Tout doucement, elle guida la bouche de Stefan vers sa gorge. Ses lèvres effleurèrent sa peau dans un souffle tiède. Puis ses dents aiguisées trouèrent sa chair. Mais la douleur disparut presque aussitôt, remplacée par un plaisir enivrant qui les submergea tous les deux.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, ce fut pour contempler un visage où tout obstacle avait disparu. Elle se sentit faible, soudain.
— Est-ce que tu me fais entièrement confiance ? murmura-t-il.
Elle hocha la tête. Il tendit la main vers quelque chose, près du lit. C’était la dague. Il la tira de son fourreau et se pratiqua une petite entaille à la base du cou. Le sang apparut, aussi rouge que les fruits du houx. Elle le regarda couler sans détourner le regard, et lorsqu’il l’attira contre sa plaie, elle n’eut aucune résistance.
Il la tint un long moment dans ses bras tandis que, dehors, les criquets poursuivaient leur sérénade. Enfin, il fit un mouvement pour se redresser.
— J’aimerais que tu restes toujours ici, et que nous ne soyons jamais séparés, chuchota-t-il. Mais c’est impossible.
— Je sais.
Ils avaient tellement de choses à se dire à présent, et tant de raisons de ne plus se quitter.
— On se reverra demain, reprit-elle en se serrant contre lui. Quoiqu’il arrive, Stefan, je ne t’abandonnerai pas, je te le jure…
— Oh, Elena, je te crois, murmura-t-il dans ses cheveux. Rien ne nous séparera.
15.
Elena avait à peine quitté la pension que Stefan se précipita dans sa voiture, en direction de la forêt. Il se gara au même endroit que le jour de la rentrée — où il avait vu le corbeau — et se mit à refaire le trajet emprunté ce matin-là. Son sixième sens lui permit de retrouver sans difficulté son chemin — guidé par la forme d’un taillis, ou l’emplacement d’une racine noueuse — jusqu’à la clairière bordée de chênes. Là, sur un tapis de feuilles mortes, se trouvaient peut-être encore les restes du lapin.
Il inspira profondément et lança une pensée. Pour la première fois, il sentit l’amorce d’une réponse. Mais elle était si faible qu’il ne put la localiser. Un peu déçu, il fit demi-tour… et s’arrêta net.
Damon, les bras croisés, était nonchalamment adossé à un arbre, juste devant lui.
— Tu es là, c’était donc vrai… Ça fait une éternité qu’on ne s’était pas vus…
— Pas si longtemps que tu crois, répondit Damon de son ton désinvolte. Sache que je n’ai jamais perdu ta trace, pendant toutes ces années. Tu ne t’es douté de rien… Tes pouvoirs sont si faibles…
— Prends garde, Damon ! Je ne suis pas d’humeur à supporter tes railleries, ce soir.
— Oh ! C’est qu’il se mettrait en colère, le modèle de vertu ! Mais j’y pense ! Peut-être que tu n’as pas apprécié mes petites excursions sur ton territoire… Il faut dire que tu m’as tellement manqué ! Toi, mon frère !
— Arrête ton baratin ! Tu as commis un crime ce soir, et tu as voulu me faire croire que j’en étais l’auteur.
— Comment peux-tu en être sûr ? Qui te dit que nous n’avons pas agi ensemble ?
Et comme Stefan s’avançait vers lui, il ajouta :
— Attention ! Je ne suis pas non plus très bien luné. Il faut me comprendre : je n’ai réussi à mettre la main que sur un petit prof ratatiné, alors que toi, tu t’es régalé d’une jolie fille toute fraîche.
Stefan bouillait de rage.
— Laisse Elena tranquille, murmura-t-il d’un ton si menaçant que Damon fit un pas en arrière. Tu n’as pas cessé de vouloir rapprocher ces derniers temps, je le sais. Mais je te préviens, si tu essaies encore une fois, je te le ferai regretter.
— Ceux que tu peux être égoïste, alors ça a toujours ton défaut, d’ailleurs. Monsieur ne partage pas.
Heureusement que la belle Elena est plus généreuse… Elle ne ta pas parlé de notre petite aventure ? C’était la première fois qu’elle me voyait, et elle s’est presque donné corps et âme.
— Tu mens !
— Mais pas du tout mon cher. Je ne mens jamais à propos des choses importantes. Donc, à moins que ce ne soit qu’un détail… Enfin, ça ne change rien au fait qu’elle s’est pâmée dans mes bras… Elle doit avoir un petit faible pour les hommes en noir.
Et, tandis que Stefan écumait de colère, Damon ajouta d’un ton doucereux :
— Tu sais, tu te trompes complètement sur son compte.
Elle t’a rappelé Katherine et tu la prise pour une fille douce et docile. Mais ce n’est pas du tout ton type. Elle a du tempérament de feu qui n’est pas fait pour toi.
— Tandis que pour toi, elle est parfaite, c’est ça ? Damon croisa les bras avec un grand sourire.
— Oh, que oui !
Stefan se retint difficilement de se jeter sur son frère pour lui faire ravaler son sourire arrogant.
— Effectivement, répliqua-t-il, elle n’est pas aussi docile que Katherine : elle trouvera la force de te repousser. Maintenant qu’elle sait qui tu es, elle n’a que de la répulsion à ton égard : elle se mettra à l’abri de tes tentatives de séduction.
Damon haussa les sourcils.
— Vraiment ? Je voudrais bien voir ça ! Elle m’aimera lorsqu’elle constatera que j’assume pleinement ma nature de créature des ténèbres : le crépuscule.
— Ce que tu renvoies risque de lui paraître bien fade…
— Je suis inquiet pour toi, petit frère. Tu semble faible et nourri. Visiblement, cette petite garce n’est pas à la hauteur de ses promesses…
Stefan eut une irrépressible envie de meurtre. La seule chose qui l’empêcha de taillader la gorge de son frère c’était la certitude que son festin avait décuplé ses forces ; la vie volée quelques heures plus tôt le faisait rayonner de puissance.
— En effet, je me suis abreuvé abondamment ce soir, dit Damon comme s’il avait lu dans les pensées de Stefan.
Il eut un soupir nostalgique à l’évocation de ce plaisant souvenir.
— Il n’était pas bien gros, mais contenait une étonnante quantité de jus. Évidemment, il n’était pas aussi joli qu’Elena, et sentait beaucoup moins bon… Pourtant, je trouve toujours très réjouissant de sentir un autre sang courir dans mes veines.
Il fit quelques pas, jetant un coup d’œil autour de lui : Stefan ne put s’empêcher de remarquer que l’élégance de sa démarche et la grâce de ses mouvements s’étaient accentués au cours des siècles.
— Tiens, d’ailleurs, ça me donne des envies un peu folles, dit Damon en s’approchant d’un jeune arbre. Le végétal était presque deux fois plus grand que lui, et quand Damon l’enlaça, ses doigts ne firent pas le tour du tronc. Pourtant, ses muscles se murent sous sa chemise noire, se murent avec aisance, et l’arbre sortit du sol, les racines pendantes, laissant s’échapper une odeur de terre.
— Il ne me plaisait pas planté là, dit Damon en le lançant au loin.
— Et puis tiens, j’ai une autre idée.
L’air vibra comme sous l’effet d’une vague de chaleur Damon avait soudain disparu. Stefan avait beau tourné la tête en tous sens, il restait invisible.
— Là-haut, frérot !
Stefan leva le nez pour découvrir Damon perché sut une branche. Celui-ci disparut presque aussitôt dans un bruissement de feuilles.
— Par ici !
Stefan fit volte-face en sentant une petite tape sur son épaule. Personne !
— Ici !
Il se retourna de nouveau. Toujours rien !
— Essaie par-là plutôt !