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Le long de la route, à l’entrée et à la sortie de toutes les villes où ils s’arrêtèrent au cours de leur périple – San Casciano, Sienne, San Quirico, Acquapendente, Viterbo et Monterosi –, des rangées d’auberges proposaient des lits défoncés, envahis par les puces, dans des chambres où les ronflements le disputaient aux chapardages habituels. Mieux valait passer la nuit dehors, enroulé dans son manteau, sous une cape et une couverture, à regarder le ciel. Jupiter était très haute, et toutes les nuits, il put repérer la position de ses quatre lunes, au début et en fin de soirée, guettant le moment où une lune ralentissait et arrivait au point extrême de son orbite, ou bien le moment où elle entrait dans le côté éclairé de Jupiter même. Galilée était déterminé à être le premier à calculer le temps exact qu’elles mettaient à faire le tour de Jupiter. L’opération serait difficile – même Kepler l’avait écrit. Galilée éprouvait un lien fort avec les lunes, comme si le fait d’en être le découvreur en faisait d’une certaine façon ses propres lunes particulières. Une nuit, il entendit les loups hurler, et le lien lui sembla plus fort que jamais, comme si les loups venaient de Jupiter. Le disque blanc, dans sa lunette, paraissait frémir de vie, et il se sentait empli d’un sentiment qu’il ne pouvait nommer.

Les humides nuits printanières s’écoulèrent donc ainsi, et il s’effondrait dans la litière lorsque les hommes du grand-duc procédaient aux préparatifs de départ, espérant dormir pendant le trajet cahoteux sur la route. De nombreux matins, il y parvint, sombrant dans l’insensibilité pendant quelques heures de voyage. Mais les routines de la nuit et du jour étaient pénibles pour son dos, et il arriva à Rome épuisé.

Le mardi saint, la litière entra dans les immenses faubourgs miteux de Rome. La route, large, était bordée des deux côtés par d’innombrables taudis faits de bouts de bois, comme s’ils avaient été construits par des pies. Une fois à l’intérieur de l’antique enceinte, l’escorte de Galilée clopina lentement à travers les rues pavées, bondées, jusqu’au Palazzo Firenze, près du vieux Panthéon, au milieu de la ville. Rome était maintenant aussi grande que dix Florence. Les constructions entassées les unes sur les autres faisaient souvent trois ou quatre étages, et surplombaient des rues d’autant plus étroites qu’elles étaient plus anciennes. Les gens vaquaient à leurs occupations, certains mettaient leur linge à sécher sur les balcons et faisaient sans se gêner des commentaires sur les gens qui déambulaient au-dessous d’eux.

Les rues étroites s’ouvraient près du fleuve, bordé de champs inondables et de vergers. Bientôt, ils arrivèrent au Palazzo Firenze, qui surplombait un petit campo. C’est là que Galilée devait être hébergé par l’ambassadeur de Cosme à Rome, un certain Giovanni Niccolini, qui avait passé sa vie dans la diplomatie et approchait de la fin d’une longue carrière au service des Médicis. Cet être de qualité apparut à l’entrée du palazzo et accueillit Galilée plutôt fraîchement. Vinta avait écrit à Niccolini pour dire que Galilée serait accompagné par un unique serviteur, et voilà qu’ils étaient deux, Cartaphilus s’étant imposé à la dernière minute. Les arrangements financiers entre le grand-duc et son ambassadeur faisaient l’objet de comptes méticuleux, et peut-être n’était-il pas très clair pour Niccolini qu’il serait remboursé pour l’entretien d’un serviteur supplémentaire. Quoi qu’il en fût, c’est avec une réserve manifeste qu’il conduisit Galilée et sa petite escorte dans une grande suite de pièces à l’arrière du rez-de-chaussée qui donnait sur le jardin officiel. L’espace vert sophistiqué était semé d’antiques statues romaines dont le visage de marbre avait disparu, comme fondu. Quelque chose dans leur allure attira le regard de Galilée et le dérangea.

Une fois installé, Galilée se lança dans un imposant programme de visites à des dignitaires d’une importance stratégique pour ce qu’il voulait faire. L’une des plus cruciales consistait à se rendre auprès du jésuite Christopher Clavius et de ses jeunes collègues, au Collège de Rome.

Clavius le salua dans les mêmes termes qu’il avait employés, vingt-quatre ans auparavant, alors que Galilée était un jeune mathématicien inconnu et que Clavius, bien que tout jeune lui aussi, était connu dans toute l’Europe comme « l’Euclide du seizième siècle ».

— Bienvenue à Rome, jeune signor. Loués soient Dieu et Archimède !

En dépit des années, il n’avait pas beaucoup changé : un homme mince, avec une petite bouche en cul de poule et l’œil bienveillant. Il conduisit Galilée dans l’atelier du collège des jésuites, où ils regardèrent ensemble les lunettes que les mécaniciens du moine avaient construites. Elles ressemblaient à celles de Galilée, et étaient d’une puissance équivalente, bien qu’entachées d’imperfections, ainsi que Galilée le leur dit sans ambages.

Christopher Grienberger et Odo Maelcote les rejoignirent alors, et Clavius les présenta comme ceux qui avaient procédé à l’essentiel des observations ; Clavius se lamenta de sa vue qui baissait avec l’âge.

— Mais j’ai pu contempler plusieurs fois ce que vous appelez vos Étoiles Médicéennes, ajouta-t-il, et il est évident qu’elles tournent autour de Jupiter, comme vous l’affirmez.

Galilée s’inclina profondément. Il se trouvait encore des gens pour soutenir que les lunes n’étaient que des défauts des lunettes de Galilée. Il avait rageusement offert dix mille couronnes à quiconque ferait une lunette qui montrerait des défauts autour de Jupiter et pas autour des autres planètes, et évidemment personne n’était venu les réclamer, mais quand même – tout le monde n’y croyait pas. Ce n’était donc pas rien. Voir, c’était croire, et Clavius avait vu. Galilée se redressa et lui dit :

— Dieu vous bénisse, mon père. J’étais à peu près sûr que vous les verriez, elles sont tellement évidentes, et vous êtes un astronome tellement expérimenté. Et je puis vous dire que lors de mon voyage vers Rome j’ai bien avancé dans la détermination de l’orbite de ces quatre nouvelles lunes.

Grienberger et Maelcote haussèrent les sourcils et échangèrent des regards, mais Clavius se contenta de sourire.

— Je pense que, là, nous sommes d’accord avec Johannes Kepler, ce qui n’est pas fréquent, pour dire qu’il sera très difficile d’établir leur période de rotation.

— Cependant…

Galilée hésita, puis il se rendit compte qu’il avait commis un impair, et laissa tomber l’affaire avec un geste de la main. Il n’était pas utile d’annoncer quoi que ce fût avant d’avoir des résultats ; et en effet, puisqu’il avait décidé d’être le premier à faire toutes les découvertes relatives aux nouvelles étoiles, mieux valait éviter d’inciter ses concurrents à poursuivre leurs efforts. Il était déjà assez déconcertant de s’apercevoir qu’ils avaient réussi à fabriquer des lunettes presque aussi puissantes que la sienne.

Aussi laissa-t-il la conversation dériver vers les phases de Vénus. Ils les avaient également observées, ce qui constituait un fort argument en faveur de la position copernicienne. Il se garda d’insister sur ce point, mais il lisait sur leur visage que cette conclusion s’était déjà imposée à eux. Et ils ne niaient pas les apparitions. Ils croyaient à la lunette, et leurs observations coïncidaient avec les siennes. C’était un signe des plus excellents. Aussi, en envisageant les heureuses implications de leur reconnaissance publique de ce fait, Galilée se remit-il du malaise qu’il avait éprouvé en constatant la puissance de leurs lunettes. C’étaient les astronomes officiels du pape, et ils soutenaient ses découvertes ! Il passa le reste de l’après-midi à échanger des souvenirs avec Clavius et à rire de ses plaisanteries.