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Le livre fut publié en mars 1610. La première édition fut épuisée avant la fin du mois. Des exemplaires circulèrent dans toute l’Europe. En vérité, sa célébrité fut universelle. Dans les cinq ans, on apprendrait qu’il avait été commenté à la cour de l’empereur de Chine.

Malgré ce succès littéraire et scientifique, la maisonnée de Galilée tournait encore à perte, et Galilée était la plupart du temps totalement débordé. Il écrivit à son ami Sagredo : Je suis toujours au service de l’un ou de l’autre. Je me fais, par obligation, dévorer de nombreuses heures du jour – souvent les meilleures – au service des autres. J’ai besoin d’un Prince.

Le 7 mai 1610, il écrivit une nouvelle supplique à Vinta. Il n’était plus temps de tourner autour du pot ; c’était une lettre de demande d’emploi explicite, un vrai chef-d’œuvre de rhétorique. Il réclamait un salaire de mille florins par an, et suffisamment de temps libre pour mener à bien certains travaux qu’il avait en cours. Jetant un coup d’œil à ses carnets poussiéreux, sur son étagère, afin de s’assurer qu’il n’oubliait rien, il dressa la liste de ce qu’il espérait publier si on lui en laissait le temps :

Deux livres sur le système et la constitution de l’univers, une conception globale emplie de philosophie, d’astronomie et de géométrie ; trois livres sur le mouvement local, une science complètement nouvelle, nul, ni ancien ni moderne, n’ayant découvert les nombreuses propriétés stupéfiantes dont je démontre l’existence dans les mouvements naturels et forcés, ce pour quoi je me permets de qualifier de nouvelle cette science, découverte par moi à partir de ses principes premiers ; trois livres sur la mécanique, deux traitant des principes et des fondements, l’un de ses problèmeset bien que d’autres aient écrit sur le même sujet, ce qui a été écrit à ce jour n’est pas le quart de ce que j’écrirai, ni en quantité, ni selon aucun autre critère. J’ai aussi divers petits travaux sur des sujets relevant de la physique, comme Le Son et la Voix, Sur la Vision et les Couleurs, Sur les Marées, Sur la Composition du Continuum, Sur le Mouvement des Animaux, et bien d’autres encore. Je veux aussi écrire sur la science militaire, proposant non seulement un modèle de ce qu’un soldat devrait être, mais aussi des traités mathématiques sur les fortifications, les mouvements de troupes, les sièges, la surveillance, l’estimation des distances et la puissance de l’artillerie ; et une description plus complète de ma boussole militaire…

« … en fait ma plus grande invention… », mais cela il ne l’ajouta pas, « un système qui à lui seul permet de faire tous les calculs militaires que j’ai déjà mentionnés, et de surcroît la division des lignes, d’effectuer une Règle de Trois, de convertir des monnaies, de calculer des intérêts, de réduire de manière proportionnelle des figures géométriques et des solides, d’extraire des racines carrées et cubiques, d’identifier la moyenne proportionnelle, de transformer des parallélépipèdes en cubes, de déterminer les poids relatifs des métaux et autres substances, de décrire des polygones et de diviser une circonférence en parties égales, de trouver la quadrature du cercle ou de toute autre figure géométrique classique, de retirer les batteries d’escarpes des murs – bref, c’est un calculateur universel, capable de procéder à tous les calculs que l’on veut, en dépit de quoi presque personne n’a remarqué son existence, et plus rares encore sont ceux qui en ont acheté un, si stupide est le commun des mortels ! »

Mais ce n’était pas la question, bien que l’accueil réservé à sa boussole le mît encore dans tous ses états et fut l’une des raisons qui motivaient ce mouvement de repli général vers Florence. Ce n’était pas un bon sujet à évoquer, alors il se contenta d’aller à sa conclusion :

Finalement, quant à l’intitulé et à l’envergure de mes tâches, je souhaite qu’en plus du titre de Mathématicien son Altesse ajoute celui de Philosophe. Que j’aie les compétences et que je mérite ce titre, je pourrai le démontrer à leurs Altesses lorsque tel sera leur bon plaisir de me donner une chance de conférer sur ce sujet en leur présence avec les hommes les plus estimés de cette profession…

« tels qu’en eux-mêmes, étant pour la plupart des crétins péripatétiques monstrueusement surpayés ! »

À la relecture de ses dernières envolées lyriques, et en regardant le cuir rouge de leur meilleure lunette astronomique à ce jour, gravé à l’or fin, orné des emblèmes de Florence et des Médicis, il lui sembla que les opportunités offertes à n’importe quel protecteur potentiel étaient trop grandes pour qu’on les lui refuse. Quelle offre d’emploi ! Même la mallette dans laquelle tout avait été rangé pour que le courrier florentin la transporte était magnifique. Qui pourrait refuser une telle proposition ?

Et de fait, le 24 mai 1610, une réponse de Vinta arriva à la maison derrière l’église de Santa Giustina, la maison de la Via Vignali où ils avaient vécu et travaillé tous ensemble pendant dix-huit ans.

Le grand-duc Cosme, écrivait Vinta, accepte vos offres de services.

Le 28 mai, Galilée écrivait pour accepter l’acceptation. Le 5 juin, Vinta répondit, confirmant qu’il porterait le titre de « Mathématicien en Chef de l’Université de Pise et Philosophe du grand-duc ».

Galilée lui répondit aussitôt, demandant que son titre soit changé en celui de « Mathématicien et Philosophe du grand-duc ».

Il demanda en outre d’être absous de toute obligation envers ses deux beaux-frères par suite de défaut de paiement de la dot de ses sœurs. Cela lui permettrait de rentrer chez lui sans avoir à subir des procès embarrassants de la part de ces filous écœurants, ou à redouter une arrestation. S’il les croisait dans la rue, il pourrait leur dire : « Je suis le mathématicien et philosophe du grand-duc, allez vous faire foutre ! »

Tout cela fut acté le 10 juillet 1610, lors de sa désignation officielle. Il devait entrer au service de Cosme en octobre. Ce devait être une nomination à vie.

Il avait un prince.

Le déménagement de Padoue à Florence fut compliqué, et ce qui n’avait jamais été qu’un chaos contrôlé sombra dans le chaos le plus total à l’Hostel Galileo. Entre autres tâches d’ordre plus pratique, Galilée devait gérer un important ressentiment à Padoue et à Venise. Beaucoup des pregadi vénitiens étaient offusqués d’apprendre qu’il faisait fi de leur offre récente, qu’il avait pourtant acceptée, et qualifiaient son attitude d’ingratitude grossière et pis encore. Le procurateur Antonio Priuli était particulièrement amer : « J’espère ne plus jamais avoir à poser les yeux sur cet ingrat trou du cul ! » se serait-il écrié, propos qui furent, bien sûr, aussitôt rapportés à Galilée. Et Priuli n’était pas seul dans ce cas ; la colère était générale. Il était évident que Venise ne lui offrirait plus jamais d’emploi. Il avait joué son va-tout en choisissant Florence, et, comme disaient sinistrement les gens, il avait intérêt à ce que ça marche là-bas, parce que sinon…