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Une fois rentré à Florence, les choses continuèrent sur cette lancée. Il fut dignement fêté par Cosme et sa cour, et il était clair que Cosme était extrêmement satisfait de lui. En réalité, sa performance romaine avait fait paraître particulièrement avisé le parrainage de Cosme.

Le « jeune » Médicis n’était plus si jeune ; il trônait à la tête de sa table en homme habitué à commander, et le garçon dont Galilée se souvenait si bien avait presque entièrement disparu. Physiquement cependant, Cosme n’avait pas trop changé : mince, un peu pâle, ayant presque les mêmes traits que son père, c’est-à-dire le nez long, la tête étroite et le front noble. Il n’était pas très robuste, mais il était maintenant beaucoup plus sûr de lui, ce qui se comprenait : c’était un prince. Et il avait, comme tout le monde, lu son Machiavel. Il avait donné des ordres stricts, auxquels tout le duché s’était plié.

— Maestro, vous avez fait une très forte impression aux Romains, dit-il d’un air satisfait en levant son verre devant l’assemblée. À mon vieux professeur, merveille de notre époque !

Et les Florentins se réjouirent encore plus vivement que les Romains.

Peu après son retour, Galilée fut impliqué dans un débat relatif à l’hydrostatique : pourquoi la glace flottait-elle ? Son adversaire était son vieil ennemi Colombe, le petit merdeux teigneux qui avait essayé de lui accrocher des objections scripturales au cou et par là même de l’envoyer en enfer. Galilée avait hâte de lui enfoncer ses dagues dans le corps alors que ses victoires romaines étaient encore fraîches dans l’esprit de tout le monde, et alla – oui – à la controverse tel un taureau qui aurait vu rouge. Mais il se retrouva frustré par Cosme, qui lui ordonna de ne débattre avec des ennemis aussi insignifiants que par écrit, et de passer par-dessus la tête de ce moucheron pour s’adresser au monde entier. Galilée le fit, écrivant de ces lettres fleuves dont il était coutumier, Cosme lui ordonnant ensuite de débattre du problème oralement avec un professeur de Bologne appelé Papazzoni, que Galilée venait d’aider à obtenir un poste de professeur à Il Bo. Autant attacher un agneau à un piquet pour le faire tuer et dévorer par un lion, mais Galilée et Papazzoni étaient condamnés à jouer leurs rôles respectifs, et Galilée ne put s’empêcher d’y prendre plaisir. Après tout, la mise à mort n’était que verbale.

Puis le cardinal Maffeo Barberini passa par Florence en allant à Bologne. Comme le cardinal Gonzaga se trouvait être, lui aussi, en ville, Cosme les invita tous les deux à assister à une répétition du débat de Galilée sur les corps flottants, qui devait avoir lieu lors d’un dîner à la cour, le 2 octobre. Papazzoni fit de nouveau une apparition, à contrecœur, et après un festin et un concert, et avoir beaucoup bu, Galilée le massacra à nouveau sous les rires rugissants du public. Sur quoi le cardinal Gonzaga se leva et surprit tout le monde en défendant les thèses de Papazzoni. Barberini cependant, avec un sourire appréciateur, se rappelant peut-être leur chaleureuse rencontre du printemps précédent, à Rome, prit parti pour Galilée.

Ce fut donc une nouvelle soirée triomphale pour Galilée. Lorsqu’il quitta le banquet, bien après minuit, et longtemps après le sacrifice de Papazzoni, le cardinal Barberini le prit par la main, lui donna l’accolade, lui souhaita le bonsoir et promit qu’ils se reverraient bientôt.

Le lendemain matin, alors que Barberini s’apprêtait à partir pour Bologne, Galilée ne vint pas assister à son départ, ayant été de manière inattendue retenu chez lui par une maladie dont il avait souffert toute la nuit. De la route, Barberini lui écrivit ce mot :

Je suis vraiment navré que vous n’ayez pu me voir avant que je quitte la ville. Non que je considère comme nécessaire un signe de votre amitié, dont je suis bien assuré, mais parce que vous étiez malade. Puisse Dieu veiller sur vous, non seulement parce que les personnes aussi exceptionnelles que vous méritent une longue vie au service du public, mais aussi à cause de l’affection particulière que j’ai et aurai toujours pour vous. Je suis heureux de pouvoir vous dire cela, et de vous remercier pour le temps que vous m’avez consacré.

Votre frère affectionné,

Cardinal Barberini

« Votre frère affectionné » ! Comme ami haut placé, il se posait là… Il semblait donc qu’il avait désormais un protecteur romain à ajouter à son parrain florentin.

Tout n’était que triomphe. En vérité, il eût été difficile d’imaginer comment les choses auraient pu mieux se passer, depuis deux ans, pour Galilée et son télescope : le statut scientifique, le statut social, un protecteur à Florence et un autre à Rome – tout cela à son summum, et Galilée se tenait légèrement sonné, au faîte de ce qui s’était révélé être une double anno mirabilis.

Aussi, pourquoi retourna-t-il à Rome moins de quatre ans plus tard ?

Parce qu’il y avait des courants souterrains et des forces contraires ; des gens qui faisaient interférence. Des choses se produisaient, même ce matin-là, où Galilée ne vint pas assister au départ du cardinal Barberini. Galilée avait été malade, oui ; il avait fait une syncope en rentrant chez lui après le banquet. Cartaphilus avait sauté de la carriole devant la maison qu’il louait à Florence, il avait arrêté le cheval et ouvert la porte ; et là, dans la petite cour se tenait l’étranger, son énorme télescope déjà fixé sur le gros trépied.

Dans son latin croassant, l’étranger avait dit à Galilée :

« Vous êtes prêt ? »

7

L’Autre Galilée

Une lumière vous est donnée pour connaître le bien du mal, Et le libre arbitre, s’il résiste sans faiblir À sa première bataille contre le Ciel immobile, Si l’on y accorde foi, triomphera de tout ensuite.

Et si le monde aujourd’hui dévie de sa course, La cause est en vous, cherchez-la en vous-même.

Dante, Le Purgatoire, Chant XVI[2]

7.1

— Oui, je suis prêt, répondit Galilée.

Le sang rugissait dans ses veines, faisant palpiter le bout de ses doigts. Il avait peur. Mais il était également curieux. Il dit à l’étranger :

— Montons sur l’altana.

Cartaphilus porta l’énorme télescope au sommet de l’escalier extérieur, en ployant sous le fardeau.

— La gravité locale t’accablerait-elle enfin ? demanda l’étranger sur un ton acerbe.

— Il faut bien que quelqu’un se charge du fardeau, marmonna Cartaphilus en toscan. Tout le monde ne peut pas être un virtuoso comme vous, signor, et s’enfuir à tire-d’aile quand le temps se gâte. Détaler comme un putain de dilettante.

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2

Traduction de Marc Scialorn, Le Livre de Poche, 1996.