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— Salut ! leur lança Elena, avant de s’adresser à Caroline.

— Tu viens déjeuner ?

Caroline se passa les doigts dans ses cheveux brillants, tournant à peine la tête.

— Quoi ! Tu veux qu’on aille manger ensemble ?

L’amertume dans la voix de Caroline surprit Elena.

Elles étaient amies depuis la maternelle et leur compétition annuelle pour décrocher le titre de reine du lycée avait toujours été un jeu. Mais, dernièrement, Caroline prenait visiblement leur rivalité très au sérieux.

— T’es encore digne de partager la table royale avec moi… , répondit Elena sur le ton de la blague.

— J’espère bien ! reprit Caroline en la fixant droit dans les yeux.

Elena lut dans son regard une hostilité qui la déconcerta. Les deux garçons affichèrent un sourire gêné, et s’éloignèrent, ce que Caroline ne sembla même remarquer.

— Tu sais, les choses ont changé cet été, pendant ton absence. Il se pourrait bien que tes jours sur le trône soient comptés…

Elena sentit le feu lui monter aux joues. Elle dut faire un effort pour garder son calme.

— Peut-être. Mais si j’étais toi, j’attendrais un peu avant d’acheter mon sceptre.

Elle tourna les talons sans attendre la réplique de Caroline et entra dans la cantine, soulagée d’apercevoir Meredith, Bonnie et Frances assises à une table. Après avoir fait la queue au self-service, elle les rejoignit. Elle n’allait pas laisser Caroline lui saper le moral. Le mieux était de l’oublier.

— Je l’ai, annonça aussitôt Frances en agitant une feuille de papier.

— Et moi, j’ai récolté plein d’infos intéressantes, ajouta Bonnie. Il est en bio avec moi, et je suis assise juste en face de lui ! Il s’appelle Stefan Salvatore, il est italien, et il loue une chambre chez la vieille Mme Flowers, dans la pension à la sortie de la ville. Il est super galant… Caroline a fait tomber ses bouquins et il s’est empressé de les ramasser…

— Quelle maladroite, cette Caroline… , lança Elena d’un ton ironique. Et puis ? Quoi d’autre ?

— Ben, c’est tout. Il ne lui a pas dit grand-chose, apparemment.

Il est trrrès mystérieux, comme mec. Mlle Endicott ma prof de bio, a essayé de lui faire enlever ses lunettes de soleil, mais il a refusé. Il a prétendu avoir un problème aux yeux.

— Quel genre ?

— J’en sais rien. Peut-être une maladie incurable et mortelle. Ce serait super romantique, non ?

— Très, répondit Meredith. Elena s’absorba dans la lecture de son emploi du temps en se mordillant la lèvre.

— Je suis avec lui en dernière heure, en histoire de l’Europe. Et vous ?

— Moi, oui, dit Bonnie. Caroline aussi. Et même Matt, je crois, parce que je l’ai entendu dire un truc du genre : « Pas de pot, je me tape encore Tanner cette armée. »

« Super ! » pensa Elena en plantant sa fourchette dans sa purée. Ce cours allait être tout à fait passionnant…

« Ouf, plus qu’une heure ! » se dit Stefan. Il avait hâte de s’extraire de cette foule où il captait, malgré lui, tant de pensées simultanément qu’il en avait mal à la tête. Ça ne lui était pas arrivé depuis des années. Une fille en particulier l’avait intrigué plus que toutes autres. Il ignorait à quoi elle ressemblait : il avait seulement senti son esprit, et il savait qu’elle l’avait suivi du regard dans le couloir. Il était certain de la reconnaître, car elle était dotée d’une rare personnalité.

Pour l’instant, il s’était plutôt bien sorti de cette première journée, malgré ses mensonges : il n’avait eu recours à ses pouvoirs que deux fois. Mais il était épuisé et, il devait bien l’admettre, le lapin n’avait pas suffi. Il s’assit dans la salle où devait avoir lieu son dernier cours en essayant d’oublier la faim qui le tenaillait.

Aussitôt, une sorte de lumière envahit sa conscience, il comprit que la fille qui l’intéressait se trouvait dans son champ de vision. Elle était assise juste devant Au même moment, elle se retourna, et il découvrit son visage. Il retint un cri. Katherine ? Mais, non, c’était impossible. Katherine était morte. Pourtant, la ressemblance était confondante : les mêmes cheveux blond pâle presque translucides, la même peau d’albâtre qui rosissait à hauteur des pommettes, et surtout, les mêmes yeux… , Les yeux de Katherine étaient d’un bleu unique, plus foncé que celui du ciel, aussi brillant que le lapis-lazuli qui ornait son diadème. L’inconnue venait de plonger ces yeux-là dans les siens en souriant. Il détourna la tête, se refusant à penser à Katherine.

Mais cette fille lui rappelait si violemment la femme qu’il avait aimée ! Il tenta de barricader son esprit du mieux qu’il pouvait en fixant son bureau. Enfin, lentement, elle se détourna, visiblement blessée, ce dont il était satisfait, espérant qu’elle garderait dorénavant ses distances. Pourtant, il avait beau se dire qu’il n’éprouvait rien pour elle, il ne pouvait rester insensible au parfum subtil de la violette, lui semblait-il qui émanait de son long cou, dont il entraperçu la blancheur. À cette vue, il fut envahi par une sensation familière : la faim, qui recommençait à lui brûler les entrailles, et qu’il ne pourrait pas satisfaire de sitôt.

Pour oublier cette douleur, il concentra toute son attention sur le professeur, qui allait et venait dans la classe il fut d’abord surpris, car bien qu’aucun élève ne pût répondre à ses questions, M. Tanner s’acharnait sur eux, comme s’il tentait de leur faire honte en leur montant l’étendue de leur ignorance. Il venait de trouver une nouvelle victime, une fille au visage en forme de cœur encadré par des cheveux roux frisés. Stefan écouta avec dégoût le professeur l’assaillir de questions. Lorsqu’enfin il se détourna d’elle pour s’adresser à l’ensemble de la classe, elle semblait épuisée.

— Laissez-moi vous dire une bonne chose. Vous êtes en terminale ; bientôt, vous irez à l’université, et cela vous fait croire que vous êtes des petits génies. Mais la vérité, c’est que certains d’entre vous n’ont même pas le niveau pour entrer à l’école primaire. Regardez-moi celle-là : elle ne sait pas ce que c’est que la Révolution française, et elle pense que Marie-Antoinette était une star du muet !

Les élèves se tortillaient sur leur chaise, mal à l’aise, visiblement humiliés. Stefan fut surtout étonné de percevoir leur peur : même les plus costauds craignaient ce petit homme malingre aux yeux de fouine !

— Bon, vous aurez peut-être plus de chance avec la Renaissance, dit le professeur en se tournant de nouveau vers la petite rousse. Pouvez-vous nous dire, à quoi… Vous savez évidemment de quoi je parle ? Il s’agit de la période qui s’étend sur les XVe et XVIe siècles, au cours de laquelle l’Europe a redécouvert les grandes idées de la Grèce antique et de Rome, et qui a produit les plus illustres très artistes et penseurs. Ça vous dit quelque chose ?

Comme sa victime opinait confusément du chef poursuivit :

— Pouvez-vous nous dire à quoi s’occupaient les gens de votre âge, à cette époque ?

L’élève déglutit péniblement et, avec un petit sourire gêné, répondit :

— Ils jouaient au foot ?

La classe entière éclata de rire, alors que le professeur prenait un air furieux.

— Taisez-vous, ordonna-t-il. Vous vous trouvez drôle ? Figurez-vous qu’en ce temps-là, les élèves de votre âge parlaient couramment plusieurs langues. Ils maîtrisaient parfaitement la logique, les mathématiques, l’astronomie, la philosophie et la grammaire. Ils avaient tous le niveau pour entrer à l’université, où les cours se faisaient en latin. Le football était la dernière chose…