Выбрать главу

Pendant que je m’absorbais dans ces stratagèmes, j’ai lu votre lettre, père, où vous suggériez que mon désir de vous voir rentrer prochainement était attisé par l’anticipation du plaisir que me procurerait un certain présent que vous aviez promis de me rapporter. Oh ! Je puis vous dire que j’ai été fâchée en lisant ces lignes ; une colère comme celle que nous prescrit le saint roi David, loué soit-il, dans le psaume où il s’écrie : Irascimini et nolite peccare – cédons à la colère, mais ne péchons point. On aurait presque dit que vous étiez prêt à croire que la vue de ce présent pouvait plus compter pour moi que celle de votre personne ; alors qu’elles diffèrent autant à mes yeux que les ténèbres de la lumière. Il se pourrait que j’aie mal interprété vos propos, et c’est sur cette espérance que je me suis calmée ; en effet, si vous mettiez mon amour en doute, je ne saurais moi-même quoi dire ni faire. Il suffit, père, mais soyez conscient au moins que, quand bien même on vous autoriserait à regagner votre masure sur-le-champ, vous ne pourriez sans doute pas la trouver plus décrépite qu’elle ne l’est à présent, d’autant que le moment approche de remplir les barriques de vin. La Piera vous envoie ses meilleures salutations et dit que si elle pouvait soupeser votre désir de revenir et son désir de vous revoir, elle est sûre que son plateau de la balance plongerait dans les abîmes tandis que le vôtre volerait au ciel.

Ainsi les femmes de sa vie plaisantaient-elles avec lui, le taquinant quand il les taquinait, lui envoyant leur amour dans le style bourru, buffa, qu’il appréciait le plus – la saute d’humeur de Maria Celeste rappelant celles de Marina elle-même, au bon vieux temps. Mets mon amour en doute et je te flanque une raclée ! Cette amoravolezza lui avait réchauffé le cœur en un pénible moment.

Et maintenant, alors qu’il se tenait devant elle, dans le couvent, elle s’effondra dans ses bras et se mit à pleurer. Même Arcangela, en regardant sur le côté, se coula vers lui et lui effleura brièvement le bras. Galilée lui caressa le dos, l’épaule, doucement, puis serra Maria Celeste dans ses bras et la souleva de terre, embrassant ses larmes de joie. Elle était comme un oiseau dans ses mains, et lui aussi pleura en la sentant si légère.

— Ma petite Virginia, dit-il, le visage plaqué sur sa poitrine, choqué, effrayé.

Au cours des semaines qui suivirent son retour à la maison, il se consacra aux sœurs et à leur couvent. Arcangela reprit ses distances, comme auparavant ; elle détournait le regard lorsqu’il lui parlait. Elle aussi, elle était plus maigre et plus osseuse que jamais. Mal à l’aise, Galilée tenta de l’amadouer, cette fois avec des fruits confits, un peu comme on apprivoise une corneille ; et elle penchait la tête, attrapait la nourriture et repartait furtivement.

En attendant, Maria Celeste parlait continuellement, comme pour rattraper le temps perdu ; et bien que Galilée sût que le temps perdu jamais ne se rattraperait, il se prêtait joyeusement à son jeu. C’était bon d’être à nouveau chez soi, et de s’occuper de vraies choses – d’objets concrets, les fours et les cheminées, les fenêtres et les toits, non seulement de sa propre maison mais aussi du couvent délabré des clarisses, qui à ce stade menaçait littéralement de s’effondrer comme en réponse à l’effondrement mental dont il avait longtemps souffert.

Il resta donc de nombreuses journées dans cet endroit, où l’ancienne interdiction de présence masculine était depuis longtemps oubliée. Il mesurait les poutres que les ouvriers devaient couper, y perçait les trous des chevilles et y faisait lui-même entrer lesdites chevilles à coups de maillet. Quelle joie de mettre une queue d’aronde en place comme une clé dans une serrure ! Des théorèmes sur lesquels on pouvait frapper avec un marteau. Avec des matériaux moins susceptibles de pourrir, il aurait pu faire un toit qui aurait tenu la pluie à l’écart pendant mille ans. Mais le plomb était cher, et le cèdre aussi. Ils devraient se contenter de planches de pin.

En ce qui concerne son jardin, les tâches à accomplir étaient plus réduites. La Piera s’en était bien occupée, car c’était l’une des choses qui les maintenaient en vie. Pour le moment, il n’y avait pas grand-chose à faire, à part décider des variétés de cédrats et de citrons à mettre dans les fûts de vin cassés qui avaient été coupés en deux pour servir de baquets.

Et puis San Matteo fit un héritage agricole.

— D’abord tes prières sont exaucées, et maintenant les miennes ! dit Galilée à Maria Celeste.

Le frère aîné de sœur Clarice Burci avait laissé aux sœurs une ferme d’une valeur de cinq mille scudi à Ambrogiana. Maria Celeste estimait qu’elle leur rapporterait tous les ans deux cent quatre-vingt-dix boisseaux de blé, cinquante barriques de vin et soixante-dix sacs de millet.

— C’était ma prière aussi, croyez-moi, répondit-elle avec une expression sombre. Mes dix mille prières.

En même temps que la ferme, l’aîné des Burci léguait tout le personnel qui lui était attaché, ainsi qu’une obligation pour les nonnes de dire une messe à sa mémoire tous les jours pendant les quatre cents ans à venir, et de l’absoudre trois fois par an pendant les deux cents prochaines années. Cela dit, c’était bien joli, mais, personnel ou non, la terre avait été négligée et était maintenant pratiquement retournée à l’état sauvage.

Galilée pouvait la remettre en état, et il se mit à la tâche. Prendre un problème à bras-le-corps et le terrasser était une chose très satisfaisante. Une ingénierie astucieuse pouvait faire beaucoup. Un jour, alors qu’il arpentait la salle à manger en réfléchissant à un problème ardu de contrepoids, une nonne se trouva sur son passage ; il lui expliqua très fermement qu’elle ne devait pas faire cela, qu’il réparait le toit ; après quoi elle raconta à toutes les autres nonnes : « Il arrange les choses en y réfléchissant ! » En vérité, lorsqu’il aurait fini de penser à la nouvelle ferme, les nonnes auraient enfin de quoi vivre décemment. C’était ce qu’il espérait lorsqu’il avait demandé à Maria Celeste de réfléchir à une bienfaisance de la part du nouveau pape. Il n’aurait pas dû lui poser la question, il s’en rendait compte à présent, il aurait dû se contenter de demander la dotation de terre à laquelle il pensait.

Et maintenant elles l’avaient obtenue, et il parcourait sombrement le champ d’hiver négligé, sous un ciel hivernal, bas, couleur d’étain, en marcottant les arbres moyens qui envahissaient déjà la pâture et en abattant les plus petits à grands coups maladroits de hache ; hache qu’il balançait comme s’il décapitait certains dominicains, jésuites, bénédictins et autres professeurs. Il était devenu un bourreau d’arbres. À soixante-dix ans, et malgré son bandage herniaire, il pouvait encore frapper plus fort que la plupart des garçons, et son cri, lors de l’impact, était de loin le plus sonore. C’était très satisfaisant. Il allait remettre cette ferme en activité et leur assurer leur pitance.

« Tout arrive à point nommé », disait-il.

Il regrettait de ne pas pouvoir aider Maria Celeste de la même façon. Elle avait arraché toutes ses dents gâtées, et n’en avait désormais presque plus. Au moins était-elle désormais débarrassée des infections de la mâchoire. Mais le manque de dents pouvait être mauvais pour sa digestion. Il mit au point des machines à déchiqueter pour hacher la viande, en récupérant, avec un sourire amer, les pièces de la carcasse de l’un de ses vieux plans inclinés. Il y avait plus d’une façon de mâcher la réalité.