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Une heure plus tard, tandis que Ganseville retournait au château pour achever de tout régler avec Gondi, Jeannette faisait merveille. Elle avait ouvert les volets, s’était procuré ce qu’il fallait pour laver à fond sa jeune maîtresse qui en avait le plus grand besoin, l’avait obligée à manger un peu de soupe et quelques biscuits que Corentin était allé chercher aux cuisines, puis, bousculant la vieille Maryvonne qui tentait de s’interposer, elle avait emmené Sylvie, habillée d’une robe pourpre et coiffée, faire quelques pas sous les arbres pour « lui réapprendre à respirer » en profitant d’un petit rayon de soleil. Quant à Pierre de Ganseville, il se multiplia.

Le lendemain matin, une carriole qui servait à l’approvisionnement du château vint chercher Sylvie et Jeannette avec le peu de biens qu’elles possédaient. Ganseville la conduisait.

— Où allons-nous ? demanda Jeannette. Et où est Corentin ?

— Là où je vous mène. Il est en train d’achever les préparatifs pour vous recevoir…

— Est-ce que nous quittons cette maison ? fit Sylvie avec dans la voix un espoir qui ressemblait à de la joie.

— Si Mgr François avait pu supposer qu’on vous enfermerait là-dedans, jamais il ne vous aurait conduite ici, je peux vous l’assurer. C’est le langage que j’ai tenu à M. de Gondi qui en vérité ignorait tout de l’état où vous étiez réduite. Désormais, vous allez vivre dans une maison à vous, de l’autre côté du village et de la citadelle, loin de ce château. Vous y serez mieux et vous y serez libre !

Le départ s’effectua sous le seul regard de la vieille servante. La duchesse, à la fois soulagée et vexée, ne se manifesta pas. Quant au duc, il s’était rendu à Locmaria, à l’extrémité est de l’île, pour y inspecter une fortification qu’il y faisait construire. Sylvie en fut contente : elle avait senti une ennemie dans la femme qui avait promis à François de veiller sur elle. Où qu’elle aille, même dans une soupente, elle serait mieux qu’assise à son foyer.

Or il ne s’agissait pas d’une soupente, mais d’une petite maison jadis construite par les moines de l’abbaye de Quimperlé, lorsque, avant les Gondi, ils possédaient Belle-Isle. Sylvie l’aima tout de suite.

Adossée à un bois de pins dominant une crique, elle se composait d’une grande salle et de trois petites chambres qui étaient d’anciennes cellules monastiques. Sans doute les moines étaient-ils d’humeur méfiante, car leur logis était protégé par une porte solide, une croix de barreaux en fer forgé aux fenêtres et un muretin épais autour de ce qui avait dû être leur jardin. En outre, un moulin étendait ses ailes sur la même hauteur, à l’autre bout de la plage.

Sylvie eut un cri de joie en découvrant l’immense panorama de roches et d’eau étalé à ses pieds. La mer était basse et mettait à nu les pierres plates de la pointe de Taillefer qui s’avançait loin vers le nord, comme pour rejoindre les défenses naturelles, rochers et hauts-fonds de la pointe de Quiberon. Entre les deux, un bras de mer réputé difficile, la Teignouse, permettait le passage des vaisseaux. Tous noms qu’elle ignorait encore mais qui lui seraient vite familiers. À commencer par le lieu même où elle se trouvait.

— Ça s’appelle le port du Secours, lui expliqua l’un des deux villageois que Corentin avait réquisitionnés pour l’aider à installer son nouveau domaine. Ça tient à ce qu’on y trouvait l’aide des hommes de Dieu contre les misères du naufrage et les maladies de la terre.

— Pourquoi les moines sont-ils partis ?

— Ils s’entendaient pas avec les soldats de la citadelle. Et puis le prieuré, il est maintenant chez nous, à Haute-Boulogne. N’avaient plus rien à faire ici…

Renseignée, Sylvie alla s’asseoir sur un rocher pour contempler son nouveau décor. La mer, elle allait vivre désormais dans son souffle, au rythme de ses humeurs, de ses sommeils, et se trouverait ainsi plus proche de François qui aimait tant le grand océan où il avait bercé ses rêves d’enfant : « C’est en Bretagne qu’il est le plus beau. Rien de comparable avec la Méditerranée, si bleue, si soyeuse et si perfide, disait celui qui portait alors le titre de prince de Martigues. La mer du sud est femme, l’océan appartient aux héros : il est le mâle, il est le Roi ! Lorsque je suis auprès de lui, je peux rester des heures à contempler ses bleus, ses verts, ses gris, ses éclats neigeux et sa longue houle… » Oui, Sylvie serait bien ici pour attendre que sa vie brisée puisse reprendre un cours plus normal…

Le vent léger qui soufflait de l’intérieur lui apporta une bonne odeur de poisson grillé et réveilla une faim qu’elle croyait à jamais enfuie. Elle se levait pour suivre son nez dans cette direction quand Pierre de Ganseville qui descendait vers elle la rejoignit.

— Je venais vous chercher, dit-il avec bonne humeur. Il est temps de passer à table. Avez-vous un peu faim ?

Il eut son premier vrai sourire, celui un peu malicieux de la petite Sylvie de naguère :

— Oui. Je crois bien que je meurs de faim. Mais, dites-moi, monsieur de Ganseville, cette maison…

— Est à vous. J’avais ordre d’acheter un petit bien où vous seriez vraiment chez vous. Monseigneur a seulement paré au plus pressé en vous amenant ici où il comptait revenir. Moi, j’ai fini ma tâche et je vais partir à la marée du soir…

— Vous allez le rejoindre ?

— Oui. Quelque part en Flandre. Je sais qu’il m’attend avec impatience, mais je vous laisse cette fois en de bonnes mains…

— Encore un mot, monsieur de Ganseville ! Savez-vous quelque chose du chevalier de Raguenel, mon parrain qui était à la Bastille ?

— Bien sûr. Il en est sorti et, à présent qu’il est rassuré sur votre sort, tout va mieux pour lui…

— Viendra-t-il ici ?

— Non. Ce serait de la dernière imprudence. Sa maison est surveillée. Il doit porter le deuil et jouer son rôle. On n’a même pas osé lui permettre de vous écrire : nous aurions pu être arrêtés sur la route…

— J’attendrai donc ! soupira Sylvie qui ajouta : « Si vous le voyez d’aventure, dites-lui que je l’aime… »

— Et à monseigneur ? Que dirai-je ?

Elle s’empourpra soudain, comme si tout le sang de son corps remontait à son visage :

— Rien… Non, vous ne lui direz rien. Il sait déjà tout… ou du moins je l’espère…

Le lendemain, assise sur ce même rocher qu’elle adoptait définitivement, Sylvie ne vit pas le bateau de Ganseville quitter le port pour rejoindre Piriac : le promontoire que couronnait la citadelle bornait la vue de ce côté, mais elle n’éprouvait pas de peine. Un peu d’envie puisqu’il s’en allait vers François, et surtout une grande reconnaissance : sans lui, elle croupirait encore dans l’affreux pavillon aux volets clos. Maintenant, elle allait essayer de revivre, si toutefois les angoisses qui hantaient ses nuits consentaient à lâcher prise.

L’horrible nuit vécue à La Ferrière aurait-elle une suite ? Si cela était, Sylvie savait qu’en dépit de tous les principes chrétiens reçus chez Mme de Vendôme, elle n’aurait pas le courage de rester en vie et que les belles vagues transparentes de ce port du Secours le bien nommé l’emporteraient un soir, à l’heure où le soleil se couche…