Et puis, malheureusement, il était de plus en plus furieux contre Maculano, et contre ceux qui, au-dessus de Maculano, avaient ordonné ce mouvement ; cela se voyait à la façon dont sa nuque tournait au rouge brique, et dans la crispation de ses épaules. Quiconque avait jamais travaillé pour lui aurait aussitôt quitté la pièce.
Il parla entre ses dents, d’un ton sinistre, en détachant bien les mots :
— Je ne soutiens pas cette opinion de Copernic, et je ne l’ai pas soutenue après qu’il m’eut été ordonné par injonction de l’abandonner. Pour le reste, je suis là, entre vos mains. Faites ce qu’il vous plaira.
— Dites la vérité ! ordonna Maculano. Faute de quoi, nous aurons recours à la torture.
Galilée, qui n’avait pas idée de ce que le pape voulait qu’il avoue, se redressa.
— Je suis ici pour me soumettre, mais je n’ai pas soutenu cette opinion après que l’injonction m’a été intimée, comme je l’ai dit.
Silence dans la pièce.
Et comme rien d’autre ne pouvait être fait pour l’exécution de la décision, il signa et fut renvoyé à sa place.
« L’exécution de la décision », avait écrit la scribe. Laquelle décision – de le garder pour ce complément d’interrogatoire et de confession – devait être, en fin de compte, d’Urbain. Mais pourquoi cela avait été décidé, seul Urbain semblait le savoir.
Galilée fut à nouveau confiné dans les chambres du dortoir dominicain où il avait été retenu pendant le temps de ses trois premières dépositions. C’était mauvais signe, rétrograde et terrifiant. Il n’y avait pas moyen de dire ce qui allait lui arriver ensuite, ou quand. Quel que soit l’accord qu’ils avaient eu ou ce sur quoi ils s’étaient entendus, il n’en était manifestement plus question.
Il resta assis sur son lit, à regarder le mur, à souper du bout des dents tout en buvant pensivement son vin. Il s’allongea tard dans la nuit, et après s’être endormi il se mit à gémir et à geindre – cela dit, il gémissait et geignait souvent en dormant, quelles que fussent les circonstances. Il ignorait ce qu’était un sommeil paisible. Et ses insomnies étaient pires encore.
La Congrégation du Saint-Office était composée de dix cardinaux, et comme le Borgia était du nombre il n’était pas certain que la volonté d’Urbain déterminerait leur jugement. Le Borgia voulait tellement abattre Urbain que la possibilité que ce dernier fût empoisonné trottait dans quelques têtes, surtout celle d’Urbain. Il était tout à fait concevable que face à cette âpre hostilité Urbain fasse jeter Galilée au feu pour dégager la zone autour de lui afin de continuer le combat sans entraves.
Buonamici avait accès au Vatican la nuit, à cause de son travail pour le cardinal Barberini. À l’intérieur des murs de la sainte forteresse, il lui était possible de se déguiser en dominicain, et donc de circuler partout dans le domaine silencieux, y compris dans les couloirs menant à la chambre de Galilée. De là, il pouvait conduire Cartaphilus au-dehors, derrière Saint-Pierre, où ils pouvaient se fondre dans les ombres et aller visiter n’importe quelle chambre, en faisant attention.
— Ils sont encore en train de discuter, dit Buonamici à Cartaphilus, à voix basse. C’est plutôt mal engagé. Les jésuites sont implacables : Scaglia, Ginetti, Gessi et Verospi. Ils sont tous romains, et ils n’aiment pas les Florentins.
— Et le Borgia ?
— C’est leur chef, évidemment. Mais il est rentré à la Villa Belvedere dormir un peu.
— L’un des jésuites peut-il être retourné ?
— Non, je ne pense pas. Ils ne peuvent qu’être opposés aux cardinaux qui nous soutiennent. Mon maître Barberini, évidemment – il est vraiment hors de lui, parce que la solution qu’il préconisait a été repoussée, si bien qu’il passera auprès du grand-duc pour un menteur. Ensuite, Zacchia : je suis sûr qu’il refusera de signer une résolution avec laquelle il ne serait pas d’accord. Et Bentivoglio, aussi – et comme il est leur général, il pourra probablement obtenir une sentence de compromis, parce que s’il refusait de signer, ça la ficherait trop mal pour qu’ils aillent plus avant. Ça donnerait l’impression qu’Urbain ne veut pas en démordre, ce qui ne pourrait vouloir dire qu’une chose : qu’il a cédé devant le Borgia. Et cela, Urbain ne veut pas en entendre parler. Il veut donner l’impression d’être arrivé, le cœur empli de charité, au dernier moment, pour trouver une solution. Et Bentivoglio pourrait faire accepter un compromis aux implacables, je pense. Bien sûr, ce serait beaucoup, beaucoup plus facile si le Borgia n’assistait pas à la suite des débats. Ce serait probablement plus efficace que tout ce que nous pourrions manigancer. À part, aussi, le fait de fournir la substance d’un compromis à Bentivoglio, quelque chose à partir de quoi il pourrait travailler…
— Occupez-vous-en, alors. Je reviens à l’aube.
La Villa Belvedere était un monticule énorme, complexe, ancré à un coin de la muraille extérieure du Vatican. Les gardes de nuit habituels étaient postés aux portes et aux grilles, mais aucun n’était positionné sur l’arrière de cette véritable forteresse dressée sur quatre étages comme une falaise verticale.
Dans le noir il était cependant assez aisé de sauter d’un arbre sur le mur extérieur, puis de ramper sur une branche vers le bâtiment proprement dit, et de se glisser le long de la corniche étroite que les maçons avaient laissée sur la façade. À partir de là, il était possible d’utiliser des extenseurs dans les fissures verticales entre les énormes blocs de grès qui constituaient la paroi, et de l’escalader.
Les encadrements de fenêtre, très haut sur le mur, étaient énormes et permettaient de s’asseoir devant lesdites fenêtres, fermées à cause des moustiques et des vapeurs méphitiques du début de l’été. Dans cette position pas trop inconfortable, on pouvait, en retenant son souffle, glisser une lame plate entre les montants de la fenêtre, pousser le loquet qui les retenait fermés et se glisser à l’intérieur.
Où il faisait noir comme dans une cave. Dans l’infrarouge, les formes étaient d’un rouge noir sur un noir rouge. Il était alors possible de se frayer un chemin vers le quatrième étage, où deux gardes du corps endormis étaient allongés en travers de la porte de la chambre du Borgia ; de les embrumer très doucement avec un soporifique et de les enjamber ; de déverrouiller le verrou intérieur de la porte à l’aide d’un aimant ; d’entrer dans la chambre. Les informations fournies par les membres de la maisonnée, qui décrivaient la localisation de cette chambre, mentionnaient aussi les habitudes quotidiennes du cardinal, au nombre desquelles figurait une coupe d’un vin mêlé d’eau additionnée de citronnelle afin de rompre le jeûne et de commencer agréablement chaque nouvelle journée. Un menu plus substantiel suivrait bientôt. Ainsi : embrumer la tête pareille à un boulet qui dépassait des couvertures. Une petite giclée. Soulever la cruche près du lit afin d’estimer le volume de liquide, déboucher un flacon d’une espèce de soporifique plus puissant, pimenté d’amnésique, tous les deux inodores et sans saveur. Laisser une goutte au fond du gobelet, près de la cruche, juste au cas où on ferait venir une nouvelle cruche. Veiller à en mettre une dose suffisante ; la masse lourde qui reniflait sous les couvertures rappelait constamment combien Gasparo Borgia était gros et gras. Et puis battre en retraite, refermer le verrou de la porte, revenir sur ses pas, ressortir par la fenêtre et redescendre le mur, la partie la plus difficile de toute l’opération, pénible avec de vieilles jointures – et disparaître.
Il existait déjà une expression romaine pour ce genre de méthode par laquelle on appliquait une procédure à ceux-là mêmes qui la pratiquaient habituellement ; ça s’appelait « empoisonner les Borgia ».