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— Seuls les couards refusent la parole à celui qui a le droit de parler. Mon peuple vient de Ganymède, et nous revendiquons le droit de parler en son nom, afin de contribuer à faire la lumière sur ce qui se passe dans le système de Jupiter…

— Vous ne représentez plus Ganymède, dit la femme.

— Je suis le Ganymède, comme en attestera mon peuple. Je parlerai. L’interdiction de descendre dans l’océan d’Europe a été promulguée pour des raisons très sérieuses, et les récentes tentatives des Européens pour annuler cette interdiction se font au mépris de toutes sortes de dangers. Nous ne permettrons pas que cela arrive !

— Votre groupe et vous, faites-vous partie du Conseil jovien ? rétorqua la femme.

— Oui, bien sûr.

— Eh bien, cette affaire a été débattue et résolue, et votre faction a été mise en minorité…

— Non ! s’écrièrent plusieurs personnes autour d’eux.

À ce moment-là, tout le monde se mit à parler en même temps, et le débat tourna très vite au concours de hurlements. Les gens se bousculaient, formant des petits groupes comme des bandes rivales sur une piazza, le visage rouge de colère. Le latin, dans les oreilles de Galilée, se mua en cris qui se superposaient :

— Déjà décidé !

— Nous lui avons demandé de parler !

— Nous vous ferons destituer !

— Lâches !

— Anarchistes !

— Nous voulons que le Galilée s’exprime sur la question !

Galilée leva la main comme un étudiant dans une salle de classe.

— Quelle question avez-vous débattue ? demanda-t-il en haussant la voix. Pourquoi m’avez-vous fait venir ici ?

Dans la pause qui suivit, l’un des Ganymédiens lui répondit en s’inclinant respectueusement devant lui :

— Très illustre Galilée…, commença-t-il en latin.

Il continua dans sa propre langue, qui fut ainsi traduite dans celle de Galilée :

— … premier scientifique, père de la physique, nous ici présents parmi les lunes de Jupiter sommes confrontés à un problème scientifique tellement fondamental et important que certains d’entre nous ont ressenti la nécessité qu’un personnage doté de votre esprit original, un personnage dépourvu de tous les préjugés relatifs aux événements survenus depuis votre époque, un personnage doté de votre intelligence et de votre sagesse suprêmes, nous aide à le résoudre.

— Ah bon, répondit Galilée. Eh bien, vous voilà servis.

À ces mots, une femme éclata de rire. Elle était grande, de proportions sculpturales, vêtue de jaune. Dans le tumulte ambiant, elle avait l’air à la fois irritée et amusée. Les autres continuèrent de débattre en vociférant, certains avec véhémence, et, dans le vacarme des querelles, elle contourna la foule pour l’approcher sur sa gauche, de l’autre côté de l’étranger. Elle se pencha vers lui – elle faisait près d’un pied de plus – et lui parla rapidement à l’oreille, dans sa langue à elle, mais ce qu’il entendit peu après était de l’italien de Toscane, un peu démodé, comme celui de Machiavel, ou même de Dante.

— Vous ne croyez pas un mot de tout ce merdier, n’est-ce pas ?

— Et pourquoi non ? répondit Galilée sotto voce, en toscan.

— Ne soyez pas si sûr que votre compagnon défende vos intérêts au mieux. Peu importe que vous soyez le grand martyr de la science.

Galilée, à qui tout cela commençait à déplaire fortement, répondit très vite :

— Et d’après vous, quels seraient ici mes intérêts ?

— Les mêmes que partout ailleurs, dit-elle avec un sourire entendu. Votre promotion personnelle, exact ?

Au milieu d’une violente harangue adressée à ses adversaires, l’étranger jeta un coup d’œil dans leur direction et repéra le conciliabule de Galilée et de la femme. Il cessa de discuter et agita un doigt dans la direction de la femme.

— Héra, fit-il d’un ton d’avertissement, laissez-le tranquille.

Elle haussa un sourcil.

— Vous êtes mal placé pour dire aux autres de fiche la paix au signor Galilée.

Ce qui fut traduit à Galilée en toscan.

L’étranger fronça sévèrement les sourcils et secoua la tête.

— Cette affaire ne vous regarde pas. Laissez-nous tranquilles.

Il se retourna alors vers l’assemblée, qui faisait maintenant silence pour écouter ce qui se passait.

— C’est avec lui que tout a commencé, fit l’étranger d’une voix tonitruante.

Dans son autre oreille, Galilée entendait la voix de la femme, en toscan :

— Il veut dire que c’est celui que j’ai choisi pour tout commencer.

L’étranger continua, sans autre commentaire de la femme qu’il avait appelée Héra :

— Voici l’homme qui a initié les investigations sur la nature par le biais de l’expérimentation et de l’analyse mathématique. Entre son époque et la nôtre, grâce à sa méthode, la science a fait de nous ce que nous sommes. Lorsque nous avons ignoré les méthodes et les découvertes scientifiques, quand les structures archaïques de la peur et du contrôle ont recommencé à exercer leur influence, il s’en est suivi un désastre complet. Il serait stupide d’abandonner la science maintenant et de risquer la destruction précipitée de l’objet d’étude. Et le résultat pourrait être pire que cela… bien pire que vous ne l’imaginez !

— Vous avez déjà employé cet argument, et vous avez perdu, rétorqua fermement un homme au visage rougeaud. L’intérieur d’Europe peut être étudié à l’aide d’un protocole propre, amélioré, et nous apprendrons ce que nous voulons savoir depuis de nombreuses années. Votre vision est archaïque, vos craintes infondées. Ce que vous avez fait sur Ganymède a altéré votre faculté de discernement.

L’étranger secoua la tête avec véhémence.

— Vous ne savez pas de quoi vous parlez !

— Je me contente d’affirmer ce que le comité scientifique chargé du problème a déjà dit. Qui est antiscientifique, maintenant, eux ou vous ?

Un débat général éclata à nouveau, et dans le chaos Galilée demanda à la grande femme :

— Quelle est la chose que mon protecteur et ses alliés veulent interdire ?

Elle se pencha vers lui pour répondre, à nouveau en italien :

— Ils ne veulent pas que quiconque plonge dans l’océan sous la glace qui se trouve à cet endroit. Ils ont peur de ce qu’on pourrait y trouver, si je comprends bien le ganymédien.

C’est alors qu’un groupe d’hommes habillés de bleu descendit en rebondissant sur les marches de l’autre côté de l’amphithéâtre. Un sénateur vêtu de la même couleur leur adressa de grands gestes et cria à l’étranger :

— Votre objection a déjà été rejetée ! Et vous enfreignez la loi avec cette incursion ! Il est temps d’y mettre un terme !

Puis il désigna les nouveaux venus et ordonna :

— Éjectez ces gens !

L’étranger attrapa Galilée par le bras et le poussa dans la direction opposée. Ses alliés refermèrent les rangs derrière eux, et ils gravirent les marches quatre à quatre. Galilée faillit trébucher, puis il se sentit soulevé par ceux qui l’entouraient. Ils le prirent par les coudes et l’entraînèrent.

En haut des marches, hors de la cuvette de l’amphithéâtre, l’immense cité bleue leur apparut ;elle avait l’air froide sous son plafond bleu-vert, et les gens sur sa vaste strada étaient tellement éloignés qu’ils n’étaient pas plus gros que des souris.

— Aux bateaux ! déclara l’étranger.