Guido cardinal Bentivoglio
Fra Desiderio cardinal de Crémone
Fra Antonio cardinal de Saint Onofrio
Berlinghierio cardinal Gessi
Fabrizio cardinal Verospi
Marzio cardinal Ginetti
Les signatures manquantes étaient donc celles de Francesco Barberini, Laudivio Zacchia et Gasparo Borgia. Le compromis l’avait emporté.
Le vieil homme en robe blanche se vit enfin tendre son abjuration, à lire à haute voix selon le cérémonial formel qui concluait le procès. Il était aussi formalisé que la messe ou que n’importe quel autre sacrement, mais Galilée le lut d’abord en silence, très concentré sur les pages qu’il tournait. Il était extrêmement pâle, de sorte qu’avec sa robe blanche et ses cheveux préalablement roux, maintenant mêlés de gris et de blanc, et plus maigre qu’il ne l’avait jamais été, on eût dit un fantôme de lui-même. La journée était nuageuse, au-dehors ; malgré les masses de chandelles, la faible lumière tombant des fenêtres à claire-voie plongeait la pièce dans une légère pénombre, de sorte qu’on ne voyait que lui.
Pendant qu’il lisait, Cartaphilus se tenait dans le couloir, devant la porte ouverte en compagnie des autres domestiques, tenant la main de Buonamici et soupirant profondément, pour la première fois depuis des mois, peut-être des années. Confinement, interdiction du livre, etc. Un succès.
Et là, tout à coup, Galilée eut un geste en direction de Maculano. Cartaphilus étouffa un hoquet de surprise et bloqua sa respiration, alors que Galilée commençait à taper rudement sur l’une des pages de son abjuration.
— Que fait-il ? murmura Cartaphilus, fou d’angoisse, à l’oreille de Buonamici.
— Je ne sais pas ! répondit Buonamici sur le même ton.
Galilée parlait assez fort pour que tous les cardinaux présents puissent l’entendre, voire même tout le monde dans la pièce et dans le couloir, au-dehors. Sa voix avait quelque chose de rauque, des aspérités rageuses, et ses lèvres étaient blanches sous sa moustache.
— J’abjurerai volontairement mon erreur, mais il y a deux choses dans ce document que je ne dirai pas, quoi que vous me fassiez !
Silence de mort. Dans le couloir, Cartaphilus était maintenant cramponné des deux mains au bras de Buonamici et chuchotait :
— Non, non, pourquoi, pourquoi ? Dis ce qu’ils veulent que tu dises, pour l’amour du Christ !
— Tout va bien, murmura Buonamici en essayant de le calmer. Le pape veut seulement qu’il soit humilié, pas brûlé.
— Le pape ne sera peut-être pas en mesure d’arrêter ça !
Ils se cramponnaient l’un à l’autre tandis que dans la salle Galilée montrait la page concernée à Maculano, lui indiquant les phrases avec lesquelles il n’était pas d’accord.
— Je ne dirai pas que je ne suis pas un bon catholique, parce que j’en suis un, et que j’ai l’intention de le rester, malgré tout ce que mes ennemis peuvent dire et faire. Deuxièmement, je ne dirai pas que j’ai trompé qui que ce soit dans cette affaire, surtout lors de la publication de mon livre, que j’ai soumis en toute sincérité à la censure ecclésiastique et ai fait imprimer après en avoir obtenu légalement l’autorisation. Je construirai le bûcher et j’y placerai moi-même la chandelle si quelqu’un peut me prouver le contraire !
Déconcerté par la soudaine férocité du pénitent, Maculano consulta les cardinaux du regard. Il leur porta l’abjuration, indiqua les passages auxquels Galilée avait fait objection. Dehors, dans le couloir, Cartaphilus sifflait entre ses dents de consternation, en faisant presque des bonds sur place. Buonamici avait cessé d’essayer de le rassurer et scrutait anxieusement les cardinaux par l’ouverture de la porte.
Bentivoglio parlait aux autres à voix basse. Finalement, il adressa un signe de tête à Maculano, qui porta le document à la scribe et lui fit marquer deux passages à supprimer. Pendant qu’elle s’exécutait, Maculano fit face à Galilée avec un œil sévère qui semblait aussi contenir une lueur d’approbation.
— C’est accepté, dit-il.
— Bien, dit Galilée.
Mais il n’ajouta pas « merci ».
Des larmes coulèrent soudain de ses yeux, sur ses joues et dans sa barbe, et il les essuya avant de prendre le document révisé du commissaire général.
— Laissez-moi un instant pour me ressaisir, dit-il.
Il regarda à nouveau le document pendant qu’il s’essuyait le visage en murmurant une prière. Il tira de sous sa robe un petit crucifix qu’il portait autour du cou, l’embrassa et le remit en place. Ensuite, il adressa un signe de tête à Maculano et s’avança vers le centre de la pièce, devant la table où le coussin pour s’agenouiller avait été placé. Il se signa, tendit l’abjuration à Maculano, s’agenouilla sur le coussin, ajusta sa robe de pénitent et récupéra son document auprès de Maculano. Le tenant de la main gauche, il posa sa main droite sur la Bible présentée sur un lutrin à hauteur de taille, devant lui. Lorsqu’il reprit la parole, ce fut d’une voix claire et qui portait, mais atone et dépourvue de toute intonation :
— Moi, Galileo Galilei, fils de feu Vincenzio Galilei, Florentin, âgé de soixante-dix ans, comparaissant en personne devant ce tribunal et agenouillé devant vous, très éminents et révérends seigneurs cardinaux, inquisiteurs généraux agissant contre la dépravation hérétique dans tout le monde chrétien, ayant devant les yeux les Saints Évangiles et les touchant de mes mains, je jure que j’ai toujours cru, que je crois maintenant et que, avec l’aide de Dieu, je croirai à l’avenir tout ce que la Sainte Église catholique et apostolique tient pour vrai, prêche et enseigne.
« Attendu que, après que le Saint-Office m’avait intimé l’ordre de renoncer totalement à la fausse opinion selon laquelle le Soleil est au centre du monde et immobile, et que la Terre n’est pas au centre du monde et qu’elle se meut, après qu’il m’eut enjoint de ne plus soutenir, défendre ni enseigner cette fausse doctrine de quelque manière que ce soit, ni oralement ni par écrit, et après qu’il m’eut été notifié que la susdite doctrine était contraire à la Sainte Écriture, j’ai écrit et fait imprimer un livre dans lequel je traitais de cette doctrine condamnée en présentant une argumentation très convaincante en sa faveur sans apporter pour autant aucune conclusion définitive ; j’ai été, de ce fait même, jugé véhémentement suspect d’hérésie, c’est-à-dire d’avoir soutenu et cru que le Soleil est au centre du monde et immobile, et que la Terre n’est pas au centre du monde et se meut.
« Donc, voulant ôter de l’esprit de vos Éminences et de tout fidèle chrétien cette suspicion véhémente justement conçue à mon encontre, j’abjure, maudis et déteste d’un cœur sincère et d’une foi non feinte lesdites erreurs et hérésies, ainsi, d’une manière générale, que toute autre erreur et toute autre secte contraire à la Sainte Église catholique ; je jure à l’avenir de ne plus rien dire ni affirmer, ni oralement ni par écrit, qui puisse conduire à nourrir des soupçons similaires à mon encontre ; et, si je venais à connaître quelque hérétique ou présumé tel, de le dénoncer à ce Saint-Office.
« Moi, Galileo Galilei susdit, j’ai abjuré, juré, promis, et me suis obligé comme ci-dessus ;en foi de quoi, de ma propre main j’ai souscrit la présente déclaration de mon abjuration et l’ai récitée mot à mot à Rome, dans le couvent de Santa Maria sopra Minerva, ce 22 juin 1633.
« Moi, Galileo Galilei, j’ai abjuré comme ci-dessus de ma propre main.
Et il prit la plume de Maculano et signa soigneusement au bas du document.