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— Vous avez vu son blouson ? Il vient d’Italie. Peut, être même de Milan.

— À t’entendre, on dirait que c’est là-bas que tu fais ton shopping, alors que t’es jamais sortie de ce trou !

— Hé ! Regardez Elena ! Elle a son regard de chasseuse…

— Bel inconnu brun mais petit devrait se méfier…

— Il est pas petit, il est parfait !

La voix de Caroline s’éleva par-dessus le brouhaha :

— Dis donc, Elena, t’as déjà Matt, ça devrait te suffire, non ? Qu’est-ce que tu ferais de deux mecs ?

— La même chose, mais deux fois ! railla Meredith.

Elles éclatèrent de rire. Le beau garçon avait refermé la portière et se dirigeait vers le lycée. L’air de rien, Elena lui emboîta le pas, suivie des autres filles, en groupe compact. Ça l’agaçait : où qu’elle aille, elle avait toujours quelqu’un sur les talons. Meredith sourit en croisant son regard contrarié.

— C’est ce qu’on appelle le revers de la médaille.

— Quoi ?

— Si tu veux continuer à être la reine du lycée, il faut en accepter les conséquences.

Elles pénétrèrent dans le bâtiment principal, et aperçurent, à quelques mètres devant elles, la silhouette rêve tue d’un blouson de cuir : elle s’engouffrait dans l’un des bureaux. Elena s’approcha en faisant mine de s’intéresser au tableau d’affichage, juste à côté de la porte vitrée du bureau. Les autres filles s’agglutinèrent immédiatement autour d’elle.

— Jolie vue !

— C’est un Armani, son blouson, j’en suis sûre.

— Tu crois qu’il est américain ?

Elena tendait l’oreille dans l’espoir de surprendre le nom de l’inconnu. Dans le bureau, Mme Clarke, la secrétaire chargée des inscriptions, regardait une liste tout en secouant la tête. Le garçon parla, et elle leva les yeux au ciel, l’air de dire : « Que voulez-vous que j’y fasse ? » Puis, elle scruta une nouvelle fois la liste et remua la tête, d’un air catégorique cette fois. Il s’apprêtait à faire demi-tour, mais se ravisa.

Elena vit l’expression de Mme Clarke se métamorphoser. L’inconnu avait ôté ses lunettes noires pour fixer la secrétaire, qui avait les yeux écarquillés ; sa bouche s’ouvrit, mais aucun mot ne parut en sortir. Le regard rivé à celui du garçon, elle se mit à farfouiller dans ses papiers et finit par trouver un formulaire sur lequel elle griffonna quelque chose avant de le lui tendre. Il le remplit hâtivement, le signa et le lui rendit. Mme Clarke jeta un bref coup d’œil à la feuille, mais elle semblait incapable de quitter l’inconnu des yeux très longtemps. Elle explora à tâtons une pile de documents et lui tendit ce qui ressemblait à un emploi du temps. Il la remercia d’un hochement de tête avant de quitter le bureau.

Elena brûlait de curiosité. Comment avait-il réussi à persuader la secrétaire ? Et surtout, à quoi ressemblait-il sans ses lunettes ? Elle fut très déçue de constater qu’il les avait remises sitôt sorti du bureau. Elle put néanmoins l’observer plus attentivement : les cheveux ondulés encadraient un visage aux traits si fins qu’il ressemblait aux profils de la Rome antique frappés sur certaines pièces de monnaie. Des pommettes saillantes, un nez droit… et une bouche irrésistible ; la lèvre supérieure était sculptée à la perfection, révélant à la fois sensibilité et sensualité. Les autres filles restaient muettes d’admiration. La plupart détournèrent timidement les yeux. Elena, immobile jusqu’alors, défit le ruban qui retenait ses cheveux, les libérant d’un mouvement de tête.

L’inconnu s’engagea dans le couloir sans l’honorer d’un seul regard. Dès qu’il fut hors de vue, un concert de chuchotements s’éleva. Elena était trop interloquée pour y prêter attention : il était passé devant elle en l’ignorant ! Perdue dans ses pensées, elle entendit à peine la cloche sonner. Meredith la tirait par le bras.

— Quoi ?

— Voilà ton emploi du temps. On a maths au deuxième étage. Allez, grouille-toi !

Elle se laissa entraîner jusqu’à leur salle, s’installa à un bureau et fixa le professeur d’un air absent. Elle était encore sous le choc. Il ne lui avait même pas jeté un coup d’œil… Elle ne se souvenait pas avoir été traitée ainsi par un garçon. Tous la dévoraient des yeux, sans exception.

Certains sifflaient d’un air admiratif, d’autres osaient lui parler, d’autres encore ne faisaient que la contempler. Et elle avait toujours trouvé ça parfaitement normal.

Après tout, les garçons étaient son centre d’intérêt favori : leurs réactions lui donnaient une idée de sa beauté et sa cote de popularité, sans compter toutes les autres choses auxquelles ils pouvaient servir… Parfois même.

Il s’en trouvait des passionnants, mais ça ne durait jamais et très longtemps. Certains, en revanche, étaient carrément insupportables dès le départ. Elena comparait la plupart d’entre eux à de braves toutous : adorables au début, puis vraiment lassants. Seuls quelques-uns parvenaient à franchir ce cap, comme Matt. Matt… L’an dernier, elle avait espéré qu’elle éprouverait pour lui un sentiment qui dépasserait le plaisir de la conquête et la fierté de s’afficher avec lui devant ses copines. Peu à peu, elle avait nourri une sincère affection à son égard. Mais pendant l’été, elle s’était rendu compte qu’elle l’aimait comme un frère. Mme Halpern distribuait les manuels de géométrie.

Elena prit le sien et écrivit machinalement son nom à l’intérieur.

C’était pour cette raison qu’elle avait décidé de lui annoncer que leur histoire était finie. Elle n’avait pas osé lui écrire, et elle ne savait toujours pas comment le lui dire. Elle ne craignait pas tant sa réaction à lui que de s’embrouiller, elle. Chaque fois qu’elle pensait avoir trouvé le bon, elle réalisait qu’elle s’était trompée, et qu’il manquait quelque chose à leur relation. Et il lui fallait recommencer.

Heureusement, les candidats ne manquaient pas. Jamais aucun garçon ne lui avait résisté… , jusqu’à aujourd’hui. Au souvenir de cet horrible moment, elle serra rageusement les doigts autour de son stylo, Comment avait-il pu la snober ainsi ? La cloche sonna, libérant les élèves, qui se ruèrent dans le couloir. Elena s’arrêta sur le pas de la porte pour scruter les alentours. Elle aperçut enfin une des filles qui étaient avec elle sur le parking.

— Hé, Frances, viens voir !

La jeune fille approcha, tout sourire.

— Tu sais, le mec de ce matin…

— Le canon à la Porsche ? Je ne suis pas prête de l’oublier…

— Voilà : je veux son emploi du temps. Débrouille-toi, fouille dans les bureaux, demande-le-lui carrément, mais trouve-le-moi !

Frances eut d’abord l’air étonné, puis elle sourit en hochant la tête.

— OK, je vais essayer. Je te rejoins à la cantine si j’ai quelque chose.

— Merci.

Elena regardait Frances s’éloigner quand une voix chuchota à son oreille :

— Tu sais quoi ? T’es complètement tarée !

— Meredith, c’est moi la reine du lycée, il faut bien que ça me serve à quelque chose de temps en temps. — Bon, et maintenant, j’ai quoi comme cours ?

Son amie lui fourra un emploi du temps dans les mains.

— Toi, t’as éco, moi, chimie. J’y vais, je suis en retard. À plus !

L’économie et le reste de la matinée passèrent comme un rêve. Elena regretta de n’avoir aucun cours en commun avec le bel inconnu. En revanche, elle se retrouva dans la même salle que Matt ; elle eut un pincement au cœur en croisant ses beaux yeux bleus remplis de joie.

À l’heure du déjeuner, elle se dirigea vers la cantine, tout en saluant en chemin ceux qu’elle n’avait pas encore vus. Caroline, nonchalamment adossée à un mur, près de l’entrée, l’air fier et la taille cambrée, discutait avec deux garçons, qui se turent en se donnant des coups de coudes dès qu’ils virent Elena.