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— Qu’est-ce qui se passe ?

Elle les rejoignit en quelques pas, et vit que Bonnie pleurait.

— Il est… mort…

Horrifiée, Elena se courba à son tour sur la forme inerte à ses pieds. C’était son pékinois, couché sur le flanc, raide et les yeux ouverts.

— Oh, ma pauvre…

— Il était vieux, c’est vrai, mais je ne pensais pas qu’il mourrait si subitement ! Quand je pense qu’il était en train d’aboyer il y a à peine quelques minutes…

— Ça ne sert à rien de rester là, dit doucement Meredith. Il faut rentrer.

Elena avait hâte de rejoindre la maison, elle aussi, car elle se méfiait plus que jamais de l’obscurité, à présent, elle réfléchirait à deux fois, désormais, avant d’inviter quiconque à entrer chez elle…

Lorsqu’elle regagna le salon, son journal avait disparu. Stefan fut dérangé par un bruit qui lui fit lever la tête. La biche sur laquelle il était penché profita de cet instant pour tenter de se libérer de sa morsure.

— Allez, va-t’en, murmura Stefan en la relâchant.

Il regarda l’animal se hisser sur ses pattes et disparaître dans les taillis en se disant qu’il avait absorbé suffisamment de sang : la pointe de ses canines était devenue hypersensible, comme à chaque fois qu’il s’abreuvait longuement. Il était toutefois de plus en plus difficile de savoir quand il devait s’arrêter. Depuis le soir où il était entré dans l’église, il n’avait qu’une peur, celle d’éprouver un malaise identique et d’en faire subir les conséquences à quelqu’un d’autre…

En réalité, il vivait surtout dans la hantise de se réveiller un jour, le corps gracile d’Elena dans ses bras, sa gorge délicate percée de deux petits trous rouges, et son cœur au repos pour l’éternité.

Cette soif de sang, à laquelle il était pourtant soumis depuis des siècles, lui posait toujours autant de questions : comment pouvait-il ressentir un si vif plaisir accompagné d’un si profond sentiment d’horreur ? Il s’imposa la réaction qu’aurait un être humain si on lui offrait de boire ce nectar à même un corps chaud, Il serait sans doute profondément dégoûté…

Mais la nuit où lui-même en avait goûté pour la première fois, une telle proposition n’avait pas été formulée. Les années n’avaient effacé aucun détail du moment où Katherine avait permis sa transformation. La jeune fille devait rendre sa décision le lendemain.

Elle était apparue dans sa chambre pendant son sommeil, avec la légèreté d’un fantôme, vêtue d’une fine chemise de lin. Il fut réveillé par sa main blanche écartant les rideaux du lit. Il se dressa sur son séant, mais lorsqu’il vit ses cheveux blond cendré en cascade sur ses épaules et ses yeux bleus remplis d’ombre, l’émerveillement le laissa sans voix. Il ne l’avait jamais vue si belle : son amour pour elle le submergea avec une immense force. Comme il s’apprêtait à parler, tout tremblant d’émotion, elle lui posa ses doigts sur la bouche.

— Chut…

Et quand elle se glissa à ses côtés en faisant craquer le bois du lit, le cœur de Stefan se mit à battre à tout rompre, et le feu lui monta aux joues. Pour la première fois, une femme partageait son lit, et c’était Katherine, dont le visage angélique était penché vers lui. Il l’aimait plus que tout. Il fit un grand effort pour sortir de son état de béatitude.

— Katherine, murmura-t-il. Nous… Je peux attendre, tu sais. Je saurai patienter jusqu’à ce que nous soyons prêts. Mon père arrangera tout la semaine prochaine,… Ce ne sera pas long…

— Chut… répéta-t-elle.

Au contact de sa peau fraîche, il ne put s’empêcher de l’enlacer.

— Ce n’est pas ce que tu penses… , dit-elle en lui caressant la gorge de ses doigts fins.

Alors, il comprit. Réconforté par la douceur de Katherine, il oublia la peur qui l’avait traversé l’espace d’un instant, et se résigna à toutes ses volontés.

— Allonge-toi, mon amour, murmura-t-elle.

Mon amour. Ces mots firent bondir son cœur de joie ; la tête sur l’oreiller, il exposa sa gorge avec obéissance. Les cheveux soyeux de Katherine glissèrent sur son visage, sa bouche vint se coller à son cou, puis ses dents s’y plantèrent La douleur aiguë l’aurait fait crier si son désir de contenter Katherine n’avait été le plus fort. D’ailleurs, la souffrance s’atténua presque aussitôt, laissant place à un grand bien-être : il était tellement heureux de se donner !

Puis, ce fut comme si leurs deux esprits entraient en communion : il partageait la joie que Katherine ressentait en aspirant ce sang chaud et vivifiant ; elle savait à quel point ce cadeau le comblait. Stefan sombra lentement dans une torpeur qui lui ôtait la faculté de penser, l’emportant dans un autre univers…

Lorsqu’il reprit connaissance, il était dans les bras de Katherine, qui le berçait doucement. Elle guida sa bouche vers une petite coupure, dans son cou, tout en lui caressant les cheveux d’un geste encourageant. Il plaqua ses lèvres sur la plaie sans hésiter, et aspira.

Stefan chassa d’un geste méthodique les brindilles accrochées à ses vêtements. Ces souvenirs avaient réveillé son appétit : il n’avait plus la sensation d’être rassasié. Les narines frémissantes, il se remit en chasse, à l’affût de l’odeur musquée du renard.

12.

Elena fit lentement tournoyer sa robe devant le grand miroir de sa tante. Margaret, assise par terre contre le grand lit, regardait sa sœur, les yeux écarquillés d’admiration.

— Moi aussi je veux une robe comme toi quand je dirai « La bourse ou la vie ».

— Tu es bien plus mignonne avec ton costume de petit chat blanc… , affirma Elena en l’embrassant entre ses deux oreilles de velours.

Elle se tourna vers tante Judith, qui tenait une aiguille et un fil.

— Elle est parfaite, dit celle-ci. Il n’y a rien à retoucher.

Sa robe était une réplique exacte de celle trouvée dans son livre. Elena avait les épaules dénudées et la taille enserrée dans un corset qui en soulignait la finesse ; ses manches de sa robe étaient fendues de façon à laisser deviner la soie crème de la chemise en dessous, et la longue jupe bouffante balayait le sol dans un bruissement d’étoffe.

La pendule indiquait 18 h 55.

— Stefan ne devrait pas tarder à arriver, dit Elena.

Judith jeta un coup d’œil par la fenêtre.

— D’ailleurs, je crois bien que c’est sa voiture, en bas. Je descends lui ouvrir.

— Non, laisse, j’y vais. Allez, bonne soirée ! Amuse-toi bien, Margaret !

Elle se précipita dans l’escalier dans un grand état de stress. Elle avait l’impression de revivre l’instant où elle avait parlé à Stefan pour la première fois. Elle espérait que ça se passerait mieux, cette fois. Pourtant, un doute faisait faiblir les espoirs qu’elle avait mis dans cette soirée.

Si l’osmose ne revenait pas entre eux ce soir-là, tout serait fini…

Elle lui ouvrit la porte sans oser le regarder tout de suite. Mais, comme il ne disait rien, elle finit par lever les yeux, et sentit son cœur défaillir. Il était stupéfait, certes, mais ce n’était pas d’émerveillement. Il était sous le choc.

— Tu n’aimes pas ma robe… , murmura-t-elle.

Elle avait les larmes aux yeux.

Il se reprit aussitôt, comme toujours, en secouant la tête.

— Non, elle te va très bien… pourtant, il restait planté là comme s’il venait de voir un fantôme, Elena espérait qu’il allait enfin la prendre dans ses bras et l’embrasser. En vain.