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Une spire faite d’un bois aux reflets irisés. Un entrelacs de bandes découpées dans l’os de quelque animal, courbé et gauchi de telle sorte que le motif brouillait la vue et touchait peut-être à un continuum régi par d’autres dimensions. Des coquillages gigognes que l’on pouvait séparer grâce à des ouvertures habilement pratiquées, et dont les plus petits étaient presque invisibles. Des feuillages satinés qui avaient poussé sur des arbres sans nom. Des galets brillants provenant de plages ignorées. Une débauche de merveilles, une profusion vertigineuse s’étalait là, derrière cette porte, sur les quarante ou cinquante mètres carrés que mesurait la cache.

Des hommes frustes ignorant les premiers principes de l’esthétique avaient perdu la vie pour posséder le trésor. Car sa valeur était évidente, sans qu’il fallût faire effort d’imagination. Dans toutes les galaxies, les collectionneurs alléchés se disputeraient à couteaux tirés la moindre part d’un tel butin. Des lingots ne constituaient pas une toison d’or.

Mais ces choses ? Ces objets que l’on ne pourrait jamais reproduire, qui étaient pratiquement inestimables ?

Avant même la fin de la bande, la convoitise brûlait Bolzano comme une fièvre ardente. Quand la dernière image eut disparu il resta longtemps prostré dans son fauteuil, à bout de nerfs, littéralement privé de forces.

Le jour pointa. Les trois lunes argentées descendirent derrière les montagnes. Valzar la Rouge éclaboussa le firmament. Bolzano s’accorda une heure de sommeil.

Puis vint le moment de partir.

Ils jugèrent prudent de laisser l’astronef en orbite à cinq mille mètres au-dessus de la planète morte. On ne pouvait se fier aveuglément à des comptes rendus anciens, et on ignorait le rayon d’action dont disposait le gardien robot. Si Lipescu gagnait la partie, Bolzano poserait le vaisseau pour l’embarquer – lui et le trésor. S’il échouait, Bolzano tenterait la chance à son tour.

Le colosse était encore plus imposant sous la double carapace de son spatioscaphe et de l’atterrisseur. Contre sa poitrine massive il tenait le cerveau électronique, seconde mémoire aussi jalousement fignolée que les merveilles étalées dans la cache. Le gardien lui poserait des questions auxquelles le cerveau l’aiderait à répondre. Et Bolzano écouterait.

Si Lipescu se trompait, son associé pourrait relever l’erreur commise et réussir quand il se présenterait après lui.

— « M’entends-tu ? » demanda Lipescu.

— « Parfaitement. Tu peux y aller. Démarre ! »

— « Qu’est-ce qui presse ? Tu tiens donc à me voir mourir ? »

— « Manquerais-tu de confiance à ce point ? » répliqua Bolzano. « Tu veux que j’y aille le premier ? »

— « Imbécile ! En tout cas, tâche d’écouter. Si je meurs, je ne tiens pas à ce que ce soit en vain. »

— « Quelle importance pour toi ? »

L’énorme silhouette fit volte-fa-ce. Bolzano ne pouvait voir le visage de son associé, mais il comprit que Lipescu ne devait pas sourire. « La vie a donc tellement de valeur à tes yeux ? » gronda le géant. « Est-ce que je n’ai pas le droit de la risquer ? »

— « À mon profit ? »

— « Au mien, » trancha Lipescu. « Je reviendrai. »

Et il gagna le sas. Un moment plus tard, il sortait de l’astronef et descendait obliquement vers la planète, sa chute freinée par les réacteurs qui crachaient sous ses pieds. Bolzano s’installa devant l’écran d’observation pour suivre sa trajectoire. Un faisceau du télévecteur atteignit Lipescu dès qu’il toucha le sol dans un jaillissement de flammes. Le trésor et son gardien se trouvaient environ quinze cents mètres plus loin. Lipescu abandonna l’atterrisseur, d’où il sortit comme un insecte de son cocon, et il se dirigea vers la cache en faisant des enjambées qui étaient autant de bonds gigantesques.

Bolzano regardait.

Écoutait.

Le télévecteur transmettait tout avec la plus parfaite fidélité. Cela répondait aux desseins de Bolzano – et à l’orgueil de Lipescu qui voulait que son aventure fût enregistrée dans les moindres détails pour la postérité. Et quel spectacle ! Face au gardien, à présent, Lipescu semblait petit. Le robot sans visage, toujours immobile, le dominait de plus d’un mètre.

— « Écarte-toi, » ordonna Lipescu.

La réponse vint, avec une intonation extraordinairement humaine, quoique ne traduisant aucun sentiment. « Ce que je garde ici n’est pas à prendre. »

— « Je le réclame de droit, » déclara Lipescu.

— « Beaucoup d’autres l’ont déjà fait. Mais leurs droits n’existaient pas. Et les tiens n’existent pas non plus. Je ne peux m’écarter pour toi. »

— « Mets-moi à l’épreuve : tu verras bien si j’ai le droit ou non. »

— « Mon maître seul a le droit de passer. »

— « Qui cela, ton maître ? Ton maître, c’est moi ! »

— « Mon maître est celui qui peut me commander. Et nul ne peut me commander s’il fait preuve d’ignorance devant moi. »

— « Mets-moi à l’épreuve, en ce cas, » insista Lipescu.

— « La mort est le châtiment de l’échec. »

— « Mets-moi à l’épreuve. »

— « Le trésor ne t’appartient pas. »

— « Mets-moi à l’épreuve et écarte-toi. »

— « Tes os iront rejoindre ceux qui sont là. »

— « Mets-moi à l’épreuve, » répéta encore Lipescu.

De l’astronef, Bolzano suivait chaque geste, chaque mot avec une attention fiévreuse. Tout était désormais possible. Le robot proposerait peut-être des énigmes, comme jadis le Sphinx défié par Œdipe. Il pouvait demander à Lipescu de démontrer des théorèmes. Ou de traduire des mots étrangers. C’était la conclusion qu’ils avaient tirée de la triste expérience de leurs prédécesseurs. Et aussi le fait, semblait-il, qu’une seule réponse fausse équivalait au trépas immédiat.

Bolzano et Lipescu avaient fouillé et refouillé les bibliothèques de l’univers entier. Ils avaient emmagasiné tout le savoir humain (du moins, ils l’espéraient) dans leur cerveau électronique. Travail acharné, auquel ils s’étaient astreints des mois durant. Et maintenant, ce petit globe de métal brillant que Lipescu portait en bandoulière contre sa poitrine pouvait répondre à un nombre de questions pratiquement illimité.

Il y eut un long silence. L’homme et le robot restaient face à face, s’observant mutuellement. Puis le gardien parla. « Définition de la latitude. »

— « S’agit-il de la latitude géographique ? » demanda Lipescu.

La peur empoigna Bolzano. L’imbécile, qui s’imaginait obtenir des précisions ! Il allait périr avant même d’avoir commencé.

Le robot répéta : « Définition de la latitude. »

— « C’est la distance angulaire d’un point de la surface d’une planète, au nord ou au sud de l’équateur, mesurée à partir du centre de cette planète. »

— « De la tierce mineure et de la sixte majeure, » reprit le robot, « quelle est la plus consonante ? »

Lipescu sembla hésiter. Il n’était pas musicien. Mais le cerveau électronique allait lui fournir la réponse.

— « La tierce mineure, » dit-il. Le robot passa immédiatement à une autre question. « Liste des nombres premiers compris entre 5237 et 7641. »

Bolzano sourit, car cette fois Lipescu répondait tout de go. Jusqu’à présent, tout allait bien. Le robot n’était pas sorti du domaine positif et ses questions ne présentaient pas de vraies difficultés. Après avoir ergoté au début sur la latitude, Lipescu semblait plus confiant. Bolzano se rapprocha encore de l’écran pour mieux voir la porte ouverte et le fabuleux pêle-mêle du trésor. Il supputait déjà les objets qui leur reviendraient, à chacun, quand aurait lieu le partage – les deux tiers pour Lipescu, le reste pour lui…