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Une fois, il s’arrêta de travailler sur les rouages et les poulies de leur vieille horloge bancale afin d’esquisser une ébauche de plan pour une horloge basée sur le principe du pendule. Le mécanisme comporterait un balancier qui entraînerait la détente d’un ressort. De prime abord, cela semblait être une belle idée ; la force potentielle forgée en un ressort, qui en faisait une espèce de poids qui exercerait une pression continue, c’était tout ce dont on avait besoin pour faire marcher une horloge pendant des années. Lorsque Maria Celeste entra, il lui parla de cette idée, et elle rit de voir son visage. Elle regarda par-dessus son épaule et lui posa des questions sur les colonnes de chiffres qu’il avait inscrites au bas d’un croquis de son projet, et il essaya de lui dire à quoi il pensait. Elle hocha la tête d’un air compréhensif, et il continua sur sa lancée. Il finit par arriver à ses lois sur la chute des corps, et elle eut l’air d’abord surprise à la seule idée qu’il puisse y avoir un rapport entre la distance et le temps, puis cela lui fit monter les larmes aux yeux.

— Oui, confirma-t-il. Le monde obéit à des lois mathématiques. C’est beaucoup plus stupéfiant que les gens ne semblent le croire. Réfléchis : les nombres sont des idées, ce sont des qualités qui évoluent dans l’esprit après qu’on les a extraits du monde en le regardant. Ainsi, nous voyons que nous avons deux mains, et qu’il y a deux moutons dans la prairie, mais nous ne voyons jamais un « deux » nulle part. Ce n’est pas une chose, c’est une idée, et elle est donc intangible. Comme les âmes en ce monde. Et puis nous nous enseignons les uns aux autres des jeux qui nous permettent de jouer avec ces idées – on voit comment on peut les additionner, et obtenir d’autres nombres, comme si on ajoutait des moutons et la prairie. Par exemple, on voit que n’importe quel nombre peut être ajouté à lui-même par son propre nombre de fois : deux fois deux, quatre fois quatre, nous appelons cela des carrés parce qu’on peut les disposer en carré, avec le même nombre de moutons de chaque côté, et on voit comment des nombres plus grands, multipliés par eux-mêmes, deviennent très vite plus grands que le nombre précédent, et que cette croissance accélérée obéit à une proportion. Une idée intéressante. Cela fait un joli schéma dans l’esprit, ou sur la page. Et puis on regarde le monde autour de soi. On laisse tomber une balle et on observe. Elle paraît accélérer en tombant, c’est en tout cas ce que nous dit l’œil, ce qui fait que l’on mesure la chute de différentes façons. Et que crois-tu que l’on constate ? On se rend compte que toutes les choses tombent à la même vitesse, et que la distance le long de laquelle quelque chose tombe augmente du carré du temps de la chute – très précisément ! –, et cela bien que le temps et la distance paraissent être des choses très différentes. Et pourquoi cela ? Pourquoi le rapport doit-il être si simple et si net ? Pourquoi les deux doivent-ils être liés ? Tout ce qu’on peut dire, c’est que tel est le cas. Les choses tombent en obéissant à des règles, toujours de la même façon, et les règles sont simples – ou moins simples, par la suite. Mais le monde obéit à des lois mathématiques ! Le monde est proportionnel à lui-même par l’intermédiaire de choses aussi disparates que le temps et la distance. Comment est-ce possible ?

— Cela ne peut être que parce que Dieu a fait le monde de cette façon.

— Oui. Dieu a fait le monde en utilisant les mathématiques, et Il nous a donné un esprit capable de le voir. Nous pouvons découvrir les lois qu’il a utilisées ! C’est une des choses les plus magnifiques à observer et à comprendre. C’est une prière. Plus qu’une prière, un sacrement, une sorte de communion. Une appréhension – une épiphanie –, c’est voir Dieu en étant encore dans ce corps, et en ce monde ! C’est une bénédiction que de pouvoir faire l’expérience de Dieu de cette façon. Qui ne consacrerait son temps à le comprendre davantage, à mieux comprendre la façon dont Dieu pense ces choses ?

— Pas moi, dit-elle en le regardant tendrement.

Et puis sentir la bonté de Dieu dans le soleil sur son dos, dans le jardin. Galilée avait un petit fauteuil à roulettes qu’il pouvait déplacer entre les rangées de plantes, dont l’assise était percée d’une fente pour son bandage herniaire. Cela lui soulageait un peu le dos et les genoux lorsqu’il se penchait pour arracher les mauvaises herbes, sentant la terre sous ses ongles et le soleil sur son dos. C’était sentir le doigt de Dieu sur le monde, de la même façon que déterminer des proportions dans la nature revenait à voir l’esprit de Dieu. Il ne pouvait s’empêcher de regretter que Maria Celeste n’ait pas le droit de remonter l’allée jusqu’à Il Gioello, pour aider la Piera dans la maison, et de s’asseoir avec lui dans son jardin comme il s’asseyait avec elle au couvent. Il faudrait qu’il essaie d’y remédier. La nouvelle abbesse pourrait probablement en être convaincue. Ah, la course bénie des jours…

Pourtant, il avait raison d’avoir peur. Enfin, on a toujours raison. Un jour, quelques mois après le retour de Galilée, une viande avariée donna la colique à Maria Celeste. Or elle n’avait pas assez de chair pour retenir l’eau ou lui donner les réserves de forces dont elle avait besoin. La dysenterie acheva bientôt de la dessécher, lui tordant les tripes au point qu’elle se crispait de douleur, ayant déjà évacué tout ce qu’elle avait en elle. Elle devint parcheminée et commença à perdre du sang et toutes sortes d’autres liquides et viscosités qui tapissent les intestins. Après cela, il n’y eut plus rien à faire que de rester assis à son chevet, à côté du lit où elle était allongée, et d’appeler les autres nonnes pour la soulever lorsqu’elle avait besoin de se soulager. Il se retirait alors pour ne pas offenser sa pudeur, revenant aussi vite que possible pour lui essuyer le front et lui donner des cédrats à sucer, puis se rasseyait et voyait combien de bouillon elle pouvait garder, l’incitant à en avaler quelques gorgées chaque fois qu’il arrivait à obtenir son attention. Dans sa fièvre, elle se mit à délirer, et ses lèvres se craquelèrent. Son corps cessa de se tortiller, et elle resta là à respirer faiblement, ne transpirant même plus, le pouls faible et, le cinquième jour, erratique.

Galilée resta assis là, à côté d’elle, à regarder le mur. Sarpi était mort, Sagredo était mort, Salviati était mort, Cesi était mort, Marina était morte, ses sœurs, ses parents aussi. La liste s’allongeait encore. Cosme. Cesarini. La Bible parlait de trois vingtaines d’années plus dix, mais il y en avait tellement peu qui y parvenaient, tellement peu. C’était un monde déchu.

Les heures passèrent, pulsation après pulsation, souffle après souffle. Les heures, pareilles à des semaines, les jours, comme des mois. Il n’y avait pas assez de choses auxquelles penser en de tels moments.

À la fin du cinquième jour, il se releva et sortit pour parler de la situation avec le docteur qui rendait visite au couvent, un homme auquel il avait appris à faire plus confiance qu’à la plupart des docteurs. L’homme essuya sa nuque en sueur et plissa les yeux de désespoir en écoutant les nouvelles.

— Son état est trop avancé, dit-il.