Выбрать главу

Sa voix s’étouffa sous le tissu qu’on avait jeté sur elle pour l’arracher au vide. Quand on l’en débarrassa, elle était couchée en travers du sentier et un curieux personnage était à genoux sur elle. Un drôle de petit homme aux cheveux hirsutes et au nez en pied de marmite qu’elle reconnut avec tant de stupeur qu’elle ne sut pas le taire :

— Monsieur l’abbé de Gondi ?… Oh, mon Dieu !…

— Il est bien temps de vous soucier de lui, petite malheureuse qui alliez l’offenser si gravement ! Mais… mais je vous connais, moi aussi ! Vous êtes… la protégée de Mme de Vendôme, mademoiselle de… de… de L’Isle, acheva-t-il d’un ton de triomphe. Que diable faites-vous ici ? Vous n’alliez tout de même pas…

— Vous savez bien que si puisque vous m’avez retenue ! s’écria-t-elle, saisie d’une soudaine colère. Mais de quoi vous mêlez-vous ?

— De ce qui regarde tout homme honnête, surtout quand il se double d’un homme d’Église. Vous voulez vraiment mourir, vous si jeune, si charmante ?

— Il n’y a pas d’âge qui tienne, ni de charme quand on est désespérée… Allez-vous-en, monsieur l’abbé, et oubliez que vous m’avez vue !

— N’y comptez pas ! Vous allez revenir avec moi et…

Elle s’était relevée avec une souplesse de chat et d’un geste brusque le repoussait. Il faillit tomber mais réussit à attraper la cape noire dont l’agrafe commença d’étrangler Sylvie. Elle ne s’en débattit qu’avec plus d’énergie quand elle sentit que, profitant de cet avantage, il jetait ses bras autour d’elle.

Bien que petit, Gondi était plus fort qu’une gamine de seize ans. En outre, il pratiquait assidûment l’escrime et l’équitation qui lui donnaient de bons muscles. Pourtant, un moment le combat resta indécis tant Sylvie mettait de rage à défendre son mortel projet. Tous deux roulèrent à terre sans que l’un parvînt à prendre l’avantage sur l’autre et sans s’apercevoir qu’ils arrivaient au tournant du sentier. Et soudain, il n’y eut plus rien sous eux. Noués ensemble, ils tombèrent…

CHAPITRE 3

UN SI GRAND AMOUR.

À partir du 28 août, la France entra en oraison pour obtenir du Ciel l’heureuse délivrance de la Reine qui était près de son terme mais aussi, mais surtout, pour qu’elle lui donne un Dauphin. Le Saint-Sacrement fut exposé jour et nuit dans les églises de Paris. Les grandes prières publiques marquaient le début d’une attente que les médecins estimaient à huit ou dix jours.

Il n’en allait pas de même au Château-Neuf de Saint-Germain qu’Anne d’Autriche n’avait pas quitté depuis l’annonce de sa grossesse. En vue de l’accouchement, on préparait des logis pour les princes et les princesses qui devaient assister à l’événement. Le Roi, retranché dans le Château-Vieux[30], se trouvait encore trop proche de ce tohu-bohu et disparut deux jours dans son manoir de Versailles. Le Cardinal lui-même était parti pour Chaulnes.

Au centre de cette agitation, Marie de Hautefort veillait sur la Reine comme une louve sur son petit. Si le Roi s’était éloigné, c’était en grande partie pour fuir son humeur batailleuse. Il était, en effet, retombé sous son charme : après l’entrée au couvent de son seul véritable amour, Louise de La Fayette, Louis XIII avait cherché une épaule amie sur laquelle pleurer, aussi était-il retourné à ses anciennes amours. Mais d’épaule compatissante il ne trouva guère : toute dévouée à la Reine, la fière jeune fille abusa cruellement de son pouvoir pour faire payer à cet homme meurtri et malade toutes les avanies qu’Anne d’Autriche avait endurées de lui, et surtout le drame de l’année précédente[31]. Et c’était une épuisante guerre de brouilles et de raccommodements, d’autant plus pénible que les sens n’entraient jamais en ligne de compte. Pas question pour la jeune dame d’atour d’abandonner une virginité que d’ailleurs on n’aurait jamais osé lui demander, si cruels que fussent parfois les tourments du désir.

Ce jour-là, Mlle de Hautefort – que l’on appelait madame à cause de sa charge – debout près d’une fenêtre, regardait arriver l’un après l’autre les grands carrosses d’apparat amenant les hautes dames apparentées à la famille royale : la princesse de Condé et sa fille, la ravissante Anne-Geneviève, la comtesse de Soissons, la duchesse de Bouillon, la petite Mademoiselle, fille de Gaston d’Orléans frère du Roi, enfin la duchesse de Vendôme et sa fille Élisabeth. La cour d’honneur s’emplissait de bruit, de couleurs rehaussées d’or ou d’argent. Le coup d’œil était charmant : c’était comme si les jardiniers avaient décidé soudain de déverser devant le Grand Degré tout le contenu de leurs parterres avec leur musique propre : celle des oiseaux… Les princesses arrivaient toutes ensemble comme si elles s’étaient donné rendez-vous, mais les seuls hommes qui les accompagnaient étaient leurs serviteurs, laquais, cochers ou autres…

— Étonnant, n’est-ce pas ? fit derrière la jeune fille une voix amusée. Le Roi n’a autorisé que les dames : Monsieur son frère ne sera appelé qu’au tout dernier moment. Le duc de Bouillon et le comte de Soissons, entrés en rébellion ouverte, sont hors du royaume, le duc de Vendôme toujours exilé dans son château de Chenonceau où son fils Mercœur lui tient compagnie. Quant à son autre fils, Beaufort, il vient tout juste de rentrer de Flandre avec une jambe appareillée et le Roi ne tient pas à le voir…

Marie abandonna son poste d’observation pour prendre le bras de Mme de Senecey, la fidèle dame d’honneur de la Reine, et soupira :

— Oui, je crains que la Cour ne soit pas bien gaie ces temps-ci. Le Roi ne cesse d’écrire au Cardinal qu’il a hâte que la Reine accouche pour s’en aller d’ici… et nous n’avons même plus les chansons de notre petite Sylvie pour alléger l’atmosphère !

— Elle vous manque ?

— Oui. Je l’aimais beaucoup et j’enrage que l’on n’ait pas cherché à en apprendre davantage sur une mort aussi étrange. Qu’elle se la soit donnée à elle-même, je refuse d’y croire : cela ne lui ressemble pas. Je croirais plutôt…

Elle se tut en se mordant les lèvres.

— Eh bien, que croiriez-vous ?

— Non… rien ! Une idée folle…

Elle avait confiance en sa compagne, mais pas au point de l’introduire dans les secrets de la chambre de la Reine, ce secret qu’ils étaient trois seulement à partager : Pierre de La Porte, toujours en exil depuis sa sortie de la Bastille, elle-même et Sylvie. Il était bizarre, tout de même, que l’enfant eût disparu après un long entretien avec Son Éminence, et Marie n’était pas loin de penser que les oubliettes de Rueil n’étaient peut-être pas une légende. Si Richelieu se doutait de quoi que ce soit touchant les relations de la Reine avec Beaufort, il n’aurait de cesse d’éliminer les détenteurs du secret. Surtout si l’enfant était un garçon. Or Sylvie était morte. La Porte semblait avoir disparu. Quant à elle-même, peut-être n’était-elle qu’en sursis ? L’amour de ce roi qu’elle maltraitait si fort saurait-il la défendre contre les sbires du Cardinal si naissait le Dauphin tant désiré ? Le danger ne l’avait jamais effrayée, mais les palais royaux sont pleins de chausse-trappes et de serviteurs si faciles à acheter ! Restait encore Beaufort, le pion principal. Celui-là, avec sa fulgurante bravoure, on le ferait tuer sur quelque champ de bataille. Lui aussi s’était volatilisé en même temps que Sylvie. On disait qu’il avait touché terre à Paris quelques semaines plus tard, mais un ordre royal l’avait aussitôt expédié en Flandre. Y était-il encore ?

— Où êtes-vous, ma chère, se plaignit gentiment la dame d’honneur. Je vous parle et vous ne m’écoutez pas…