Tous répondirent par la négative. En scrutant les visages les uns après les autres, Elena ne vit que de la méfiance. Stefan était différent, en particulier parce qu’il venait d’un autre pays. L’inconnu n’inspire jamais confiance. Ils avaient besoin d’un coupable, et il était tout trouvé.
— J’ai entendu dire… , commença la fille en kimono rouge.
— Exactement ! l’interrompit Tyler. Tu as entendu dire. Des rumeurs, voilà tout ce qu’on a. Personne ne sait rien de lui. Sauf que les agressions de Fell’s Church ont commencé la semaine de la rentrée des classes. C’est-à-dire lorsque Stefan Salvatore est arrivé ici !
Un murmure se répandit dans toute l’assemblée. Elena elle-même était sous le choc. Évidemment, c’était ridicule ; une coïncidence, tout au plus. Mais elle était forcée d’admettre l’exactitude de cette remarque : les agressions avaient commencé le jour de la venue de Stefan.
— Et je sais autre chose, cria Tyler en gesticulant pour obtenir le silence. Taisez-vous. J’ai autre chose à vous dire.
Il attendit que tout le monde se soit tu.
— Il était dans le cimetière le soir où Vickie Bennett s’est fait attaquer.
— Bien sûr qu’il y était, intervint Matt, puisqu’il te refaisait le portrait !
Mais le ton employé manquait de conviction. Tyler en profita pour rebondir :
— Oui, et il a failli me tuer. Et ce soir, Tanner a été assassiné. Moi, je suis sûr que c’est Salvatore l’assassin !
— Où est-il ? demanda quelqu’un.
— Il est forcément dans les parages. Trouvons-le ! Répondit le harangueur.
— Stefan n’a rien fait ! s’écria Elena, mais le brouhaha avait couvert sa voix, chacun scandant les paroles de Tyler :
— Trouvons-le… Trouvons-le… Trouvons-le…
La colère et la soif de vengeance avaient succédé à la méfiance ; la foule ne tarderait pas à être incontrôlable.
— Elena, dis-nous où il est, ordonna Tyler.
L’étincelle de la victoire luisait dans ses yeux et une joie perçait dans sa voix. Elena aurait voulu le frapper.
— Je n’en sais rien ! répondit-elle sur le ton du défi.
— Il est forcément ici… Il faut le trouver ! hurla quelqu’un.
Le groupe se mit en mouvement dans le désordre le plus complet, et les cloisons achevèrent d’être jetées à terre et piétinées. Elena assistait impuissante à ce déchaînement. La pensée de ce qui pourrait arriver à Stefan assailli par cette horde l’horrifiait. Elle aurait désiré le prévenir, mais Tyler pourrait avoir l’idée de la suivre : elle le mènerait malgré elle jusqu’à lui. Elle jeta un coup d’œil à la ronde, espérant trouver de l’aide. Bonnie fixait toujours, sous le choc, le visage sans vie de M. Tanner. Elle ne lui serait d’aucun secours.
Restait Matt. Il semblait en colère, et un peu décontenancé. Elle le supplia du regard. Elle espérait de tout ce qu’il fût toujours de son côté. Mais il était visiblement indécis. Elle mit toutes ses facultés de persuasion dans ses yeux, en essayant de lui faire comprendre que lui seul pouvait l’aider, et qu’il devait faire confiance à Stefan malgré tout. Il finit par céder, hochant la tête d’un signe affirmatif, avant de disparaître dans la foule.
Matt atteignit l’autre extrémité du gymnase sans trop de difficultés. Des élèves de première se tenaient près de la porte menant aux vestiaires. D’un ton sans appel, il leur ordonna d’aller relever les cloisons tombées à terre, ce qu’ils firent sans protester. Il en profita pour se glisser dans la pièce.
Il scruta les alentours, sans oser appeler Stefan, de peur que sa voix porte de l’autre côté. De toute façon, son camarade avait dû entendre les clameurs qui provenaient du gymnase, et il était probablement déjà parti. Son regard s’arrêta sur une silhouette noire allongée sur le carrelage blanc.
— Stefan ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
L’espace d’un instant, Matt crut qu’il était mort. Mais, en s’agenouillant près de lui, il le vit remuer faiblement.
— Ça va ? Tiens, appuie-toi sur moi.
— Oui, ça va…
L’affirmation de Stefan était démentie par son teint livide, ses pupilles dilatées à l’extrême, et son air désemparé.
— Merci, Il faut que tu partes d’ici tout de suite. Tu ne les entends pas ? Ils te cherchent !
— Qui ça ? Qui me cherche ?
— Tout le monde… J’ai pas le temps de t’expliquer. Tu dois t’enfuir. Comme Stefan restait sans réaction, il ajouta :
— M. Tanner a été attaqué, et… il est mort. Tout le monde pense que c’est toi qui l’as tué.
Enfin, Stefan parut comprendre. Il eut l’air tout à coup horrifié, mais, curieusement, un peu résigné aussi. Matt le saisit fermement par les épaules.
— Je sais très bien que tu n’as rien fait, Stefan. Et les autres finiront bien par s’en rendre compte aussi. Mais, en attendant, il vaut mieux t’en aller.
— M’en aller… oui, dit Stefan d’un ton de regret. Je vais… y aller.
Stefan fixait Matt d’un regard si brûlant que celui-ci ne parvenait pas à s’en libérer.
— Promets-moi de prendre soin d’Elena…
— Mais, Stefan, qu’est-ce que tu racontes ? Tu es innocent, tout va bien se passer.
— Promets-moi, c’est tout…
— Je veillerai sur elle, dit-il doucement. Alors, Stefan quitta la pièce.
13.
Elena attendait de pouvoir s’éclipser du groupe d’adultes qui l’entourait. Elle savait que Matt avait réussi à prévenir Stefan à temps — il lui avait fait comprendre d’un signe discret — mais elle n’avait pas pu encore lui parler.
Lorsque l’attention se porta sur le cadavre, elle put enfin rejoindre son ami.
— Stefan est parti sans problème, dit-il sans quitter l’assemblée des yeux. Mais il m’a demandé de prendre soin de toi, alors je ne te quitte plus, maintenant.
— Comment ? s’étonna Elena, à la fois méfiante et inquiète.
Puis, au bout de quelques secondes de réflexion, elle ajouta dans un murmure :
— Je vois… Écoute, Matt, il faut que j’aille me laver les mains ; Bonnie ma mis du sang partout attend moi ici, je reviens.
Il n’eut même pas le temps de protester. Elle montra mains au professeur qui gardait l’entrée des vestiaires il la laissa passer. Une fois à l’intérieur, elle s’avança sans hésiter vers la porte du fond, qui donnait dans le lycée désert, l’ouvrit, et s’enfonça dans la nuit.
Zuccone ! pensa Stefan en balayant du revers de la main la surface d’une étagère, faisant valser une sériel de livres. Quel idiot ! Comment avait-il pu être aussi stupide, aussi aveugle ? C’était insensé d’avoir espéré une seule seconde se faire accepter !
Il attrapa une malle, et la jeta à travers la pièce, où elle alla se fracasser contre un mur. La vitre qui le surplombait se fendit.
Tout le monde le haïssait ! Matt lui avait bien dit qu’ils le prenaient tous pour l’assassin. Et pour une fois, ces barbares, ces gens qui avaient peur de tout ce qu’ils ne comprenaient pas, avaient raison. Comment, sinon, expliquer ce qui s’était passé ? Il s’était senti faible tout à coup, puis son esprit avait sombré dans un état de grande confusion. Ensuite, c’était le trou noir. Lorsqu’il avait rouvert les yeux, Matt se tenait devant lui et lui disait qu’un autre massacre avait été commis. Lui seul avait pu vider de son sang cette nouvelle victime. C’était tout ce qu’il était, après tout, un assassin. L’incarnation du Mal, une créature destinée à vivre dans les ténèbres, à y chasser, et à s’y tapir pour l’éternité. Alors, pourquoi ne pas suivre sa nature ? Pourquoi réfréner ce besoin de tuer ? Puisqu’il ne pouvait rien y changer, autant s’adonnant pleinement au crime. Il allait lâcher toute sa noirceur sur cette ville qui le détestait…