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— Mais ce n’était même pas le sujet du procès !

— Bien sûr que non. En plus, Sinceri intègre au certificat de Bellarmino toutes les interdictions de l’injonction qu’ils ont falsifiée, ce qui fait que la distinction que Galilée essayait d’opérer tombe à l’eau.

— Seigneur… Alors toute la défense de Sarpi est balayée, juste comme ça.

— Oui. Ils optent pour l’hérésie…

Cartaphilus réfléchit.

— Et Sinceri l’a envoyé à qui ?

— À Monsignor Paolo Bebei, d’Orvieto. Il vient de remplacer monseigneur Boccabella comme assesseur du Saint-Office. Boccabella, qui nous était favorable.

— Bref, encore un changement. Je veux dire, pour Sinceri, nous le savions déjà.

— Oui, mais je pensais que ça n’aurait pas d’importance. Il faut croire que j’avais tort.

— Donc, ils ont l’assesseur, et Sinceri. Et ils ont la Congrégation dans leur manche. Or le pape n’entend que ce que la Congrégation dit. Et il est toujours furieux.

— Comme d’habitude. De toute façon il aurait été dans tous ses états. On vient de publier encore un mauvais horoscope, dans les Avvisi. Maintenant il fait goûter toute sa nourriture. Il est parfaitement manipulé, que dire d’autre ?

Cartaphilus hocha la tête. Il regarda longuement les dalles de pierre en réfléchissant.

— Qu’allons-nous faire ? demanda Buonamici.

Cartaphilus haussa les épaules.

— Voyons ce qui arrivera lors de cette quatrième déposition. Je ne vois pas comment nous pourrions y échapper, de toute façon. En fonction de ce qui va se passer, nous aviserons. Il se peut que nous soyons obligés d’intervenir.

— Si nous le pouvons !

— Si nous le pouvons. Nous avons le cardinal Bentivoglio en place, ainsi que Gherardini. Ils devraient pouvoir nous aider, en cas de besoin. Bon. Tendez l’oreille, et découvrez ce que vous pouvez. Nous reprendrons contact juste après la quatrième déposition.

Et Cartaphilus repartit dans l’agitation de la nuit romaine.

Le 21 juin de l’an 1633, six semaines après sa troisième déposition, Galilée fut convoqué au Vatican pour se soumettre à un quatrième interrogatoire.

— Avez-vous quelque chose à ajouter ? demanda Maculano.

Galilée, s’en tenant à l’italien et à une attitude impassible qui dissimulait son irritation et sa peur, répondit :

— Je n’ai rien d’autre à déclarer.

Il y eut un long silence. Maculano passa un certain temps les yeux baissés sur ses notes, sur la table. Finalement, il dit, très lentement, comme s’il lisait :

— Soutenez-vous, avez-vous soutenu, et depuis combien de temps, que le Soleil est au centre du monde et que la Terre n’en est pas le centre, mais se meut aussi d’un mouvement diurne ?

Galilée hésita également avant de répondre. C’était une nouvelle ligne d’attaque, une direttissima. Alors qu’ils étaient censés avoir un accord.

Finalement il prit la parole :

— Il y a longtemps, c’est-à-dire avant la décision de la Sacrée Congrégation de l’Index, et avant que cette injonction m’ait été intimée, j’étais incertain et considérais les deux opinions, celle de Ptolémée et celle de Copernic, comme toutes deux discutables, en tant que l’une et l’autre pouvaient être vraies en nature. Mais après que ladite décision a été prise, assuré de la prudence des autorités, toutes mes incertitudes se sont dissipées, et j’ai tenu, et je tiens encore, comme véridique et indiscutable l’opinion de Ptolémée sur la stabilité de la Terre et le mouvement du Soleil.

Encore une fois, une déclaration plus que discutable sous serment.

Maculano tapota le gros exemplaire du Dialogue sur la table, pour souligner ses propos avec emphase :

— Vous êtes soupçonné d’avoir soutenu ladite opinion copernicienne après cette époque, à cause non seulement de la manière dont elle est discutée et défendue dans le livre que vous venez de publier, mais aussi par le fait même d’avoir écrit et fait imprimer ledit livre. Vous êtes donc requis de dire librement la vérité sur le point de savoir si vous soutenez ou avez soutenu cette opinion.

Vous êtes donc requis. Maculano semblait prendre ses distances par rapport à ces questions – et il avait intérêt, quand on voyait de quelle manière était rompu l’accord qu’il avait conclu. Ce n’étaient pas ses questions ;elles lui avaient été soufflées par l’un de ses supérieurs hiérarchiques. Galilée pouvait soit en tirer un réconfort, soit en concevoir une crainte nouvelle, selon l’aspect de la situation qu’il considérait. En attendant, il devait répondre très, très prudemment.

— En ce qui concerne la rédaction du Dialogue déjà publié, je ne me suis pas exprimé comme je l’ai fait parce que je tenais la doctrine copernicienne pour vraie, dit-il fermement. C’est plutôt parce que j’estimais de l’intérêt général d’exposer les raisons physiques et astronomiques qu’il est possible d’avancer pour un côté et pour l’autre ; j’ai essayé de montrer que ni l’une ni l’autre opinion n’ont une force de démonstration suffisante et qu’il est indispensable pour parvenir à une certitude en la matière de s’en remettre aux décisions de doctrines plus subtiles. C’est ce que l’on peut lire en maints passages du Dialogue.

Ce n’était pas la vérité vraie, mais que pouvait-il dire d’autre ? Son teint rougeaud avait viré au rouge betterave, et il jetait à Maculano des regards enflammés, comme s’il voulait le transpercer.

Maculano gardait les yeux rivés sur ses notes. Le procès lui passait maintenant bien au-dessus de la tête.

Galilée s’en aperçut et poursuivit :

— C’est pourquoi, pour ma part, je conclus, dit-il comme s’il étudiait l’affaire objectivement d’un point de vue extérieur, que je ne soutiens pas l’opinion de Copernic, et ne l’ai pas soutenue depuis que l’injonction de l’abandonner m’a été intimée.

Maculano marqua un silence et lut la feuille qu’il tenait comme s’il n’avait pas entendu la réponse de Galilée :

— Du livre lui-même, et des raisons avancées pour le côté affirmatif, nommément que la Terre se meut et que le Soleil est immobile, vous êtes présumé, ainsi qu’il a été déclaré, en tenir pour l’opinion de Copernic, ou du moins l’avoir soutenue au moment où vous avez écrit. Par conséquent, il vous est maintenant annoncé que, à moins que vous ne décidiez d’avouer la vérité, l’on aura recours aux remèdes de la loi et que l’on devra prendre contre vous les mesures appropriées.

Les instruments de torture furent étalés sur une table contre l’un des murs de la pièce. Tout cela était conforme aux lois rigoureuses qui régissaient l’Inquisition : d’abord les avertissements, puis la disposition des instruments de torture. Ce n’est qu’après cela, si l’accusé persistait à faire obstruction au jugement, que venait l’utilisation des instruments.

Selon le manuel de l’Inquisition « Sur la Manière d’interroger les Coupables par la Torture » : Le coupable ayant nié les crimes, et ces derniers n’ayant pas été pleinement prouvés, afin d’établir la vérité il est nécessaire d’user contre lui de moyens d’un examen rigoureux. La fonction de la torture est de compenser le manque de témoins, quand ils ne peuvent induire une preuve concluante contre le coupable.

Comme, par exemple, en ce moment. Mais Galilée ne pouvait pas reconnaître plus que ce qu’il avait préalablement admis sans se mettre lui-même en extrême danger d’aveu d’hérésie. Il était dos au mur.