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— Mazzoleni, je suis un imbécile.

— Je ne sais pas, maître, objectait le vieux. Et nous, alors, qu’est-ce qu’on est ?

— Ha ha.

Bientôt, ces moments de vie dans lesquels il était piégé actuellement finiraient par se fondre et ne plus former qu’un seul bloc : les matins vautré dans le jardin, les après-midi à travailler sur les nouveaux dialogues ; le chagrin pour Maria Celeste, qui imprégnait tout de sa lumière noire. Arcangela qui tournait la tête quand il venait en visite, ce non-regard, pire que n’importe quel regard, qui était au moins un contact. Sa belle-sœur, Anna Chiara Galilei, qui s’était installée avec ses trois filles et son plus jeune fils, Michel-Ange, à Il Gioello, où ils avaient été tous les cinq balayés par la peste. La lumière noire qui revenait tout envahir, tout ce qui formait l’unique bloc de cette époque particulière.

Les gens continuaient à lui écrire, et cet automne-là, un matin, en se levant, il fit une pile de toutes ces lettres et commença à répondre. À répondre aux questions, et à se renseigner sur les recherches que les autres faisaient en mathématiques ou en physique. Il leur parlait des nouveaux dialogues qu’il avait commencé d’écrire. Il était évidemment improbable qu’il puisse jamais les faire publier. Le fait qu’il utilise les trois mêmes personnages ne faisait qu’accroître la difficulté. C’est pourquoi, lorsqu’un correspondant de longue date, mais qu’il n’avait jamais rencontré, Elia Diodati, écrivit de Hollande pour lui demander s’il pouvait publier un nouveau livre, Galilée accepta très vite.

Au départ, cela semblait être une bonne chose ; mais nous nous rendîmes bientôt compte que Galilée faisait preuve d’une exigence croissante vis-à-vis de son livre, et il nous apparut qu’il ne réussirait jamais à le terminer. Il devint évident qu’il n’avait pas envie de le finir, que pour lui, ce serait comme de finir sa vie. Il essayait d’y mettre tout ce qu’il avait appris, tout ce qu’il avait cru possible – tout, sauf les sujets cosmologiques qu’il lui était interdit d’aborder. De toute façon, il s’agissait de questions spéculatives, mystérieuses, quelle que soit la façon dont on essayait d’y voir clair – ainsi que le prouvaient les troublantes informations qui lui arrivaient de ses correspondants sur les heures de marée dans l’Atlantique, qui démontraient que sa théorie sur la formation des marées était fausse, ce qu’il était bien obligé d’admettre dans ses réponses.

Alors que d’un autre côté, avec ces propositions simples sur le mouvement, la force, la friction et la résistance, il pouvait s’en tenir aux seules assertions qu’il avait démontrées par l’expérience. Après toutes ses suppositions sur les comètes, les étoiles et les taches solaires, sur la flottabilité, le magnétisme et les fascinants mystères qu’il ne pouvait comprendre, n’ayant pas les bases suffisantes, et qui étaient en fin de compte l’équivalent de l’astrologie, c’était un plaisir terrible de ne mettre par écrit que ce qu’il avait vu et expérimenté.

— C’est le livre que j’aurais dû écrire depuis le début, dit-il un jour alors qu’il finissait d’écrire. Ça, et rien que ça. J’aurais dû éviter les mots et m’en tenir aux équations, comme Euclide.

Soit un plan incliné AC et la perpendiculaire AB, chacun ayant la même hauteur verticale par rapport à un plan horizontal BA ; je dis que la durée de la descente d’un corps le long du plan AC est proportionnelle à la durée de la chute le long de la perpendiculaire AB, et que le rapport est le même que celui de la longueur AC à AB.

L’espace et le temps, en relation. Tellement satisfaisant ! Un petit tintement de cloche !

Dans le premier jour de dialogue du nouveau livre – là, sous l’arche rose du palais de Sagredo sur le Grand Canal qu’il avait dans la tête –, il faisait discuter Salviati, Sagredo et Simplicio des sujets suivants : les rapports qu’il y avait entre la taille et la puissance des machines ; la résistance des cordes tressées ; une méthode de séparation de l’action du vide des autres causes ; le point de rupture d’une colonne d’eau, qui était toujours de dix-huit coudées ; le rôle du feu dans la liquéfaction du métal chaud ; le paradoxe de l’infini dans l’infini ; la géométrie des surfaces ; une expérience pouvant permettre de déterminer la vitesse de la lumière ; les problèmes et les théorèmes de la géométrie projective ; des études sur la flottabilité et la vitesse de chute des objets ; des études sur la raison pour laquelle l’eau perle sur certaines surfaces ; des études sur la nature de la vélocité terminale et sur la résistance de l’air, ainsi que sur la résistance de l’eau et la résistance du vide ; les résultats d’expériences visant à peser l’air, à découvrir le rapport existant entre le poids de l’eau et celui de l’air (qui était de quarante à un, et non de dix à un, comme le croyait Aristote) ; les résultats de diverses expériences sur les plans inclinés destinées à mesurer la vitesse à laquelle chutent les objets ; des plans pour des pendules élaborés à partir de divers matériaux ; des études sur la percussion et l’impact ; et enfin, une longue discussion sur les harmonies et les dissonances en musique, expliquées sous forme de fonctions proportionnelles des vibrations de la corde d’un pendule, avec des spéculations sur les raisons pour lesquelles de tels sons peuvent créer des émotions aussi fortes.

Le deuxième jour, les trois personnages discutaient de l’équilibre des poutres, et de la détermination de la forme qu’elles devaient avoir pour offrir une résistance constante quelle que soit leur taille.

Le troisième jour, ils discutaient de questions de mouvement, local et uniforme ; de vitesse et de distance ; du mouvement naturellement accéléré, où tout était dit sur la gravité, en dehors du mot lui-même ; des expériences sur les plans inclinés pour tester le mouvement ; des expériences sur les pendules portant sur les mêmes questions ; et divers théorèmes sur la descente des plans inclinés, avec des comparaisons avec la chute verticale.

Le quatrième jour, les trois personnages discutaient du mouvement des projectiles, comme étant une combinaison de mouvements uniformes et naturellement accélérés, menant au théorème de la semi-parabole, avec de nombreuses tables donnant les résultats tirés des expériences qui soutenaient ces assertions, et qui laissaient les objets parler pour eux-mêmes.

Dès le début du dialogue, Salviati disait quelque chose qui surprit Galilée lorsqu’il le relut plus tard :

Et je dois relater ici une circonstance bien digne de votre attention, tout comme en vérité chacun des événements qui se sont produits contrairement aux attentessurtout lorsqu’une mesure de précaution se révéla être la cause d’un désastre.

Il s’aperçut soudain que c’était en 1615 ; sa mesure de précaution avait conduit au désastre. Mais comment le savoir avant les faits ? Et d’ailleurs, n’était-on pas obligé d’essayer ? Mais bien sûr. On ne pouvait faire autrement que d’essayer. Tout ce qu’on apprenait y poussait.

Il avait fait de son mieux avec les moyens à sa portée. Tout en écrivant, en y réfléchissant, il faisait présenter sa défense par Salviati :