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Mais pourquoi rions-nous de cet arrangement mécanique? Que l’histoire d’un individu ou celle d’un groupe nous apparaisse, à un moment donné, comme un jeu d’engrenages, de ressorts ou de ficelles, cela est étrange, sans doute, mais d’où vient le caractère spécial de cette étrangeté? pourquoi est-elle comique? À cette question, qui s’est déjà posée à nous sous bien des formes, nous ferons toujours la même réponse. Le mécanisme raide que nous surprenons de temps à autre, comme un intrus, dans la vivante continuité des choses humaines, a pour nous un intérêt tout particulier, parce qu’il est comme une distraction de la vie. Si les événements pouvaient être sans cesse attentifs à leur propre cours, il n’y aurait pas de coïncidences, pas de rencontres, pas de séries circulaires; tout se déroulerait en avant et progresserait toujours. Et si les hommes étaient toujours attentifs à la vie, si nous reprenions constamment contact avec autrui et aussi avec nous-mêmes, jamais rien ne paraîtrait se produire en nous par ressorts ou ficelles. Le comique est ce côté de la personne par lequel elle ressemble à une chose, cet aspect des événements humains qui imite, par sa raideur d’un genre tout particulier, le mécanisme pur et simple, l’automatisme, enfin le mouvement sans la vie. Il exprime donc une imperfection individuelle ou collective qui appelle la correction immédiate. Le rire est cette correction même. Le rire est un certain geste social, qui souligne et réprime une certaine distraction spéciale des hommes et des événements.

Mais ceci même nous invite à chercher plus loin et plus haut. Nous nous sommes amusés jusqu’ici à retrouver dans les jeux de l’homme certaines combinaisons mécaniques qui divertissent l’enfant. C’était là une manière empirique de procéder. Le moment est venu de tenter une déduction méthodique et complète, d’aller puiser à leur source même, dans leur principe permanent et simple, les procédés multiples et variables du théâtre comique. Ce théâtre, disions-nous, combine les événements de manière à insinuer un mécanisme dans les formes extérieures de la vie. Déterminons donc les caractères essentiels par lesquels la vie, envisagée du dehors, parait trancher sur un simple mécanisme. Il nous suffira alors de passer aux caractères opposés pour obtenir la formule abstraite, cette fois générale et complète, des procédés de comédie réels et possibles.

La vie se présente à nous comme une certaine évolution dans le temps, et comme une certaine complication dans l’espace. Considérée dans le temps, elle est le progrès continu d’un être qui vieillit sans cesse: c’est dire qu’elle ne revient jamais en arrière, et ne se répète jamais. Envisagée dans l’espace, elle étale à nos yeux des éléments coexistants si intimement solidaires entre eux, si exclusivement faits les uns pour les autres, qu’aucun d’eux ne pourrait appartenir en même temps à deux organismes différents: chaque être vivant est un système clos de phénomènes, incapable d’interférer avec d’autres systèmes. Changement continu d’aspect, irréversibilité des phénomènes, individualité parfaite d’une série enfermée en elle-même, voilà les caractères extérieurs (réels ou apparents, peu importe) qui distinguent le vivant du simple mécanique. Prenons-en le contre-pied: nous aurons trois procédés que nous appellerons, si vous voulez, la répétition, l’inversion et l’interférence des séries. Il est aisé de voir que ces procédés sont ceux du vaudeville, et qu’il ne saurait y en avoir d’autres.

On les trouverait d’abord, mélangés à doses variables, dans les scènes que nous venons de passer en revue, et à plus forte raison dans les jeux d’enfant dont elles reproduisent le mécanisme. Nous ne nous attarderons pas à faire cette analyse. Il sera plus utile d’étudier ces procédés à l’état pur sur des exemples nouveaux. Rien ne sera plus facile d’ailleurs, car c’est souvent à l’état pur qu’on les rencontre dans la comédie classique, aussi bien que dans le théâtre contemporain.

I. – La répétition. – Il ne s’agit plus, comme tout à l’heure, d’un mot ou d’une phrase qu’un personnage répète, mais d’une situation, c’est-à-dire d’une combinaison de circonstances, qui revient telle quelle à plusieurs reprises, tranchant ainsi sur le cours changeant de la vie. L’expérience nous présente déjà ce genre de comique, mais à l’état rudimentaire seulement. Ainsi, je rencontre un jour dans la rue un ami que je n’ai pas vu depuis longtemps; la situation n’a rien de comique. Mais, si, le même jour, je le rencontre de nouveau, et encore une troisième et une quatrième fois, nous finissons par rire ensemble de la «coïncidence». Figurez-vous alors une série d’événements imaginaires qui vous donne suffisamment l’illusion de la vie, et supposez, au milieu de cette série qui progresse, une même scène qui se reproduise, soit entre les mêmes personnages, soit entre des personnages différents: vous aurez une coïncidence encore, mais plus extraordinaire. Telles sont les répétitions qu’on nous présente au théâtre. Elles sont d’autant plus comiques que la scène répétée est plus complexe et aussi qu’elle est amenée plus naturellement, – deux conditions qui paraissent s’exclure, et que l’habileté de l’auteur dramatique devra réconcilier.

Le vaudeville contemporain use de ce procédé sous toutes ses formes. Une des plus connues consiste à promener un certain groupe de personnages, d’acte en acte, dans les milieux les plus divers, de manière à faire renaître dans des circonstances toujours nouvelles une même série d’événements ou de mésaventures qui se correspondent symétriquement.