Moi, Galileo Galilei, j’ai déclaré ce qui précède.
L’écriture de sa signature était très tremblante. Le temps qu’il ait fini de griffonner les lettres de la sentence, Maculano avait quitté la pièce.
Le fait que Galilée prétende, alors qu’il était sous serment, à la fois légal et sacré, avoir essayé dans son Dialogo de réfuter le système du monde copernicien stupéfia tous ceux qui en entendirent parler. Maculano ne s’y attendait pas ; personne n’aurait pu s’y attendre, c’était tellement contraire à toutes les preuves en main, là, sur pratiquement chaque page.
À quoi Galilée s’attendait-il de leur part ? Qu’ils acceptent un mensonge patent ? Pensait-il qu’ils n’étaient pas en mesure de dire si c’était un mensonge, ou que, le sachant, ils n’en diraient rien ? Ou pensait-il que l’existence de quelques faibles déclarations dans ses dernières pages oblitéreraient le travail des trois cents précédentes ? Qui aurait pu être aussi stupide ?
Personne. Personne ne pouvait être stupide au point de ne pas comprendre l’argument du Dialogo. Galilée s’était montré sans ambiguïté. Comme dans tous ses écrits, il s’était acharné à faire preuve de clarté et à se montrer persuasif, afin de l’emporter lors des débats avec ses ennemis philosophiques grâce à une logique sans faille et à des exemples éloquents. Ses dons d’écrivain avaient été mis à contribution, et en italien de Toscane, qui mieux est, de sorte que n’importe qui pouvait le lire, et pas seulement des érudits qui connaissaient le latin. Tout le monde pouvait voir que le livre avait un objectif clair.
La commission spéciale de trois clercs qu’Urbain avait chargée de produire un rapport sur le livre était maintenant réunie, et ils étaient unanimes : ils jugeaient que c’était un plaidoyer en faveur des théories coperniciennes – il n’était nul besoin d’experts jésuites pour cela. L’évaluation du premier commissaire, Oreggi, tenait en un unique paragraphe, où il concluait : L’opinion est soutenue et défendue, et enseignée, que la Terre se meut et que le Soleil reste immobile, ainsi qu’on le déduit de toute l’intention de l’œuvre.
Le deuxième commissaire, Melchior Inchofer, était un prêtre de seconde zone, livide, colérique, arraché aux profondeurs internes du Saint-Office de l’Index spécialement pour ce travail. Son rapport sur le livre de Galilée était une vitupération qui remplissait sept pages serrées, au fil desquelles il se plaignait amèrement que Galilée ridiculisait ceux qui sont fermement convaincus de l’interprétation commune des Écritures du mouvement du Soleil comme s’ils étaient étroits d’esprit, incapables de saisir la profondeur du problème, des pauvres d’esprit presque stupides. Il ne considère pas comme humains ceux qui en tiennent pour la stabilité de la Terre.
Cette dernière déclaration faisait allusion à l’une des plaisanteries de Galilée, un passage du livre où il disait que certains des arguments anticoperniciens n’étaient pas dignes de ce que les hommes appelaient les homo sapiens : Des animaux rationnels, écrivait-il. La gent (animale), oui, mais pas l’espèce (rationnelle). Inchofer n’avait pas apprécié la plaisanterie.
Le rapport du troisième commissaire, un certain Zaccaria Pasqualigo, était moins chargé de colère que celui d’Inchofer, mais encore plus détaillé, et en fin de compte plus dévastateur. Il décrivait le Dialogo argument par argument, soulignant les erreurs de fait et de logique, dont la meilleure : Il essaie de montrer que, compte tenu de l’immobilité de la Terre et du mouvement du Soleil le long de l’écliptique, le mouvement apparent des taches solaires ne peut être conservé. Cet argument est basé en guise de prémisses sur ce qui existe de facto et infère en conclusion ce qui peut exister de facto.
En d’autres termes, une tautologie. Quelle joie pour un théologien d’identifier une tautologie dans le raisonnement prétendument supérieur de Galilée !
Les rapports des trois commissaires se trouvaient donc là, sur les bureaux du Vatican, tels les clous de son cercueil, avec la transcription manuscrite de la première déposition que la nonne avait effectuée. Galilée contre l’évidence de son propre livre. Une affirmation sous serment que le blanc était noir. C’était tellement criant que cela pouvait même être pris pour de l’insolence, une injure à la cour. Il n’était pas stupide, il devait suivre une espèce de plan – mais lequel ? Et comment l’Inquisition devait-elle réagir ?
Plusieurs jours s’écoulèrent sans qu’il se passe apparemment quoi que ce soit, alors qu’en coulisse les machinations du Saint-Office rongeaient la situation avec des claquements de dents quasiment audibles d’un bout à l’autre de la ville. L’accusé était aux arrêts, au Vatican, et n’avait le droit d’aller nulle part. Son unique domestique était seul autorisé à l’approcher. Et plus le temps passait, plus sa tactique suprêmement risquée, quelle qu’elle soit, devait lui inspirer d’inquiétude.
Pendant ces jours hors du temps, qui peu à peu faisaient des semaines, Niccolini rapporta ce qu’il pouvait à Cioli et au grand-duc Ferdinand. Il s’était enquis auprès du secrétaire de Maculano de ce à quoi on pouvait s’attendre. L’homme avait répondu que l’affaire était en cours d’étude par Sa Sainteté le pape, mais que Galilée était traité de façon extraordinaire et agréable, étant aux arrêts au Vatican plutôt qu’au château Saint-Ange, où étaient généralement emprisonnés ceux qui étaient jugés par l’Inquisition. Ils permettent même à ses serviteurs de s’occuper de lui, de dormir sur place et, qui plus est, d’aller et venir comme il le souhaite, et ils autorisent mes propres serviteurs à lui apporter à manger dans sa chambre. Mais le signor Galilei a dû recevoir l’interdiction de discuter ou de révéler le contenu du contre-interrogatoire, puisqu’il n’a pas voulu nous dire quoi que ce soit, même pas s’il pouvait ou non parler.
D’autres jours s’écoulèrent. La situation commençait à ressembler à une impasse. En sommant Galilée de venir à Rome affronter son jugement, Urbain ordonnait à l’Église de rendre un jugement contre lui ; c’était compris de tous, et notamment de Galilée. Raison pour laquelle il s’était donné tant de mal pour esquiver la convocation. Maintenant qu’il était là, un jugement d’une sorte ou d’une autre allait être rendu. Il n’était pas possible de dire que l’Église avait fait une erreur et donc que Galilée était innocent de toute mauvaise action. C’était pourtant ce qu’il prétendait s’être passé.
Ne se rendait-il pas compte qu’il pouvait gravement envenimer la situation ?
D’autres jours passèrent. L’Église avait l’éternité devant elle. L’archevêque de Dominis avait été retenu trois ans avant de mourir après un interrogatoire. Giordano Bruno avait été retenu huit ans.
La chambre de Galilée se trouvait dans l’un des petits dortoirs du Vatican réservés aux prêtres qui travaillaient au Saint-Office. Le dortoir avait été évacué pour la durée de sa détention, de sorte que Galilée avait toute la vaste salle venteuse pour lui seul. Son serviteur Cartaphilus était toujours à ses côtés, mais aucune de ses connaissances, aucun de ses amis romains n’était autorisé à lui rendre visite, et aucun des clercs du Vatican ne venait le voir non plus. C’était très proche de l’isolement carcéral.
Les quartiers proprement dits étaient corrects, mais les heures s’étiraient et se faisaient de plus en plus longues. Encore une fois, Galilée avait tout le temps de réfléchir – trop de temps, ce qui était le but, évidemment. Il perdit l’appétit et par conséquent se retrouva avec des problèmes de digestion et d’excrétion. Il dormait mal, d’un sommeil haché. Il avait toujours été insomniaque, d’autant plus dans les périodes de crise. Au cœur de ces froides nuits de printemps, Cartaphilus était souvent appelé auprès de lui, et prié d’apporter une cuvette d’eau chaude, ou un pain. À la lumière des bougies, Galilée dardait sur lui ses yeux injectés de sang comme depuis une grotte insondable. Une fois, Cartaphilus revint du petit brasero qu’il entretenait juste au-dehors du dortoir, tenant une cuvette d’eau fumante, pour découvrir que le vieil astronome était figé dans quelque chose qui ressemblait à une de ses syncopes.