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Galilée regarda le document des deux côtés, d’un air interrogateur, le tournant et le retournant avec ostentation. Il commença à répondre très lentement, comme s’il s’aventurait en terrain piégé. Pour la première fois, il faisait dans ses réponses l’aveu de certaines incertitudes. Le fait qu’il puisse seulement parler après un tel choc était encore un témoignage de sa vivacité d’esprit.

— Je n’ai pas souvenance que ce précepte m’ait été intimé autrement que par la voix de monseigneur le cardinal Bellarmino. Et je me rappelle que l’injonction était « de ne pas soutenir ni défendre », mais il se peut qu’elle ait comporté également l’expression « et de ne pas enseigner ». Je ne me souviens pas que la formule « de quelque façon que ce soit » ait été prononcée, mais elle le fut peut-être – en fait, je n’ai plus pensé à ces éléments ni ne me suis efforcé de les retenir, car j’ai reçu quelques mois plus tard ce certificat, daté du 26 mai, que je viens de présenter : le cardinal Bellarmino m’y donnait l’ordre de ne plus soutenir ni défendre ladite opinion. Pour ce qui est des deux autres formules dudit précepte qui viennent de m’être notifiées, à savoir de ne pas enseigner et de quelque façon que ce soit, je n’en ai conservé aucun souvenir, je suppose, pour la simple raison qu’elles n’apparaissent pas dans ledit certificat, sur lequel je me fonde, et que j’ai gardé pour mémoire.

C’était ce qu’il pouvait dire de mieux, et c’était d’ailleurs une assez bonne défense. Après tout, il avait une injonction signée alors que l’Inquisition n’en avait pas. Il gonfla les lèvres et regarda Maculano, encore un peu pâle, et le front luisant de sueur. Il ne lui était probablement pas venu à l’esprit avant ce moment qu’ils avaient pu fabriquer de fausses pièces à conviction pour le faire condamner. C’était une funeste nouvelle.

Maculano laissa passer un instant de silence. Puis :

— Après que l’injonction susdite vous fut signifiée, fit-il avec un geste en direction de son document, et non de celui de Galilée, avez-vous reçu une autorisation quelconque d’écrire ce livre identifié par vous-même comme étant le vôtre et que vous avez par la suite envoyé à l’imprimeur ?

— Après l’injonction susdite, répondit Galilée avec un geste en direction de son propre certificat, et non de celui de Maculano, je n’ai pas demandé l’autorisation d’écrire ce livre, que j’ai identifié, car il ne me semblait pas qu’en l’écrivant j’agissais contrairement, et encore moins désobéissais au commandement de ne pas soutenir, défendre ni enseigner cette opinion, puisque après tout je la réfutais.

Maculano, qui avait les yeux baissés vers l’injonction, releva brusquement la tête. Regardant Galilée d’un air incrédule, il commença à parler, s’interrompit, porta un doigt à ses lèvres. Puis il baissa à nouveau les yeux sur les papiers posés sur la table et les regarda un long moment. Il ramassa les pages couvertes par ses notes.

Finalement, il releva les yeux. Son expression était difficile à déchiffrer, parce qu’il semblait à la fois satisfait et mécontent que Galilée ait été assez audacieux ou stupide pour mentir froidement alors qu’il était sous serment devant le Saint-Office de l’Inquisition. Jusque-là, Galilée avait dit que son livre présentait la vision copernicienne comme une supposition, comme l’une de deux explications aussi possibles l’une que l’autre. C’était déjà discutable. Et maintenant, il prétendait avoir en fait réfuté la vision copernicienne ! Dans le Dialogue, un livre contenant des centaines de pages de critique édulcorée et de mépris acerbe adressés au pauvre Simplicio ! C’était un argument tellement insoutenable qu’il pouvait être considéré comme insultant. Le livre lui-même servirait facilement de preuve du mensonge, et donc… Peut-être la colère de Maculano ne venait-elle pas tant d’être insulté, mais de la façon dont Galilée les avait mis tous les deux dans une situation très périlleuse, ayant dit une chose si dangereuse. Il regarda Galilée pendant un long moment, suffisamment pour que Galilée saisisse lui aussi les possibles répercussions de sa froide colère.

Finalement, Maculano reprit la parole. Il revint en arrière, comme pour offrir à Galilée une autre chance d’éviter une erreur aussi spectaculaire.

— Avez-vous obtenu une licence d’impression pour ce même livre, et si oui de qui, et pour vous-même ou pour quelqu’un d’autre ?

Galilée, gagnant du temps afin de réfléchir, se lança dans une longue description, détaillée et d’une cohérence impressionnante, des échanges complexes qu’il avait eus avec Riccardi et le Saint-Office à Florence. Le livre avait été approuvé par eux tous. À quoi il ajouta un compte rendu détaillé de la chaîne alambiquée d’événements à l’issue desquels le livre avait fini par être imprimé à Florence plutôt qu’à Rome, mettant ce changement sur le compte de la survenue de la peste plutôt que sur la mort de Cesi. C’était un bien petit mensonge par rapport à l’autre, et peut-être pas important ; bien qu’il soit vrai que depuis la mort de Cesi les Lynx étaient tombés en grande défaveur auprès des jésuites, de sorte qu’en un tel moment et en un tel lieu mieux valait peut-être éviter de parler de lui.

Après peut-être dix minutes passées à revisiter en paroles les faits des deux années écoulées – un véritable témoignage de sa puissance de pensée, car il devait concentrer sa réflexion sur d’autres choses, Galilée conclut :

— L’imprimeur à Florence l’a imprimé en observant toutes les instructions du père maître du Sacré Palais.

Maculano hocha la tête. Il reposa une troisième fois, implacablement, sa question :

— Quand vous avez demandé au maître du Sacré Palais la licence d’imprimer ledit livre, avez-vous parlé à ce même maître du Sacré Palais de l’injonction qui vous avait été précédemment signifiée, eu égard à la directive susmentionnée de la Sacrée Congrégation ?

Galilée, les yeux légèrement exorbités, déglutit et reprit lentement la parole :

— Il se trouve que je n’ai pas discuté de ce commandement avec le maître du Sacré Palais lorsque je lui ai demandé cet imprimatur, car il ne m’a pas paru nécessaire d’en faire état, n’ayant pas le moindre doute en la matière ; en effet, je n’avais dans ce livre ni maintenu ni défendu l’opinion que la Terre se meut et que le Soleil est stationnaire, mais m’étais élevé au contraire contre le point de vue copernicien en montrant que les arguments de Copernic sont faibles et peu concluants.

Il s’en tenait au mensonge.

Le silence se fit dans la pièce. Pendant un moment, ils parurent tous figés.

Maculano reposa ses notes et la copie de l’injonction. Il regarda le père Sinceri ; regarda à nouveau Galilée. Son silence se faisait de plus en plus long ; il s’empourpra légèrement. Galilée tint bon et ne détourna pas le regard, ne cilla pas, n’étendit pas les mains. Il resta rigoureusement immobile. Son visage était pâle, c’était tout. Pendant ce qui parut un moment infini, tout le monde resta sans bouger, comme s’ils venaient tous de sombrer dans l’une des syncopes de Galilée.

— Non, dit Maculano.

Il fit un signe en direction de la nonne.

Cette déposition ayant pris fin, et le signor Galilei ayant été assigné à une certaine chambre dans le dortoir des officiaux sis au palais du Saint-Office, en lieu et place de prison, avec l’injonction de ne pas sortir sans permission spéciale, sous peine d’un châtiment à décider par la Sacrée Congrégation ; et il reçut l’ordre de signer au bas et l’obligation de jurer de garder le silence.