Il lui indiqua une porte d’un mouvement de tête. Elle ôta la veste, qu’elle lui tendit sans oser le regarder, et entra.
8.
Elena avait franchi le seuil de la salle de bains avec un sentiment de vive reconnaissance envers Stefan. Pourtant, lorsqu’elle en ressortit, elle était furieuse.
Passant en revue ses égratignures malgré l’absence de miroir, elle avait laissé une foule de sentiments l’assaillir. Et celui qui avait fini par la dominer, c’était la colère envers ce Stefan Salvatore qui lui avait sauvé la vie si froidement. Qu’il aille se faire voir avec sa politesse, sa galanterie, et sa stupide réserve qui l’empêchait de se livrer !
Elle retira l’épingle de ses cheveux pour fermer le haut de sa robe. Après avoir remis de l’ordre dans sa coiffure à l’aide d’un peigne en os trouvé sur le lavabo, elle sortit en affichant un air de défi.
Stefan se tenait à la fenêtre, dans une attitude un détendue. Sans se retourner, il lui indiqua un vêtement de velours posé sur le dossier d’un fauteuil.
— Si tu veux mettre ça par-dessus ta robe…
C’était une grande cape au tissu souple. Elena la mit sur ses épaules, séduite par son contact sensuel sur sa peau. Pourtant, vexée par l’attitude de Stefan, qui ne l’avait pas regardée en lui parlant, elle décida de ne pas se laisser amadouer. Elle se mit à fureter dans la chambre en espérant l’énerver. Après en avoir fait le tour, elle s’approcha du garçon, examinant la commode en acajou, sous la fenêtre. Une magnifique dague au manche d’ivoire et à la garde sertie d’argent y trônait. À côté se trouvaient une sphère dorée incrustée d’un cadran, ainsi que plusieurs pièces d’or. Elle en saisit une, autant parce que cela l’intriguait que pour agacer Stefan.
— Qu’est-ce que c’est ?
Il ne répondit pas tout de suite.
— Un florin d’or. C’est une pièce qui vient de Florence.
— Et ça ?
— Une montre allemande de la fin du XVe siècle. Écoute, Elena…
— Et ça ? Je peux l’ouvrir ?
— Non !
Avec la rapidité de l’éclair, il avait posé la main sur le petit coffret, le maintenant fermé.
— Ça ne regarde que moi, ajouta-t-il, visiblement nerveux.
Sa main avait évité celle de la jeune fille. Quand elle l’effleura du bout des doigts, il l’ôta aussitôt Alors, la colère d’Elena explosa :
— Tu as raison d’éviter de me toucher, dit-elle d’un ton agressif. Tu pourrais attraper la gale…
Il se détourna vers la fenêtre sans un mot. Elena se mit à arpenter la pièce, mais elle sentait qu’il observait son reflet dans la vitre. Avec ses cheveux clairs lâchés sur les épaules et sa main blanche tenant le manteau fermé, elle devait ressembler à une princesse en détresse faisant les cent pas dans sa tour.
Alors qu’elle remarquait la trappe dans le plafond, un soupir lui fit tourner la tête : Stefan, apparemment troublé, avait les yeux fixés sur son cou. Très vite, pourtant, elle vit ses traits retrouver leur dureté.
— Je ferais mieux de te ramener chez toi, lui dit-il.
À ce moment, elle aurait voulu le faire souffrir, ou du moins le mettre aussi mal à l’aise qu’elle l’était à cause de lui Cependant, elle commençait à être lassée de ses innombrables complots pour percer Stefan à jour. Elle ne désirait plus qu’une chose : affronter la vérité. Elle osa enfin poser la question qui lui trottait dans la tête depuis si longtemps :
— Pourquoi tu me détestes ? Il la regarda, un peu désemparé, puis répondit :
— Je ne te déteste pas.
— Si… je le sais… je ne t’ai pas remercié, tout à l’heure, et je ne le ferai pas davantage maintenant. Tu vois, en plus, je ne connais pas les bonnes manières…
Je n’ai aucune reconnaissance envers toi. Je ne t’ai rien demandé, d’ailleurs : je ne savais pas que tu étais dans le cimetière. En fait, je ne comprends même pas pourquoi tu m’as sauvée, vu la haine que je t’inspire…
— Je ne te déteste pas, répéta-t-il doucement.
— Reconnais-le au moins : depuis le début, tu m’évite comme la peste. J’ai pourtant essayé d’être sympa avec toi… C’est comme ça qu’un gentleman se conduit quand quelqu’un lui souhaite la bienvenue ?
Il voulut l’interrompre, mais elle reprit de plus belle :
— À chaque fois, tu m’as ignorée devant tout le monde… Tu m’as humiliée devant mes amis… Et tu m’as adressé la parole ce soir uniquement parce que j’étais en danger de mort. Il fallait que je me fasse assassiner pour que tu daignes me parler, c’est ça ? Même maintenant, je ne peux pas te frôler sans que tu fasses un bond en arrière… C’est quoi ton problème, à la fin ? Qu’est-ce qui t’empêche de te confier ? Réponds-moi ! Qu’est-ce que tu as ?
Le visage de Stefan était plus fermé que jamais. Elena inspira profondément, essayant de lutter contre les larmes qui lui montaient aux yeux. Elle ajouta d’un ton moins dur :
— Pourquoi tu ne m’adresses pas un regard alors que tu laisses Caroline te mener par le bout du nez ? J’ai quand même bien le droit de comprendre ça, non ? … Quand tu m’auras répondu, je te laisserai tranquille, promis. Si tu veux, je ne te parlerai plus. Alors, pourquoi tu me détestes à ce point, Stefan ?
Il leva enfin les yeux. La souffrance qu’elle y lut la renversa. Son aveu était-il si difficile ?
— C’est vrai, tu as le droit de savoir, dit-il enfin d’une voix mal assurée, où perçait une vive émotion. Je ne te déteste pas… je ne t’ai jamais détestée… Mais, tu me rappelles… quelqu’un…
Elena était stupéfaite. Elle n’aurait jamais imaginé pareille réponse.
— Je te rappelle quelqu’un ?
— Oui, quelqu’un que j’ai connu. Mais… en fait, tu ne lui ressembles que physiquement. Elle était vulnérable et fragile, ce que tu n’es pas.
— Ah bon ?
— Toi, au contraire, tu es une battante. Tu es… unique.
Pendant un instant, elle chercha en vain une réplique. Sa colère s’était évanouie devant la douleur de Stefan.
— Tu étais très proche d’elle ?
— Oui.
— Et que s’est-il passé ?
Le silence qui suivit fut si long qu’elle crut ne jamais recevoir de réponse. Enfin, il laissa échapper ces mots :
— Elle est morte.
Elena pensa aussitôt à la tombe de ses parents.
— Oh, je suis désolée…
Il resta muet, la même froideur imprimée sur le visage. Perdu dans la contemplation du vide, ses traits trahissaient pas seulement le chagrin : Elena y décela une insupportable culpabilité, qui lui fit oublier tous ses griefs. Elle s’approcha de lui.
— Stefan, murmura-t-elle.
Mais il ne semblait pas l’entendre. Sans y penser, elle lui posa une main sur le bras.
— Stefan, reprit-elle, je comprends ce que tu ressens, tu sais…
— Tu ne peux pas comprendre !
Sa colère avait éclaté avec une violence terrible. Baissant les yeux sur la main d’Elena, il découvrit que la jeune fille avait osé le toucher. Il la repoussa sans ménagement et, à l’aide de son bras levé, il para même une nouvelle tentative d’approche.
Alors, sans comprendre comment la chose s’était produite, il se rendit compte, stupéfait, que leurs doigts s’étaient entrelacés… Sa main serrait maintenant celle d’Elena comme si sa vie en dépendait…
— Elena… , dit-il dans un murmure qui ressemblait à un cri de grâce.
Elle vit une ombre d’angoisse passer dans son regard, comme si elle était un puissant adversaire contre lequel il renonçait à lutter. Vaincu, il approcha ses lèvres des siennes.
— Attends, arrête-toi là, demanda Bonnie. Je crois que j’ai vu quelque chose.