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À peu près à cette époque, quelques espions vénitiens rapportèrent que Piccolomini avait été dénoncé anonymement au pape. Ce n’était donc pas fini. La lettre reçue par le Vatican disait : L’archevêque dit à qui veut l’entendre que Galilée a été injustement condamné par la Sainte Congrégation, qu’il est le plus grand homme du monde, qu’en dépit de toutes les interdictions il vivra éternellement dans ses écrits, et qu’il est suivi par tous les bons esprits modernes. Et comme ces graines, semées par un prélat, pourraient porter des fruits pernicieux, il est de mon devoir de les signaler.

On ne découvrit jamais l’identité de cet informateur de Sienne, bien qu’on puisse avancer sans guère risquer de se tromper qu’il s’agissait du prêtre Pelagi. Quoi qu’il en soit, la campagne contre Galilée n’avait pas pris fin, cela au moins était clair. Cartaphilus, apprenant cette dénonciation secrète par Buonamici revenu de Rome exprès, alla trouver le soir même l’archevêque Piccolomini, et lui demanda timidement si le moment n’était pas venu pour Galilée d’espérer être envoyé en détention à Arcetri. Piccolomini pensait que cela devrait être possible, et il comprit ce que voulait dire le vieux serviteur, à savoir qu’il serait peut-être mieux de renvoyer le vieil homme chez lui avant sa mort. Buonamici veilla, le soir même, à ce que la nouvelle de la dénonciation secrète fût transmise au confesseur de l’archevêque, afin que Piccolomini puisse être également informé de cet autre danger.

La campagne pour le retour de Galilée à Arcetri commença. C’était au début du mois d’octobre 1633. Évidemment, Piccolomini faisait semblant d’ignorer qu’il avait été dénoncé, et laissait entendre, dans des lettres adressées à des gens extérieurs au Vatican mais susceptibles de relayer l’idée à l’intérieur de la forteresse, que mettre Galilée aux arrêts chez lui, à Arcetri, serait un châtiment beaucoup plus sévère que sa situation relativement luxueuse et publique dans le palais de l’archevêque, à Sienne.

En entendant présenter les choses de cette façon, dirent les gens, Urbain acquiesça au projet. Début décembre, l’ordre papal arriva à Sienne : Galilée devait être transporté à Arcetri, pour y être confiné aux arrêts chez lui.

Piccolomini en personne apprit la nouvelle à Galilée, rayonnant de plaisir pour son vieux professeur, dont il craignait qu’il n’ait plus ou moins perdu la tête de façon permanente. Retrouver ses filles lui serait sûrement d’un grand secours.

— Professeur, la nouvelle est venue de Rome que le Sanctissime vous accorde la permission de retourner chez vous, retrouver votre famille, Dieu soit loué.

Galilée était absolument stupéfait. Il s’assit sur son lit et pleura, puis il se releva et embrassa Piccolomini.

— Vous m’avez sauvé, dit-il. Maintenant vous êtes l’un de mes anges. J’en ai tellement.

Et c’était vrai. Des anges qui surgissaient de nulle part pour entrer en scène. Quand il y a de plus en plus de monde dans un événement de l’Histoire sur lequel on porte les yeux, c’est le signe d’un moment de perturbation, d’un point crucial qui ne cessera jamais de changer sous votre regard. Le regard lui-même vous intrique, et vous êtes, vous aussi, l’un des changements de ce moment.

Le jour où Galilée quitta Sienne, un vent fort tombait des collines, à l’ouest, agitant les dernières feuilles des arbres en une sauvage envolée. Plusieurs personnes vinrent lui souhaiter tout le bien du monde et lui donner l’accolade, et quand il finit par étreindre Piccolomini il le souleva de terre. Il le reposa et recula, en s’essuyant les yeux et en secouant la tête, et le petit archevêque le prit par le bras pour l’aider à monter dans la voiture. Le vent agitait la barbe et les cheveux gris de Galilée comme les nuages et les bannières au-dessus du palais. Des oiseaux tournoyaient au-dessus d’eux. Galilée s’arrêta pour regarder autour de lui, engloba le spectacle dans un geste du bras et frappa le sol du pied.

— Et pourtant elle tourne ! dit-il. Eppur si muove !

Cette remarque que Galilée avait faite en partant, Piccolomini la raconta plus tard à son frère, Ottavio Piccolomini ; qui, encore plus tard, alors qu’il vivait en Espagne, commanda au peintre Murillo un tableau pour commémorer l’anecdote. Murillo représenta la scène comme si elle prenait place devant l’Inquisition proprement dite, Galilée tendant le doigt vers le mur, au-dessus de la Congrégation, où des lettres de feu épelaient Eppur si muove. C’est ainsi, et par le bouche à oreille, que l’histoire fut transmise. À un moment donné, le tableau dut être considéré comme trop blasphématoire pour qu’on le regarde, car la toile fut repliée et réencadrée afin que l’inscription sur le mur ne se voie plus. Elle ne devait revenir à la lumière que lorsque le tableau fut nettoyé, bien des années plus tard. Mais, pendant tout ce temps, les gens continuèrent à raconter l’histoire du défi oblique que Galilée lançait à ses persécuteurs, sa riposte marmonnée aux temps à venir. C’était vrai même si ça ne l’était pas.

La voiture ne mit que deux jours pour mener Galilée à Arcetri et aux portes d’Il Gioello. Toute la maisonnée était debout, là, pour l’accueillir, Geppo faisant des bonds au premier rang, et la Piera debout, impassible, derrière. Il était resté parti onze mois.

Il sortit de voiture en s’appuyant d’une main sur l’épaule de Geppo, et se redressa en gémissant.

— Emmène-moi à San Matteo, dit-il.

19.3

Pour être aimé, il faut aimer et être aimable.

Baldassare Castiglione, Le Livre du courtisan

Il eut un choc en voyant à quel point Maria Celeste avait maigri en son absence. Elle ne s’était pas ménagée pendant ces onze mois, dirigeant le couvent et aidant aussi à entretenir Il Gioello. Geppo était tombé malade, puis il avait souffert d’une éruption cutanée vraiment sévère. Maria Celeste l’avait guéri avec un baume de sa propre conception. Elle avait donné à la Piera la somme supplémentaire exigée par trois mois de pénurie de farine, et plus tard dans cette mauvaise période elle avait ordonné à la gouvernante de fermer le four de la maison et de venir chercher leur pain au couvent, en fixant le prix à huit quattrini la miche. Elle ne mangeait jamais si les autres n’avaient pas mangé.

Le résultat, c’est qu’elle était plus maigre que jamais. Nul doute que le souci qu’elle se faisait constamment pour Galilée y était pour beaucoup. Elle s’était efforcée de l’aider pendant son procès, ce qui, étant donné sa position, était un peu futile, mais elle avait écrit de façon répétée à Caterina Niccolini, lui demandant d’insister auprès d’une belle-sœur particulière du pape pour obtenir son intercession. Ces chaînes d’influence féminine, omniprésentes, même si elles étaient invisibles aux yeux des hommes et pour les livres d’histoire, avaient très bien pu – ou non – aider la cause de Galilée ; il se peut même que leur intervention ait été cruciale, et que Caterina ait été l’architecte de la stratégie qui avait permis à Galilée de quitter Rome vivant. Mais il n’y avait pas moyen de le dire hors de ce réseau. Dans l’une de ses dernières lettres adressées à son père avant son retour, Maria Celeste faisait allusion à ses efforts, disant : Je sais, comme je l’admets librement devant vous, que ce sont des plans médiocrement échafaudés, et pourtant, je ne voudrais pas exclure la possibilité que les prières d’une fille pieuse puissent peser plus lourd que la protection même de grands personnages.

Elle poursuivait en évoquant un autre sujet abordé dans sa précédente lettre, dans une de ses pitoyables tentatives de plaisanterie dans des circonstances aussi désespérantes :