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Notre Académicien a beaucoup réfléchi à cette question, et conformément à son habitude il a tout démontré par des méthodes géométriques, de sorte que l’on pourrait bien qualifier ce qu’il fait de « nouvelle science ».

— « Il a tout démontré par des méthodes géométriques » ! s’exclama Galilée en relisant sa phrase.

Secouant la tête, il s’exclama :

— Ha ! Si seulement c’était possible ! Ce serait une nouvelle science, en effet…

Et comme le livre continuait à grossir, page après page, il continuait d’écrire des choses qui devaient le surprendre plus tard – des choses qu’il ignorait savoir.

Les notions d’« égal », « plus grand que » et « moins grand que » ne sont pas applicables aux quantités infinies.

Stupéfiante est la force qui résulte de l’addition d’un nombre immense de petites forces. Il n’y a aucun doute quant au fait que n’importe quelle résistance, pourvu qu’elle ne soit pas infinie, ne puisse être vaincue par une multitude de forces minuscules.

L’infini et l’indivisibilité sont par leur nature même incompréhensibles pour nous ; imaginez alors ce qu’elles sont lorsqu’on les combine. Et pourtant, tel est notre monde.

Toute vitesse, une fois transmise à un corps en mouvement, sera strictement conservée tant que les causes extérieures d’accélération ou de ralentissement sont supprimées… Le déplacement le long d’un plan horizontal est perpétuel ; parce que si la vitesse est uniforme, elle ne peut être diminuée ou amoindrie, et encore moins annulée.

Un corps qui descend le long d’un plan incliné et poursuit son déplacement sur un plan incliné vers le haut remontera, en fonction du moment acquis, à une hauteur égale au-dessus du plan horizontal ; et la proposition demeure vraie, que l’inclinaison des deux plans soit identique ou différente.

Par moments, pendant qu’il écrivait, il avait l’impression que Salviati et Sagredo étaient encore en vie quelque part et lui parlaient, de là où ils étaient, leur esprit plus vivant que jamais. Parfois, il mettait dans le livre des choses qu’il les avait entendus dire dans la vie, comme celle-ci, l’une des nombreuses et subtiles remarques que Salviati avait faites en passant :

De la même manière que, parfois, une merveille est diminuée par un miracle, j’espérais supprimer, ou au moins diminuer, une improbabilité en essayant d’en introduire une similaire ou plus grande.

Une merveille diminuée par un miracle. Il lui semblait que cela lui était arrivé bien souvent. Il avait vécu dans un miracle.

Par moments, ces voix qui sortaient de la page disaient des choses qui avaient le mystérieux pouvoir de l’émouvoir :

Je vous prie de considérer, messieurs, de quelle manière des faits qui paraissent au départ improbables laisseront, même après une brève explication, tomber le voile qui les dissimulait et s’avanceront dans la simplicité de leur beauté nue.

Il l’avait vu, il l’avait senti ; il avait vu tomber le voile et s’avancer la beauté. Une image évoquée par la phrase surgit des profondeurs de son regard intérieur, toute nue, toute simple, invisible, mais presque vue. Une beauté comme Marina, mais plus grande.

Par la suite, une étrange sensation le frappa à nouveau, très puissamment, alors qu’il relisait un passage où Salviati et Sagredo discutaient des cordes des instruments de musique qui vibraient à l’unisson ou de façon dissonante, sproporzionatamente, et Salviati avança qu’à l’intérieur de ces schémas d’interférence chaque vague recelait des vies secrètes. Galilée relut ce passage avec l’impression de ne pas tout à fait se souvenir de l’avoir écrit :

Une corde qui a été frappée commence à vibrer et le mouvement se poursuit tant que l’on entend le son (risonanza) ;ces ondes s’étendent loin dans l’espace et mettent en vibration non seulement des cordes, mais aussi n’importe quel corps qui se trouve avoir la même période que la corde pincée. Les ondulations de ce médium se propagent largement autour du corps résonant, ainsi que le montre le fait que l’on peut émettre une note à partir d’un verre d’eau rien qu’en en frottant le bord avec le bout du doigt ; parce qu’une série d’ondes régulières est produite dans cette eau. Ne serait-ce pas une chose merveilleuse si l’on avait la faculté de produire des ondes qui persisteraient longtemps, des mois, des années et même des siècles ?

Sagredo : Une telle invention, je vous l’assure, forcerait mon admiration.

Salviati : Il s’agit d’un instrument sur lequel je suis tombé par hasard ; mon rôle consiste simplement à l’observer, et à apprécier sa valeur en tant que confirmation d’une chose dans laquelle je me suis assez profondément plongé.

Les interférences des ondes. La longue portée à travers le temps. Une chose dans laquelle je m’étais assez profondément plongé. Un secret au cœur du temps, tout au fond de lui…

Il n’arrivait pas à mettre le doigt sur ce que c’était. Tant de choses presque vues, qu’il avait sur le bout de la langue… Y avait-il jamais eu un moment où il en avait été autrement ? Était-ce seulement maintenant qu’il le remarquait davantage ?

Il se contentait d’écrire de nouvelles pages ; il ne pouvait faire autrement.

Et donc ces Discorsi étaient pour lui une chose vivante, qui respirait. Ce n’était pas le genre de livre qu’on avait envie de finir. Mieux valait continuer encore et encore, jour après jour, pour toujours. Il comprenait maintenant ces alchimistes obsédés qui écrivaient jusque dans la tombe, sans jamais tenter de se faire publier. Mon esprit sans cesse en activité continue à moudre, écrivit-il à un correspondant.

Finalement, Diodati le persuada de déclarer que son livre était terminé tout en lui soufflant l’idée qu’il n’était pas vraiment fini mais qu’il serait publié par fragments, ces quatre premières parties n’étant que les premières de nombreuses autres à suivre. C’était brillant. Diodati pouvait publier tandis que Galilée, de son côté, pouvait continuer à écrire, continuer à vivre.

Et donc le livre fut publié. Le titre suggéré par Galilée était :

Dialogues de Galileo Galilei Contenant Deux Sciences Complètes, Entièrement Nouvelles et Démontrées à Partir de Leurs Principes et Éléments Premiers, Afin que les Voies Soient Ouvertes à de Vastes Champs, avec des Raisonnements et des Démonstrations Mathématiques Livrant Quantité de Conclusions Admirables, Infinies, à Partir Desquelles Bien d’Autres Restent à Voir dans le Monde Outre ce qui a été vu Jusqu’à Présent.

Diodati l’intitula Discours sur Deux Nouvelles Sciences. Les Discours, comme nous disions. Ces quatre journées de dialogue devaient être suivies par une cinquième et une sixième, annonçait la préface, et d’autres après celles-là, perpétuellement.

Galilée distribua quelques exemplaires du livre à des amis et d’anciens étudiants dans l’espoir de recevoir leurs commentaires. Dans une note destinée à ses amis à Rome, il s’excusait pour le contenu du livre : Je me rends compte combien la vieillesse amoindrit la vivacité et la rapidité de ma pensée, car maintenant je dois lutter pour comprendre bien des choses que j’ai découvertes et prouvées alors que j’étais plus jeune.

En lisant cela, ceux-ci se mirent à rire. « Il ralentit ! » se disaient-ils entre eux en feuilletant le livre, et chacun d’y aller de son commentaire : « Trois cent trente-sept pages seulement, cette fois, à ce que je vois » « Chaque page est bourrée d’idées, apparemment, dont beaucoup n’ont jamais été étudiées… » « Dont un certain nombre difficiles à comprendre !… »