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De même, Galilée ne tenait aucun compte de nouvelles complications d’importance. Le général des jésuites, Claudio Aquaviva, avait ordonné à ses gens de n’enseigner que la philosophie aristotélicienne. Sans oublier qu’un exemplaire révisé de la « Lettre à Castelli » de Galilée circulait à Rome, et faisait paraître ses positions encore plus radicales qu’elles n’étaient.

Le pire, c’est qu’on disait que Bellarmino avait récemment ordonné une enquête sur la théorie de Copernic telle que Galilée la présentait. C’était une enquête secrète, mais tout le monde était au courant. Un procès avait donc commencé – un procès secret, qui n’était pas vraiment secret. Telle était l’Inquisition ; les rumeurs faisaient partie de ses méthodes, de sa terreur. Les inquisiteurs aimaient appliquer des pressions qui poussaient à la faute, par panique.

Galilée tomba à nouveau malade, très opportunément. Il passa presque tout l’hiver au lit, misérable et incapable de trouver le sommeil. À Rome, Cesi procéda à des enquêtes pour son compte auprès de Bellarmino lui-même, lui demandant ce que Son Éminence pensait que Galilée devrait faire. Bellarmino répondit que Galilée devrait s’en tenir aux mathématiques, éviter toutes les déclarations sur la nature du monde et se garder en particulier de toute interprétation des Écritures.

— Je serais ravi de le faire ! hurla Galilée d’une voix rauque depuis son lit, agitant dans son poing crispé la lettre de Cesi. Mais comment ? Comment veut-il que je m’y prenne alors que ces vipères incultes invoquent les Écritures pour m’attaquer ? Si je ne peux répondre sur le même terrain, je ne peux pas me défendre du tout !

Ce qui était bien sûr le but recherché. Ils le tenaient. Étant ainsi garrotté dans une double contrainte, il ne pouvait faire autrement que d’étouffer. De même, il commençait à avoir mal à l’estomac, qui ne gardait rien. Il dut rester alité près d’un mois. Sa peur et sa colère étaient palpables, une sueur puante emplissait la chambre. Le sol était jonché de vaisselle brisée, et on ne venait le servir que sur la pointe des pieds. La règle était d’écarter les éclats d’assiettes brisées du bout du pied et de faire comme si tout allait bien, tout en esquivant les objets qu’il vous lançait à la figure. Nous savions tous que les choses étaient loin d’aller bien.

« Il faut que j’aille à Rome, disait-il, répétait-il, comme un rosaire. Il faut que j’aille à Rome. Je dois y aller. »

La nuit, il regardait les lunes de Jupiter, prenait des notes tout en fredonnant un des vieux airs de son père, et s’endormait sur son tabouret en murmurant : « Aidez-moi, aidez-moi, aidez-moi. Faites que j’aille à Rome. »

Finalement, Cosme approuva la visite. Il écrivit à son ambassadeur à Rome pour dire que Galilée venait « se défendre contre les accusations de ses rivaux ». L’ambassadeur devait lui fournir deux chambres à la Villa Médicis, « parce que Galilée a besoin de paix et de tranquillité, à cause de sa mauvaise santé ».

Guicciardini, l’ambassadeur même qui s’était occupé du précédent séjour de Galilée à Rome, était toujours aussi peu impressionné par l’astronome. Il répondit à Cosme en ces termes : Je ne sais pas s’il a changé de théories ou de dispositions, mais ce que je sais, c’est que certains moines dominicains qui jouent un rôle majeur au Saint-Office sont mal disposés à son égard, et ils ne sont pas seuls dans ce cas. Ce n’est pas l’endroit où venir discuter de la Lune et, surtout en ce moment, où arriver avec des idées nouvelles.

C’est pourtant ce qu’il fit. Une litière ducale l’emmena au sud, vers Rome, comme la fois précédente. Au terme d’une rude semaine de voyage, il arriva dans la ville avec Federico Cesi, roulant dans les faubourgs toujours plus encombrés de la grande cité, vers la colline du Pincio, dans le quartier nord-est. La colline s’élevait au-dessus de garennes sordides, grouillantes de gens, de pauvres hères qui avaient migré vers la Cité de Dieu en espérant un secours soit surnaturel, soit profane. Avec Galilée, ça en faisait un de plus.

La Villa Médicis se dressait exactement au sommet de la colline du Pincio, également connue sous le nom de « colline des Jardins » – et à juste titre, les rares villas construites au sommet s’y dressant tels des vaisseaux sur un tumultueux océan de vignes. La Villa Médicis était la grande coque blanche plantée tout en haut, avec une façade de stuc presque dépourvue d’ornementations, tournée vers le centre de la ville. Des galeries plus récentes s’étendaient hors du corps de bâtiment principal dans les grands jardins qui l’entouraient, où l’on pouvait se promener parmi les haies et la magnifique collection d’antiquités que la famille avait rachetée aux Capranicas, à la génération précédente.

L’ambassadeur, Piero Guicciardini, accueillit Galilée sur la vaste terrasse que surplombait la villa. Cet homme élégant, à la barbe noire taillée avec soin, lui réserva un accueil plutôt frais, que Galilée lui rendit bien. Ils évacuèrent aussi rapidement que possible les obligations diplomatiques, après quoi Guicciardini le remit aux bons soins du maître de la maison, Annibale Primi. Lequel Primi était un homme chaleureux, un grand gaillard sanguin à la tête un peu en avant du corps. Il conduisit Galilée et sa suite vers les « deux bonnes chambres » que Cosme lui avait ordonné de mettre à leur disposition. Puis, quand Galilée les eut vues et eut organisé leur disposition avec Cartaphilus, Primi le conduisit à travers les jardins jusqu’au point culminant d’un grand mont de cinquante pieds de haut, érigé artificiellement.

— Ce mont est constitué d’ordures empilées sur le nymphaeum des anciens jardins de Lucullus. Il fournit exactement le surcroît de hauteur dont on a besoin pour avoir une vue sur les autres collines, vous voyez ? On dit souvent que c’est de là qu’on voit le mieux la ville.

Les six autres collines, à des distances variées, empêchaient d’avoir une vue de Rome dans son intégralité, mais la perspective donnait malgré tout une impression presque renversante de son immensité renouvelée – une province entière de toits, à ce qu’il sembla à Galilée, comme un million de plans inclinés installés pour une expérience suprêmement compliquée, entre lesquels le Tibre semait ses éclaboussures d’étain dans l’étendue sillonnée de fumées. Les autres grandes collines étaient occupées de la même façon par des villas, et apparaissaient comme des îles de verdure surgissant de vagues de tuiles, sur lesquelles les vignes et les cyprès traçaient des rayures horizontales et verticales.

— C’est magnifique, dit Galilée en se promenant à l’intérieur du mur circulaire de ce promontoire comme sur une altana vénitienne. Quelle ville ! Il va falloir faire monter un télescope.

— J’aimerais beaucoup.

Avec un large sourire, Primi tira de son sac d’épaule une grande bouteille de vin et la soumit à l’inspection de Galilée.

— Ah ha, fit Galilée en s’inclinant légèrement. Un homme comme je les aime…

— C’est bien ce que je pensais, répondit Primi. Compte tenu de ce qu’on dit de vous. Et puis, après tout, nous sommes là – sur le toit du monde. Quand on arrive à un endroit pareil, autant fêter ça.