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— Qu’y a-t-il encore ? demanda-t-il avec lassitude.

Ce n’était qu’une transe ou un rêve ordinaire, le vieil homme dormait debout. Il gémit une ou deux fois lorsque Cartaphilus l’aida à sortir de sa paralysie et lui plongea les mains dans l’eau chaude.

Dans ce temps suspendu, seize longues journées s’écoulèrent pendant lesquelles il ne se passa absolument rien, pour autant que pouvaient le dire ceux qui ne hantaient pas le bureau de Maculano. Évidemment, il y avait des espions partout, mais ils n’entendaient pratiquement rien pour le moment, et le peu qu’ils entendaient était contradictoire. Galilée pressait souvent Cartaphilus de chercher à en savoir davantage, et le vieillard avait bien essayé, mais il ne pouvait pas faire grand-chose depuis l’intérieur du Vatican. Au bout de trois ou quatre jours de réclusion, Galilée était à bout de nerfs. À la fin de la deuxième semaine, il était dévasté.

— Il faut que vous dormiez, maestro, dit Cartaphilus pour la millième fois.

— J’ai le certificat de Bellarmino en personne, signé de sa main, qui m’interdit de défendre la conviction mais pas d’en débattre ex suppositione.

— En effet.

Tout cela avait été dit au moins mille fois.

— Alors que leur prétendue injonction n’a été signée par personne. Elle était écrite au dos d’un autre document, une lettre portant la date de 1616. Je suis sûr que c’est un faux. Ils ont tiré un truc des dossiers de cette année-là et ils ont écrit dessus, probablement cet hiver, pour me piéger, parce qu’ils n’ont rien.

— Cela a dû vous faire un choc quand vous l’avez vu, dit Cartaphilus.

— Et comment ! Je n’en croyais pas mes yeux. Tout est devenu évident à l’instant où je l’ai vu. Leur plan, je veux dire.

— Et donc vous avez décidé de tout nier. Vous avez prétendu que votre livre était une réfutation de Copernic…

Galilée fronça les sourcils. Il savait parfaitement que l’affirmation était absurde et indéfendable. Cela avait dû être une réaction de panique, face à la soudaine apparition de la fausse injonction de Maculano. Peut-être regrettait-il cette réaction, maintenant. Seize jours, c’était long.

Cartaphilus continua :

— L’ambassadeur Niccolini vous avait bien conseillé d’abonder dans leur sens, de dire ce qu’ils voulaient entendre ? De leur permettre de vous flanquer une taloche sur l’oreille et de vous laisser partir ?

Galilée poussa un grognement.

Cartaphilus le regarda se débattre avec tout ça.

— Vous savez qu’ils ne peuvent admettre que c’était une fausse accusation.

Un autre grommellement, son grognement d’ours.

— Vous pourriez peut-être écrire au neveu du pape, suggéra le vieillard. Ne l’avez-vous pas aidé à obtenir son doctorat, et son poste à Padoue ?

— Si, dit sombrement Galilée.

Et au bout d’un moment, il ajouta :

— Apporte-moi du papier et de l’encre. Beaucoup de papier.

Même quand tout allait bien, les lettres de Galilée pouvaient être très longues. Celle-ci serait épaisse, mais pas autant que certaines autres ; le cardinal Francesco Barberini connaissait la situation.

Ainsi que Niccolini l’annonça à Florence, les domestiques de la Villa Médicis furent autorisés à traverser la ville et à apporter ses repas à Galilée tous les jours. Aussi n’était-il pas très difficile de faire passer des messages dans un sens et dans l’autre. L’information finit par arriver par ce canal, transmettant la réponse du cardinal Francesco Barberini à l’appel à l’aide de Galilée. Sa Sainteté était encore trop courroucée par l’affaire pour être approchée. Il allait falloir se contenter de suivre les procédures normales du Saint-Office. Compte tenu de la position adoptée par Galilée, impossible à croire – et qui constituait un affront à la procédure –, ce serait difficile. Heureusement, en dépit de tout cela, une lettre de Maculano à Francesco était récemment arrivée, qui disait clairement que Maculano essayait lui aussi de trouver une solution. Une copie manuscrite de la lettre originale était incluse, sous le linge qui protégeait une miche de pain dans un panier :

J’ai rendu compte aux Plus Éminents Seigneurs de la Sacrée Congrégation, et ils ont évoqué diverses difficultés concernant la manière de poursuivre cette affaire et de la mener à sa conclusion, car dans sa déposition Galilée a nié ce qui peut être clairement vu dans le livre qu’il a écrit, de sorte que s’il devait poursuivre dans sa posture négative il deviendrait nécessaire d’user d’une plus grande rigueur dans l’administration de la justice, et de moins de considération pour toutes les ramifications de cette affaire.

Ce qui voulait dire que s’ils devaient le torturer pour obtenir sa confession, ce ne serait pas seulement mauvais pour lui ; comme il était l’un des hommes les plus célèbres d’Europe, et cela depuis vingt ans, ce serait mauvais pour l’Église aussi. Et plus important encore, ce serait mauvais pour Urbain. Urbain avait fait à Galilée l’honneur de le considérer comme son scientifique particulier depuis de nombreuses années. Si la punition de Galilée était sévère, il serait évident pour tout le monde qu’Urbain avait été obligé de sacrifier un des siens pour complaire aux Borgia, ce qui l’affaiblirait encore davantage dans son combat contre les Espagnols. Aussi, dans son propre intérêt, Urbain devait faire en sorte que Galilée ne souffre pas trop – même si pour cela il devait lutter contre Galilée lui-même, qui avait menti de façon flagrante sous serment, devant le Saint-Office.

Quel était le but de Galilée ? Aurait-il pris tous ces risques pour amener la révélation de cette vérité sur Urbain ? Était-ce ce qu’il espérait ? Dans ce cas, c’était vraiment jouer à quitte ou double.

Finalement, j’ai proposé un plan, poursuivait Maculano, à savoir que la Sacrée Congrégation m’accorde l’autorité de traiter de façon extra-judiciaire avec Galilée, afin de lui faire comprendre son erreur, et, une fois qu’il l’aura reconnue, à l’amener à la confesser. La proposition paraissait au départ trop audacieuse, et il semblait qu’il n’y avait que peu d’espoir d’atteindre ce but tant qu’on suivait la route consistant à essayer de le convaincre par la raison ; cela dit, après que j’eus mentionné les bases sur lesquelles je faisais cette proposition…

Une base que Maculano n’identifiait pas dans la lettre, bien qu’il fut facile d’imaginer qu’il pensait à la menace de torture ; mais il se pouvait qu’il ait autre chose en tête. Quoi qu’il en soit, ainsi qu’il l’écrivait en conclusion de sa lettre au cardinal Barberini :

ils m’en ont donné l’autorité.

Cette fois, ce fut un entretien vraiment privé. Il n’y avait pas de scribe dans les parages, pas de transcription enregistrée, aucune espèce de témoin. Uniquement Maculano et Galilée, dans un petit bureau du dortoir près du Saint-Office ; toutefois, il aurait pu s’en trouver un dans le placard des domestiques, attendant que Galilée l’appelle, la possibilité d’entendre ce qui se disait dans la petite pièce ayant été depuis longtemps établie.