme Pierre lorsqu’il avait renié le Christ. Et maintenant Maculano fronçait lourdement les sourcils. Mais Galilée continua. Il cita la lettre que Bellarmino avait écrite au père maître Foscarini, provincial de l’ordre des carmélites, au terme des réunions de 1616 ; Galilée avait apporté une copie de la lettre avec lui, et la tira à présent de sa petite pile de documents pour la lire :

— « Je dis qu’il me semble que Votre Révérence et le signor Galilée procédez prudemment en vous contentant de parler ex suppositione et non de façon absolue. »

Maculano évacua l’argument d’un haussement d’épaule.

— Mais que fut-il décidé et que vous fut-il notifié ensuite à vous-même en ce mois de février 1616 ?

Galilée répondit rapidement :

— Au mois de février 1616, le cardinal Bellarmino m’informa que, l’opinion de Copernic, prise en son sens absolu, étant contraire aux Saintes Écritures, elle ne pouvait être ni soutenue ni défendue, mais qu’il était permis en revanche de la considérer comme une hypothèse et d’en faire ainsi usage. En conformité de quoi je détiens un certificat de ce même cardinal Bellarmino, rédigé au mois de mai, le 26 de l’an 1616, où il est spécifié que l’opinion de Copernic ne peut être soutenue ni défendue, parce qu’elle s’oppose aux Saintes Écritures. Je présente d’ailleurs une copie de ce certificat…

Sur quoi il montra à Maculano une feuille de papier comprenant douze lignes et ajouta :

— L’original de ce certificat, je l’ai apporté ici, à Rome, et il est entièrement rédigé de la main du cardinal Bellarmino.

Maculano prit l’exemplaire et le fit entrer comme preuve dans le dossier, l’enregistrant comme Pièce à conviction B. Son visage était impassible ;on ne pouvait dire si l’existence de cette lettre était nouvelle pour lui ou non. Assurément, un certificat signé de Bellarmino permettant à Galilée de discuter de la théorie de Copernic ex suppositione paraissait constituer une pièce à conviction inattaquable, prouvant que si Galilée avait écrit quelque chose d’hypothétique au sujet de Copernic, c’était avec l’autorisation de l’Église ; ce qui voudrait dire que l’accusation qui l’avait amené ici était incorrecte. Ce qui rendrait le Saint-Office coupable d’une erreur – voire d’une attaque non fondée, maligne.

Maculano n’eut pas l’air troublé pour autant. Il demanda à Galilée comment Bellarmino l’avait mis en garde, et si quiconque y avait assisté. Galilée décrivit la conversation dans les appartements de Bellarmino, incluant Seghizzi et les autres dominicains qui s’étaient trouvés là.

— Si on vous faisait maintenant lecture de ce qui vous fut dit et ordonné par cette injonction, vous en souviendriez-vous ? demanda Maculano.

— Je ne me rappelle pas qu’on m’ait dit autre chose, répondit Galilée, que cette insistance mettait vaguement mal à l’aise. Et je ne sais si je pourrais me souvenir de ce qui m’a été dit alors, même si on m’en faisait la lecture.

Maculano lui tendit l’un de ses propres documents, dont il lui dit que c’était l’original de l’injonction qui lui avait été signifiée par Bellarmino.

— Vous voyez, dit-il pendant que Galilée la parcourait rapidement, que cette injonction, à vous intimée en présence de témoins, spécifiait que vous ne pouviez d’aucune façon soutenir, défendre ou enseigner ladite opinion de quelque façon que ce soit. Vous souvenez-vous comment et par qui cela vous fut ordonné ?

Le teint rougeaud de Galilée avait pâli. Il n’avait jamais vu ce document auparavant, et ignorait son existence. Sans doute un enregistrement de l’avertissement qui lui avait été donné au cours de la réunion, et qui lui interdisait même d’enseigner Copernic, que ce soit par écrit ou oralement. L’interdiction de l’enseigner ou d’en discuter ne se trouvait pas dans le certificat que Bellarmino avait transmis à Galilée.

Cela dit, cette nouvelle injonction n’était signée ni par Bellarmino, ni par qui que ce soit d’autre. Galilée le remarqua, et vit aussi qu’elle avait été rédigée au dos d’un autre document. Ce qui, ajouté à l’absence de signature, lui mit la puce à l’oreille. Seghizzi avait dû la joindre au dossier à l’insu de Bellarmino. À moins que ce ne fût un faux, rédigé ultérieurement, sur le dos d’un document portant une date de l’époque, et glissé parmi d’autres pour donner du poids à un éventuel dossier monté par la suite contre lui. Il avait pu être écrit la semaine précédente.