— Ne l’embrassez-vous pas ? demande-t-elle en désignant le lit autour duquel s’affairent les femmes. Il me semble qu’elle l’a bien mérité.
L’échange de regards entre ces deux étranges amoureux est sans tendresse. De mauvaise grâce, Louis se laisse ramener vers sa femme, à moitié morte dans ses draps froissés et souillés. Il se penche sur elle, la baise au front :
— Grand merci, Madame ! dit-il seulement, puis il se retourne pour accueillir le Grand Aumônier qui va, sur l’heure, ondoyer le bébé.
La Reine s’est endormie. Marie de Hautefort, épuisée elle aussi, est rentrée chez elle, s’est déshabillée et couchée avec une curieuse envie de pleurer. Certes, elle est arrivée à ses fins : le Roi a un héritier et le spectre de la répudiation qui planait depuis si longtemps sur la tête de sa chère souveraine vient de s’enfuir, mais comment oublier qu’elle-même est désormais en danger… et qu’elle a seulement vingt-deux ans ?
Elle n’en dormit pas moins profondément et le soleil du jour nouveau qui faisait étinceler les gouttes de rosée dans les jardins en terrasses du Château-Neuf lui rendit tout le courage dont avait besoin la dame d’atour d’une reine pour affronter une rude journée. En effet, la Seine où l’on prenait de si agréables bains aux jours chauds de l’été se chargeait déjà de bateaux venus de Paris et amenant dames et gentilshommes désireux de faire leur cour au nouveau-né. Le chemin de l’eau, plus lent sans doute, était tellement plus agréable que les carrosses d’apparat où l’on était si fort secoué !
Ce fut pourtant à cheval que vint, accompagné d’un seul écuyer, le marquis d’Autancourt. Marie, qui l’avait vu arriver, s’arrangea pour se trouver sur son passage. Il lui était devenu cher depuis qu’il s’était déclaré tellement amoureux de Sylvie et, en le voyant approcher au long de la grande galerie, mince et élégant à son habitude dans un costume de velours bleu foncé, elle pensa que la vie était mal faite : ce garçon aimable, bien fait et charmant en tout point, riche et promis à un titre ducal, possédait tout au monde pour être heureux mais le Destin l’avait placé sur le chemin de Sylvie et Sylvie n’était plus. Aussi la trace du chagrin marquait-elle ce jeune visage un peu sévère mais si séduisant quand un sourire venait l’éclairer.
Marie ne l’avait pas vu depuis qu’il avait rejoint en Roussillon le maréchal-duc de Fontsomme, son père, dont les forces appuyaient celles du prince de Condé. Elle ignorait même qu’il fût de retour mais, de toute évidence, il savait déjà à quoi s’en tenir. Visiblement heureux de la rencontre, son salut qu’il accompagna de l’ombre d’un sourire s’en ressentit.
— Vous êtes la première personne que je rencontre, madame… et j’en suis infiniment heureux.
— Je ne savais pas votre retour mais je suppose que M. le maréchal votre père vous a envoyé porter ses vœux à la Reine et à Mgr le Dauphin ?
— En effet, madame, mais – et vous l’ignorez sûrement – mon père ne pourra jamais plier le genou devant son prince : il est mourant et il fallait cette grande circonstance pour que je quitte son chevet.
— Mourant ? Mais que s’est-il passé ?
— Devant Salses, des éclats de mitraille l’ont atteint alors qu’à cause de la chaleur, il ne portait pas sa cuirasse. Les choses allant mal pour nos armes, Monsieur le Prince a bien voulu m’ordonner de le ramener à Paris. D’essayer tout au moins car en vérité, nous ne pensions pas qu’il arriverait chez lui vivant. Pourtant cela est et, à cette heure, il lutte contre la mort parce qu’il n’a jamais admis d’être vaincu, mais il l’attend cependant avec la plus chrétienne résignation. M. de Paul est venu le voir, hier, et il en a tiré une vraie joie…
— Je suis navrée, mon ami, dit doucement Marie en posant sa main sur le bras du jeune homme. Cette grande douleur est trop proche de la disparition de celle que vous aimiez… que nous aimions tous !
Elle s’attendait à une crispation du visage, à des larmes mal contenues peut-être, mais il n’en fut rien. À sa surprise, le regard que Jean d’Autancourt posa sur elle se fit serein, tendre et presque lumineux.
— Vous voulez parler de Mlle de L’Isle ?
— Bien sûr. De qui d’autre ? Vous avez appris, j’imagine ?…
— Oui. Le bruit en est arrivé jusqu’à moi, au bout de la France, mais j’ai refusé d’y croire…
— Il le faut bien pourtant ! M. de Beaufort lui-même en a porté la nouvelle à Leurs Majestés. La pauvre enfant, victime d’un misérable qui a payé son crime de sa vie, repose au château d’Anet. Mme la duchesse de Vendôme qui est encore auprès de la Reine pourra vous le confirmer. Elle a fait graver une dalle à son nom dans la chapelle…
Il y eut un silence, puis le jeune homme sourit de nouveau :
— Je ne lui poserai pas la question parce que rien de ce que l’on pourrait me dire n’entamerait ma conviction. Mlle de Lisle est peut-être morte, mais Sylvie ne l’est pas.
— Que voulez-vous dire ?
— C’est difficile à expliquer : je sais qu’elle n’est pas morte, voilà tout !
— Vous voulez dire qu’elle vit en vous comme vivent en nous ceux que nous aimons et que la mort a pris ?
— Non. Pas du tout. Je la porte en moi depuis le premier regard échangé dans le parc de Fontainebleau, si intimement liée à moi que si elle avait cessé de respirer, si son cœur ne battait plus, le mien se serait arrêté aussi et je l’aurais ressenti dans chaque fibre de mon corps comme l’une de ces blessures mortelles par lesquelles le sang s’écoule…
— C’est insensé !
— Non. C’est de l’amour. Je n’ai jamais aimé, je n’aimerai jamais qu’elle et tant que je ne l’aurai pas vu de mes yeux, je répéterai qu’elle vit et que je saurai bien un jour la retrouver… mais je vous retiens là alors que vous êtes si précieuse à Sa Majesté et je vous en demande mille pardons. Le Roi est ici, m’a-t-on dit, et je vais demander la faveur d’être introduit en sa présence.
Il s’éloigna, laissant Marie confondue. Admirative aussi devant un si grand amour. Jean d’Autancourt n’avait rien d’un songe-creux. Il parlait avec tant de conviction, une telle assurance que Marie sentit ses certitudes vaciller. Il n’offrait aucune explication, il n’avançait aucune preuve : simplement il savait, Dieu sait comment, et le plus fort était que, contre toute logique, Marie avait à présent envie de lui donner raison.
Le lendemain de ce beau jour, dans son appartement de l’hôtel de Vendôme, Beaufort écoutait, avec quelque mélancolie, le vacarme d’une ville prise de folie. Depuis la veille, les cloches ne cessaient de sonner. On chantait à Notre-Dame un Te Deum solennel. Des feux de joie s’allumaient sur les places et, sur celle qui portait le nom de Dauphine, il y avait concert de hautbois et de musettes. Des cortèges allégoriques menés par les corporations se formaient. On dansait un peu partout et comme, devant tous les hôtels aristocratiques, des pièces de vin étaient mises en perce. Ce soir, tandis qu’éclateraient les feux d’artifice, les Parisiens seraient ivres comme toute la Pologne en l’honneur de leur futur roi…
François aurait aimé se mêler à cette agitation autour du berceau d’un petit garçon qu’il avait envie d’aimer, mais sa blessure à la jambe qui avait lésé un tibia ne lui permettait guère de courir les rues comme il prenait tant de plaisir à le faire pour la simple joie de se mêler à un petit peuple qui lui faisait toujours si bel accueil. Les femmes le trouvaient beau, les hommes appréciaient sa simplicité, sa générosité et sa bravoure. Tous enfin aimaient à se rappeler qu’il était le petit-fils de ce Vert-Galant dont la mémoire demeurait si populaire… Aussi, ce jour-là, se sentait-il un peu abandonné : sa mère, sa sœur, son frère ainsi que ses meilleurs amis étaient à Saint-Germain pour offrir leurs vœux et leurs félicitations. De toute façon et même ingambe, il n’aurait pas pu les accompagner : les ordres de la Reine transmis par Marie de Hautefort étaient formels : en aucun cas, il ne devait se montrer à la Cour avant qu’on ne l’y autorise. Amère rançon de quelques moments de pur bonheur qu’on semblait avoir oubliés !