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Buonamici apparut un jour à la porte, et quand Cartaphilus put se libérer ils descendirent à la petite église où Sarpi se cachait. Là, ils s’assirent dans la fraîcheur de l’ombre, parmi les poules. Certains gosses des rues jouaient à se lancer de l’eau en soufflant dans des roseaux.

Le maître espion lançait des graines aux maigres volatiles, tout en racontant aux deux hommes une partie de ce qu’il avait appris.

— Il y a quelques semaines, le jeune cardinal Orsini a adressé directement au pape Paul V une supplique concernant Galilée. Il lui exposait la vision de Galilée sur les choses et déclarait qu’il n’y avait pas de contradiction entre cette vision et les Écritures, mais le pape lui a dit que Galilée devait renoncer à ses théories. Comme Orsini se montrait insistant, Paul l’a interrompu en lui disant que cette affaire était justement à l’étude.

— Bellarmino, dit Buonamici.

— Oui. Paul l’a appelé et lui a ordonné de convoquer une congrégation spéciale du Saint-Office, qui devait avoir pour tâche explicite de déclarer l’opinion de Galilée erronée et hérétique. Cette congrégation s’est réunie à peine une poignée de jours plus tard – six dominicains, un jésuite et un prêtre irlandais. Ils ont rapporté au pape que l’idée que le Soleil était au centre de l’univers était « stupide et absurde ». Stultam et absurdam. Ainsi que formellement hérétique. L’idée que la Terre se mouvait était « contraire à la foi » et « en contradiction avec le sens des Saintes Écritures »…

Cartaphilus se mit la tête entre les genoux, en proie à une nausée. Même Buonamici, qui était l’homme le plus calme qui se puisse imaginer, avait pâli.

— Formellement hérétique. Ça, c’est nouveau, non ? demanda-t-il.

— Oui, répondit sèchement Sarpi. Voilà donc pourquoi Galilée a été convoqué chez Bellarmino, afin que le seigneur cardinal puisse lui ordonner d’abandonner la vision copernicienne. S’il refusait, il serait envoyé à Seghizzi, qui lui ordonnerait formellement d’abjurer ses positions. Et s’il refusait d’obéir à cet ordre, il devrait être incarcéré jusqu’à ce qu’il accepte d’obéir.

— Seghizzi a donc sauté une étape…

— Tout cela, souligna Cartaphilus d’un ton sinistre, n’est arrivé que parce que Galilée est venu à Rome pour faire valoir son cas. S’il était tranquillement resté chez lui, il ne se serait rien produit.

Sarpi haussa les épaules et regarda Cartaphilus avec curiosité.

— Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Aussi devons-nous maintenant nous occuper de cette situation.

— Oui, mon père.

— Apparemment, il semblerait aussi que Seghizzi ait déposé dans le dossier de Galilée un document indiquant qu’il a été absolument mis en garde. Ledit document se trouve à présent entre les mains des clercs, au plus profond d’une boîte, dans une étagère d’un bureau des plus reculés. Hors de portée de quiconque voudrait le modifier.

Il y eut un instant de silence, puis les doux bourdonnements de la ville dérivèrent dans l’église, au-dessus d’eux. Les gosses des rues poussaient des cris perçants.

— Nous avons encore quelques angles d’attaque à notre disposition, les rassura Sarpi. Galilée doit parler à nouveau à Bellarmino, parce que Bellarmino est en colère, et que ça peut nous aider. Et je vais voir si je peux obtenir à notre homme une nouvelle audience avec Paul. Évidemment, je devrai faire appel à un intermédiaire : je ne peux pas le lui demander directement !

Son visage hilare était à la fois monstrueux et beau.

Après son entretien avec Bellarmino, Galilée avait commencé par en parler à tout le monde, avec une fureur sans cesse croissante. Les amis qu’il avait à Rome vinrent le trouver et essayèrent de le calmer, mais cela le mettait chaque fois en rogne, et il poussait de tels hurlements que sur la colline du Pincio tout le monde pouvait l’entendre. Cesi passa, puis Antonio Orsini, puis Castelli, mais ça ne fit qu’accroître sa fureur.

De son côté, Guicciardini expédia des lettres à Picchena et Cosme, lettres que tout un chacun pouvait entendre lorsqu’elles étaient dictées, ou lire, à la simple condition de se glisser dans ses bureaux, la nuit, pour y fouiller les sacs du courrier. Une lettre de cette époque disait :

Galilée a davantage suivi ses propres idées que les conseils de ses amis. Le cardinal del Monte et moi-même, ainsi que plusieurs cardinaux du Saint-Office, avons essayé de le persuader de se tenir tranquille et de ne pas jeter d’huile sur le feu. On lui avait dit que s’il voulait se cramponner à ses idées coperniciennes, qu’il s’y tienne en silence, et qu’il ne consacre pas tant d’efforts à essayer de les faire partager par autrui. Tout le monde redoutait que sa venue ici soit préjudiciable et dangereuse, car au lieu de se justifier et de triompher de ses ennemis il risquait d’essuyer un camouflet. C’est effectivement ce qui est arrivé, mais il n’en est que plus chaudement excité par ses idées, et il a un tempérament extrêmement passionné, sans guère de patience et de prudence pour le garder sous contrôle. C’est cette irritabilité qui fait que les deux de Rome sont très dangereux pour lui. Il est passionnément impliqué dans cette querelle, comme s’il en faisait une affaire personnelle, et il ne voit pas à quoi cela pourrait le mener, de sorte qu’il va se mettre en danger, ainsi que tous ceux qui le secondent. Parce qu’il est véhément et absolument obstiné et débordant de passion, si bien qu’il est impossible, lorsqu’il est dans les parages, de lui échapper. Voici une affaire qui n’est pas une plaisanterie, mais qui pourrait avoir de grandes conséquences.

Le même jour, le 6 mars 1616, Galilée écrivait son propre rapport à Picchena, ce qu’il faisait sur une base hebdomadaire. Il s’excusait de ne pas avoir écrit la lettre de la semaine précédente, expliquant que c’était parce qu’il ne s’était rien passé.

La même semaine, on apprit que la Congrégation de l’Index avait ordonné que les livres de Copernic soient retirés de la circulation jusqu’à ce qu’il y soit ajouté des corrections exprimant clairement que son hypothèse n’était qu’une convention mathématique, et non l’affirmation d’un fait physique. Les livres coperniciens de Diego de Zuñiga et de Foscarini furent aussitôt interdits.

Cependant, Galilée n’était pas mentionné dans ce décret, et le mot hérésie n’était pas employé. On ne lui ordonnait pas non plus de paraître devant le tribunal public de l’Inquisition. La mise en garde qu’il avait reçue de Bellarmino et de Seghizzi demeurait donc une affaire privée. Bellarmino et Seghizzi n’en avaient parlé à personne, et Galilée commença, mais un peu tard, à garder pour lui les détails de cette réunion.