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Cela n’empêcha pas que Rome bruissait tout entière de cette nouvelle. Les grandes lignes de l’histoire n’étaient que trop claires. Galilée était venu à Rome faire campagne pour la vision copernicienne, et au lieu de cela – en réalité, à cause de cela – sa vision avait été déclarée formellement fausse et contraire aux Écritures. Beaucoup en étaient ravis, et la rumeur se répandit qu’il avait été, en privé, l’objet d’une admonestation encore plus sévère.

Et voici que Galilée écrivait à Picchena : Je peux prouver que mon comportement dans cette affaire a été tel qu’un saint ne l’aurait pas gérée avec plus de révérence ou avec un plus grand zèle envers la Sainte Église. Mes ennemis n’ont pas été si délicats, ayant eu recours à toutes les machinations, les calomnies et les suggestions diaboliques qui se puissent imaginer.

C’était un tantinet exagéré, mais typique des diatribes acerbes de Galilée contre ses ennemis.

Puis, à la surprise générale, Galilée réussit à obtenir une nouvelle audience avec le pape en personne. C’était un véritable exploit, et compte tenu du rôle que Paul avait joué dans l’instigation des menées contre la vision copernicienne, difficile à expliquer. On disait d’ailleurs que le jeune cardinal Antonio Orsini avait intercédé en sa faveur. Le mardi 11 mars 1616, on trouva donc Galilée et le pape en train d’arpenter le jardin du Vatican, de la même façon qu’en 1611 ils s’étaient promenés dans les vignobles de la Villa Malvasia.

Ils marchaient à la tête de leur suite, mais parlaient assez librement pour que les serviteurs derrière eux puissent entendre la majeure partie de leur conversation. Galilée se plaignit ouvertement de la malignité de ses persécuteurs. Il jura qu’il était un aussi bon catholique qu’un autre, et que tout ce qu’il avait jamais dit ou fait n’avait eu pour seul but que d’éviter à l’Église une malencontreuse erreur qui l’embarrasserait par la suite.

Paul l’écoutait en hochant la tête, et répondit qu’il était bien conscient de la droiture et de la sincérité de Galilée.

Galilée s’inclina profondément, puis pressa le pas pour rejoindre l’immensément sphérique pontife.

— Merci, Votre Sainteté, merci infiniment, mais je dois dire que je suis encore inquiet de l’avenir, à cause de la crainte que j’ai d’être poursuivi par la haine implacable de mes ennemis.

Paul le réjouit brusquement :

— Vous pouvez oublier tous ces problèmes, car nous vous tenons en très haute estime, toute la congrégation et moi-même. Elle ne prêtera pas une oreille bienveillante à ces rapports calomniateurs. Vous pouvez vous sentir en sûreté tant que je serai en vie.

— Merci, Très Saint Père, répondit Galilée, saisissant abruptement la main du pontife et couvrant son anneau de nombreux baisers aussi moustachus qu’enthousiastes.

Paul se laissa faire un moment, son noble regard perdu dans le lointain, puis il indiqua qu’il était temps de prendre congé et s’en retourna vers ses appartements comme un grand vaisseau poussé par une légère brise, Galilée à la remorque lui exprimant ses remerciements dans les termes les plus fleuris. Personne n’avait jamais entendu Galilée s’exprimer avec une telle gratitude obséquieuse, à part peut-être ceux qui l’avaient vu en présence des Médicis, dans les premières années du siècle.

Après cela, Galilée retourna à la colline des Jardins dans une humeur infiniment meilleure. Il renouvela ses efforts pour être autorisé à voir Bellarmino une seconde fois, ce qui se révéla être une longue campagne. De nombreuses semaines plus tard, et encore une fois à la surprise générale, une audience lui fut accordée. Un matin, non loin de la fin du mois de mai, il retourna à la petite maison que le seigneur cardinal avait au Vatican, et l’entretint des rumeurs qui lui étaient revenues de toute l’Italie, lui expliquant combien elles nuisaient à sa réputation et à sa santé. Il ne fit aucune allusion à l’apparition inattendue de Seghizzi pendant sa dernière visite, mais assura à Bellarmino qu’il n’avait, par la suite, parlé de cette réunion à personne (un mensonge incroyable), ajoutant qu’il était sûr que Bellarmino était lui aussi resté parfaitement discret. L’implication était claire : les responsables des rumeurs devaient donc être Seghizzi et ses compagnons.

L’œil de Bellarmino scintilla quelque peu tandis qu’il écoutait tout cela. Il était évident qu’il comprenait ce que cela impliquait. Il hocha la tête, parcourant son bureau du regard comme s’il y avait égaré quelque chose ; peut-être repensait-il à l’intrusion de Seghizzi. Finalement, avec un léger sourire, il appela un secrétaire et lui dicta sur-le-champ un certificat pour Galilée.

Nous, Roberto, cardinal Bellarmino, ayant été informé qu’il était divulgué calomnieusement que le sieur Galileo Galilei avait entre nos mains abjuré, et aussi qu’il lui avait été imposé une pénitence salutaire ; et ayant été requis de proclamer la vérité à ce sujet, déclarons que ledit sieur Galilée n’a abjuré, ni entre nos mains, ni aux mains de personne d’autre ici à Rome, ni ailleurs, à ce que nous savons, aucune opinion ni doctrine soutenue par lui ; et qu’aucune pénitence salutaire ne lui a été imposée ; mais seulement que lui a été notifiée la déclaration faite par le Très Saint Père et publiée par la Sacrée Congrégation de l’Index dans laquelle il est exposé que la doctrine attribuée à Copernic, à savoir que la Terre se meut autour du Soleil et que le Soleil est immobile au centre du Monde et ne se meut pas de l’est à l’ouest, est contraire à la Sainte Écriture, et par conséquent ne doit être ni soutenue ni défendue. En foi de quoi nous avons écrit et paraphé de notre main les présentes, le 26 mai 1616.

Souriant toujours de son petit sourire ironique, Bellarmino signa le document et quand il eut été sablé et séché le donna à Galilée, hochant la tête en le regardant comme pour indiquer que c’était l’avertissement qu’il entendait exprimer depuis le début : ne pas affirmer l’opinion, ni la défendre, mais nulle interdiction de la discuter. Ce document existerait à jamais pour en attester sans ambiguïté.

Guicciardini procéda à sa révision semi-annuelle des comptes de la Villa Médicis et sauta au plafond. Hurlant de toute la force de ses poumons, il dicta une lettre à Picchena :

Étranges et scandaleux furent les agissements qui eurent lieu dans les jardins durant le long séjour de Galilée en la compagnie et sous l’administration d’Annibale Primi, qui a été renvoyé par le Cardinal. Annibale dit qu’il a eu d’énormes dépenses. Quoi qu’il en soit, n’importe qui peut voir qu’ils menaient une vie de débauche. Les comptes sont joints. J’espère que cela suffira à faire rentrer chez lui votre philosophe, afin qu’il mette fin à sa campagne visant à castrer les moines.

Oui, cela suffisait. Le même courrier rapporta à Galilée l’ordre de Cosme, à savoir regagner Florence sur-le-champ.

Pendant la semaine de voyage de retour à Florence, Galilée ne parla à personne de ce qui s’était passé. Il avait l’air songeur et épuisé. La nuit, il sortait son télescope et procédait à ses habituelles observations de Jupiter. Le jour, il ruminait en silence. Il était assez évident pour tout le monde que ses manœuvres s’étaient retournées contre lui, et qu’en allant à Rome renforcer sa position il avait provoqué la situation qui, d’une façon ou d’une autre, bloquait complètement ses travaux et l’avait en vérité amené très près du danger représenté par l’Inquisition. Et c’était loin d’être terminé. Depuis la route, il écrivit une lettre amère à Sagredo :Il n’y a pire haine que celle de l’ignorance pour la connaissance.