Выбрать главу

Le robot gardien

par Robert Silverberg

Ben Azai fut jugé digne, et il s’arrêta à la porte du sixième palais et contempla la splendeur éthérée des plaques de marbre pur. Il ouvrit la bouche et dit par deux fois : « De l’eau ! De l’eau ! » En un clin d’œil, ils lui tranchèrent la tête et le percèrent de onze mille lances. Cela servira de preuve, pour toutes les générations futures, que personne ne doit tomber dans l’erreur à la porte du sixième palais.

(Hekhalot le Mineur)

Il y avait le trésor, et il y avait le gardien du trésor. Et il y avait les ossements blanchis de ceux qui avaient tenté en vain de s’approprier le trésor. Les os eux-mêmes avaient pris une sorte de beauté, là où ils gisaient, près de la porte de la cache recelant le trésor, sous la voûte éclatante du ciel. Le trésor donnait de la beauté à tout ce qui était proche de lui – même aux ossements épars, même au gardien inexorable.

L’endroit où se trouvait le trésor était une petite planète appartenant au système de Valzar la Rouge. Guère plus grosse que la lune, dépourvue d’atmosphère ou presque – un astre infime, silencieux et mort, gravitant dans les ténèbres à des milliards de kilomètres d’une primaire qui se refroidissait lentement. Jadis, un routier de l’espace s’y était arrêté. D’où venait-il, où allait-il ? Nul ne l’a su. Il avait aménagé une cache, et c’était là que le trésor se trouvait toujours, immuable, éternel, échappant aux imaginations les plus folles, surveillé par l’homme d’acier, le robot sans visage qui attendait avec une patience de métal le retour de son maître.

Il y avait ceux qui convoitaient le trésor. Ils venaient, le gardien les interrogeait et ils y perdaient la vie.

Sur une autre planète gravitant autour de Valzar, des hommes que ne décourageait pas le sort de leurs prédécesseurs rêvaient à ces richesses fabuleuses et dressaient des plans pour s’en emparer. Lipescu était de ceux-là : stature herculéenne, barbe blonde, poings aussi lourds que des marteaux, gosier d’airain, torse puissant comme le tronc d’un arbre deux fois centenaire. Et Bolzano : minceur d’anguille, regard brillant, le doigt prompt, fin comme l’ambre.

Ni l’un ni l’autre ne tenait à perdre la vie.

La voix de Lipescu faisait songer au tonnerre des galaxies entrant en collision. Il ramena vers lui une chope de bonne bière noire et dit : « Je pars demain, Bolzano. »

— « Le cerveau est prêt ? »

— « Programmé sur toutes les questions que la brute pourrait poser ! » mugit le colosse. « Pas de danger d’être pris de court, ni de se tromper. »

— « Et si cela arrivait quand même ? » insista Bolzano en plongeant un regard indolent dans les yeux de son compagnon – des yeux bleus étrangement pâles dont la douceur surprenait. « Et si le robot te tue ? »

— « J’ai déjà eu affaire à des robots. »

Bolzano éclata de rire. « Cette plaine où nous nous poserons est jonchée d’ossements, camarade. Les tiens viendront s’y ajouter. Des os de belle taille, Lipescu. Je vois très bien cela ! »

Lipescu hocha pesamment la tête. « Tu as toujours le mot pour rire, l’ami. » Il reprit, d’une voix lente : « Si tu étais réaliste, tu ne te serais pas engagé avec moi dans cette affaire. Il n’y a qu’un rêveur pour tenter ce genre de chose. » Une énorme patte plana au-dessus de Bolzano et lui saisit l’avant-bras. Le petit homme grimaça quand l’articulation craqua. « Tu ne vas pas te défiler, hein ? Si je meurs, tu essaieras à ton tour ? »

— « Bien sûr que oui, imbécile ! »

— « Vraiment ? Tu es poltron, comme tous les gringalets. Tu me regarderas mourir et tu ficheras le camp à toute vitesse pour un autre coin de l’univers… n’est-ce pas ? »

— « Je ferai mon profit de tes bourdes, n’aie crainte, » répliqua aigrement Bolzano. « Laisse mon bras. »

Lipescu le lâcha. Le petit homme se renfonça dans son fauteuil en se frottant le poignet. Il avala une gorgée de bière, puis sourit à l’adresse de son compagnon et leva sa chope.

— « À notre succès, » dit-il.

— « Bien parlé. Au trésor ! »

— « Et à la belle vie ensuite. »

— « Pour tous les deux ! » tonna le géant.

— « Peut-être, » acquiesça Bolzano. « Qui sait ? »

Il avait des doutes. Certes, Lipescu était un malin. Il avait imaginé un plan astucieux, tel qu’on n’en trouve pas souvent, qui alliait la force à la ruse. Pourtant, les risques demeuraient grands, et Bolzano en arrivait à ne plus très bien savoir ce qu’il préférait. Si Lipescu obtenait le trésor à l’issue de sa propre tentative, il était sûr, lui, d’en avoir une part sans courir le moindre danger. Mais si, au contraire, Lipescu succombait, Bolzano serait forcé de risquer sa vie. Un tiers du trésor à coup sûr, ou la totalité pour la mise la plus élevée. Quel était le meilleur parti ?

Il y avait de quoi faire hésiter un joueur chevronné comme Bolzano. Toutefois, ce n’était pas chez lui que de la poltronnerie : à sa façon, il attendait l’occasion de risquer sa vie sur la planète morte où gisait le trésor.

Lipescu tenterait sa chance le premier. Telles étaient les conventions. Après avoir volé le cerveau électronique, Bolzano l’avait remis au colosse qui irait, lui d’abord, affronter le gardien. S’il gagnait, il aurait la plus grosse part. S’il succombait, la totalité reviendrait à Bolzano. Association peu banale, tout comme le pacte conclu, mais Lipescu ne l’entendait pas autrement et Ferd Bolzano n’avait pas cherché à contrarier son imposant compatriote. Lipescu reviendrait avec le trésor, ou bien il ne reviendrait pas. Il n’y aurait pas de milieu – ce dont, l’un comme l’autre, ils étaient persuadés.

Bolzano passa une mauvaise nuit. Son appartement était confortable, situé dans une tour bien exposée d’un immeuble qui dominait les eaux scintillantes du Lac Eris, et il avait quelque regret à le quitter. Lipescu, lui, préférait les quartiers sordides que l’on trouvait au sud du lac. Quand les deux hommes se séparèrent, ils prirent chacun une direction opposée. Bolzano songea d’abord à ramener une femme pour la nuit, mais n’en fit rien. Incapable de trouver le sommeil, il resta assis devant l’écran du télévecteur, à suivre d’un œil maussade les planètes vertes et ocrées qui gravitaient dans l’espace.

Peu avant l’aube, il fit passer la bande consacrée au trésor. Elle datait de plus d’un siècle, prise par Octave Merlin alors qu’il se trouvait en orbite à quatre-vingt-dix kilomètres au-dessus de la surface de la planète. À présent, les ossements de Merlin blanchissaient dans la plaine, mais on avait récupéré la bande, dont des copies circulaient en fraude pour se vendre très cher sur certains marchés non autorisés. L’objectif ultra-sensible de sa caméra avait enregistré beaucoup de choses.

Il y avait la porte – et il y avait le gardien. Étincelant, insensible à la fuite du temps, splendide. Il était là, haut de trois mètres, silhouette carrée que surmontait un dôme minuscule figurant la tête, une tête sans visage, entièrement lisse. Derrière le robot, la porte, grande ouverte mais infranchissable. Et le trésor, composé de tout ce que l’art avait produit de plus beau dans la multitude des galaxies. Laissé là, depuis un nombre d’années incalculable.

Aucune pierrerie brute, pourtant, ni aucun de ces métaux que l’on dit précieux. La valeur, ici, n’était pas intrinsèque, et nul vandale n’aurait pu songer à transformer le trésor en vulgaires lingots. On voyait des statuettes de fer tissé qui semblaient vivantes.

Des plaques du plomb le plus pur, dont la surface gravée au tour avait de quoi confondre l’esprit humain. Des intaglios en plein granit provenant d’une planète glacée située à un demi-parsec de là. Des opales à profusion, brillant d’un feu intérieur, et que des artisans de génie avaient façonnées en boucles scintillantes.