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Elle le tint longtemps ainsi, caressant sa nuque tandis qu’il pleurait toutes les larmes de son corps ; elle murmurait des paroles apaisantes en essayant de lutter contre son propre sentiment d’horreur. Enfin, se calmant un peu, il leva la tête.

— Le parchemin était adressé à Damon et moi, continua-t-il péniblement. Katherine y avait écrit qu’elle regrettait son égoïsme et ne supportait pas d’être la cause de notre haine. Elle espérait que son départ nous pousserait à la réconciliation.

Elena avait les larmes aux yeux.

— Oh Stefan, c’est si triste… , dit-elle, pleine de compassion. Mais tu ne trouves pas, avec le recul, que Katherine a mal agi ? Elle vous a imposé son choix, sans penser à vous. Aucun de vous deux n’est responsable de sa mort.

Stefan n’était pas encore prêt à accepter une autre version que la sienne.

— Non… Elle s’est sacrifiée à cause de nous… Nous l’avons tuée…

Il avait l’air d’un petit garçon désemparé. Il continua :

— Damon est arrivé derrière moi, a pris le parchemin et l’a lu. Alors, il est devenu comme fou. Il a aussitôt essayé de m’arracher la bague de Katherine, que j’avais ramassée. Ça m’a mis hors de moi : nous nous sommes battus en nous couvrant d’insultes, et en nous accusant de sa mort. J’étais dans un tel état de fureur que je ne me suis même pas aperçu que nous nous étions approchés de la maison, l’épée à la main. Tout ce que je sais c’est que je voulais en finir avec cet odieux individu en qui je ne pouvais plus voir un frère. Lorsque nous avons entendu mon père crier de la fenêtre, nous nous sommes battus encore plus violemment pour en avoir terminé quand il arriverait. Damon avait toujours eu le dessus sur moi, même si nous étions à peu près de la même force. Ce jour-là, il fut le plus rapide, déjouant ma garde pour me transpercer le cœur d’un seul coup, avec une violence inouïe. La froideur du métal m’a submergé de douleur, et la vie m’a abandonné lentement. Je suis tombé. Voilà comment… je suis mort.

Elena était stupéfaite.

— Damon s’est penché vers moi, continua-t-il. J’entendais les hurlements de mon père et des serviteurs, mais la seule chose que je voyais, c’était le visage de Damon, et ses yeux plus noirs qu’une nuit sans lune : je voulais venger mon trépas et celui de Katherine. Avec ce qu’il me restait d’énergie, j’ai planté mon épée dans la poitrine de mon frère, et je l’ai tué.

L’orage s’était éloigné. Par la fenêtre cassée, Elena entendait maintenant les stridulations des criquets et le vent agiter les feuilles, dans la nuit. Allongé sur son lit, Stefan avait fermé les yeux. Son visage était marqué par la fatigue, mais son expression de terreur avait enfin disparu.

— Ensuite, je ne me souviens plus de rien jusqu’au moment où je me suis réveillé dans ma tombe. Damon et moi avions reçu juste assez de sang de Katherine pour avoir la force d’achever notre transformation, et de ne pas mourir comme de simples mortels. Nous portions nos plus beaux vêtements, allongés côte à côte sur la dalle. Nous étions néanmoins trop faibles pour recommencer à nous battre.

Lorsque je me suis tourné pour demander à Damon ce qu’il comptait faire, il avait déjà disparu dans la nuit. Heureusement, nous avions été enterrés avec les bagues que Katherine nous avait données. Et la sienne se trouvait dans ma poche. Ils avaient dû penser qu’elle m’en avait fait cadeau… Ensuite, j’ai voulu tout bêtement rentrer chez moi. Évidemment, à peine m’ont-ils vu que les serviteurs ont hurlé en courant chercher un prêtre.

Alors, j’ai gagné le seul endroit où j’étais en sécurité : l’ombre. J’y suis toujours resté, jusqu’à maintenant. C’est au monde des ténèbres que j’appartiens, Elena. C’est mon orgueil et ma jalousie qui ont tué Katherine, et c’est ma haine qui a causé la mort de Damon. Mais ce que j’ai infligé à mon frère est bien pire. À cause de moi, il a été banni pour toujours de l’espèce humaine : si je ne l’avais pas tué, le sang de Katherine qui courait dans ses veines aurait fini par perdre de sa force, et il n’aurait pas pu finir sa transformation. Il serait redevenu un être humain. En le tuant, je lui ai ôté sa seule chance de salut, et l’ai contraint à vivre dans la nuit.

Stefan se mit à rire.

— Tu sais ce que veut dire Salvatore, en italien, Elena ? Ça signifie « sauveur ». Et Stefan est un dérivé du prénom Étienne… le premier martyr chrétien. Et c’est moi qui ai condamné mon frère à l’enfer !

— Non… , murmura Elena. Il s’est lui-même damné en te tuant… Est-ce que tu sais ce qu’il est devenu ?

— Il a fait partie d’un bataillon de mercenaires qui mettaient tout à feu et à sang sur leur passage…

Il a arpenté le pays en se battant et en buvant le sang de ses victimes, pendant que moi je mourrais à moitié de faim aux portes de la ville, où je chassais des animaux. Je n’ai plus entendu parler de lui pendant longtemps. Et puis, un jour, j’ai entendu sa voix dans mon esprit. Il avait acquis cette faculté grâce au sang humain qu’il buvait et qui lui donnait une force bien supérieure à la mienne. D’autant plus qu’il ne se contentait pas de cet élixir : à force d’assécher les veines de ses victimes, il leur prenait leur vie, ce qui lui donnait une puissance supplémentaire.

Lorsqu’un homme est mis à mort, son âme se fortifie, dans les derniers moments de terreur et de lutte, donnant à celui qui boit son sang un pouvoir incroyable.

— Quel… pouvoir ? demanda Elena, intriguée.

— Il ne s’agit pas d’un seul pouvoir, en fait, mais de tout un ensemble de facultés. Un mélange de force et de rapidité, d’abord. Une acuité de tous les sens, aussi, surtout la nuit. Et puis, la possibilité de… sentir les esprits. Nous sommes capables de déceler leur présence, et la nature de leurs pensées. Nous pouvons aussi subjuguer totalement les plus faibles, ou simplement les faire obéir à nos ordres. Et, ce n’est pas tout : si nous buvons suffisamment de sang humain, nous avons la possibilité de changer d’aspect pour prendre celui d’un animal, par exemple. Plus nous tuons, plus notre pouvoir est décuplé.

Dans mon esprit, la voix de Damon était parfaitement distincte. Il me disait qu’il était désormais le chef de son propre bataillon, et qu’il revenait à Florence ; s’il me trouvait encore là lorsqu’il arriverait, il me tuerait. Je savais qu’il tiendrait parole, alors je suis parti. Depuis, je ne l’ai croisé qu’une fois ou deux, et j’ai aussitôt disparu de son chemin : je sentais que sa puissance croissait de jour en jour. Damon a su à merveille s’adapter à son état, et il semble très fier d’appartenir au royaume de l’ombre… Moi aussi, pourtant, que je le veuille ou non, j’en fais partie : je porte la marque des ténèbres. J’ai beau essayer de maîtriser mes instincts, rien n’y fait… J’ai eu tort de penser que je pourrais vivre tranquillement à Fell’s Church, loin des vieux souvenirs qui me rappelaient ma véritable nature. Parce que, ce soir, j’ai tué un homme.

— Non ! Stefan ! Ce n’est pas vrai ! Tu n’as rien fait, j’en suis sûre.

L’histoire qu’elle avait entendue l’avait certes épouvantée. Mais elle lui avait également inspiré de la pitié, et le dégoût du début avait totalement disparu. Elle était certaine d’une chose : Stefan n’était pas un assassin.

— Dis-moi ce qui s’est passé ce soir. Est-ce que tu t’es disputé avec Tanner ?

— Je… je ne me souviens plus. J’ai utilisé mon pouvoir pour le persuader de faire ce que tu voulais. Et puis je suis parti. Mais un peu plus tard, j’ai senti ma tête tourner, et mes forces décliner… comme à chaque attaque… La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était dans le cimetière, à côté de l’église, le soir où Vickie a été agressée…