— Je n’en ai pas envie moi non plus et je jurerais que Sylvie sera de notre sentiment. Jamais elle ne consentira à retourner chez les filles d’honneur. Cependant, je souhaiterais pour son avenir qu’elle retrouve la protection de la Reine.
— Après ce qui lui est arrivé ?
— Oui. Je vais vous expliquer comment elle est revenue ici et à quel piège tendu par Mlle de Chémerault elle a eu la chance d’échapper…
Son récit terminé, Perceval conclut :
— J’avoue avoir péché par égoïsme en ne la renvoyant pas au couvent. J’étais si heureux de la retrouver ! Évidemment, j’aurais pu aussi la remettre à Mme de Vendôme, mais j’ai peur que cette protection-là ne lui soit plus d’une grande utilité…
Jean de Fontsomme, qui avait écouté son hôte en marchant de long en large pour combattre son indignation, arrêta brusquement sa promenade.
— Les mauvaises nouvelles que j’apporte ont justement trait à cette malheureuse maison et, connaissant les sentiments de votre filleule, je souhaitais n’en parler qu’à vous seul.
Le jeune duc expliqua alors qu’avant de venir chez son ami Raguenel il avait fait halte à l’hôtel de Vendôme pour proposer son aide à la duchesse et à sa fille. Il était présent auprès du Roi quand l’ordre d’arrêter Beaufort était parti, et il venait se mettre au service de ces deux femmes qu’il aimait bien.
— Encore que les ordres royaux ne les menacent en rien, elles ont choisi de se retirer pour un temps aux Capucines où elles reçoivent de fréquentes visites de Mgr de Lisieux, de monsieur Vincent et du nouveau coadjuteur de l’archevêque de Paris, l’abbé de Gondi. Elles sont calmes et sereines. Elles m’ont appris que M. de Beaufort est passé en Angleterre. Quant à Mercœur qui n’est pas concerné, il est toujours à Chenonceau. J’en suis donc sorti rassuré.
— Vous aimez tant que cela le duc François ? fit Raguenel mi-figue, mi-raisin.
— Je sais que Sylvie l’aime et j’avoue que, si elle n’existait pas, j’aimerais être son ami. Il est franc comme l’or, brave, un peu fou peut-être mais tellement loyal ! Que l’on puisse l’accuser de collusion avec l’Espagne est insensé. C’est un homme qui s’est trompé de siècle : au temps des Croisades, il eût conquis la Terre sainte à lui tout seul. J’espère qu’il n’aura pas l’idée de revenir en France tant que Richelieu vivra : sa tête est mise à prix.
— Vous avez eu raison de me parler d’abord. Sylvie s’imagine que son ami d’enfance file le parfait amour à Vendôme avec Mme de Montbazon. Elle en conçoit de l’amertume et c’est très bien ainsi ! Qu’elle le sache proscrit, en danger de mort, rendrait tout son prix à cette affection dont j’aimerais qu’elle la fixe définitivement dans ce rôle.
Le souper qui suivit fut charmant. Sylvie devint toute rose en apprenant que le Roi voulait qu’elle reparaisse à la Cour, mais refusa de retourner aux filles d’honneur.
— Je crains fort d’y compter pas mal d’ennemies et sans Marie de Hautefort, je ne me sentirais plus à l’aise. Mais dites-moi, mon ami : comment avez-vous fait pour obtenir du Roi ce grand intérêt pour ma modeste personne ?
— Vous étiez victime d’une grave injustice et…
— Inutile de vous défendre, coupa Perceval, je lui ai dit à quel titre vous avez réclamé sa libération.
Ce fut au tour du jeune homme de s’empourprer.
— Je voulais mettre tout en œuvre pour arracher votre liberté, mais je vous supplie de croire que vous n’êtes engagée en rien avec moi. Même des fiançailles officielles peuvent se rompre. C’est encore plus facile quand elles n’existent pas. Nous dirons plus tard au Roi que… nous avons changé d’avis. L’important est que vous oubliiez votre cauchemar et que vous puissiez reparaître dans l’entourage de la Reine.
La main de Sylvie vint se poser sur celle du jeune homme :
— Qu’allez-vous chercher là ? Vous savez que je vous aime beaucoup et j’ai pour vous une immense gratitude d’avoir ainsi éclairci ma situation. Ne préjugeons pas de l’avenir. Un jour peut-être je vous tendrai la main, mais c’est encore tôt, j’ai besoin d’essayer de voir clair en moi-même et vous, vous méritez un cœur qui soit tout à vous !
— Une modeste place dans le vôtre, même fort petite, aurait plus de prix à mes yeux que toute autre. Accordez-moi seulement la faveur de veiller sur vous !…
La Gazette ne manquait pas de copie en cette fin d’été, et son rédacteur venait presque chaque soir chez son ami Raguenel pour commenter avec lui les nouvelles de la journée. L’exécution à Lyon de Cinq-Mars et de Thou faisait un bruit énorme, couvrant presque la paix à Perpignan qui amarrait définitivement à la couronne de France le Roussillon et une partie de la Catalogne. C’était comme si un gigantesque remous né au pied de l’échafaud de la place des Terreaux ne cessait d’amplifier ses cercles concentriques. Cinq-Mars et son ami de Thou y étaient montés souriants, l’un vêtu de drap brun couvert de dentelles d’or avec des bas de soie verte et un manteau écarlate, l’autre en sévère velours noir, mais ils étaient si jeunes et si beaux qu’une grande émotion s’était emparée de la foule, bientôt en larmes quand les deux garçons s’étaient embrassés avant de poser leurs têtes sur le billot.
— On dit, commenta Renaudot, que le chancelier Séguier dépêché à Lyon pour le procès a tout fait pour sauver le jeune de Thou, agent de la Reine en cette histoire mais dont la culpabilité n’a pu être prouvée.
— Alors pourquoi une condamnation capitale ? demanda Perceval.
— Parce qu’il a refusé, même sur les Évangiles, de charger le duc de Beaufort, son ami. Au contraire, il a toujours nié qu’il eût participé en quoi que ce soit au grand complot, ayant refusé de s’y associer dès qu’il en eut connaissance. Alors Richelieu a exigé qu’il accompagne Monsieur le Grand dans la mort.
— Le Cardinal veut la mort de F… de M. de Beaufort, gémit Sylvie qui venait de rejoindre les deux hommes et qui avait entendu.
— Hélas oui, mademoiselle. C’est une chance qu’il ait réussi à gagner l’Angleterre, sinon nous déplorerions sans doute l’exécution d’un prince français alors que Monsieur, l’un des principaux conjurés, va s’en tirer avec un exil sur ses terres. La tête de Beaufort tombera, même s’il est innocent, s’il se risque à rentrer.
Le regard de Sylvie, noyé de larmes, chercha celui de son parrain, visiblement mal à l’aise :
— Vous saviez tout cela ?
— Oui, mais comme il a pu s’enfuir en Angleterre, à quoi bon vous en parler ? Vous avez assez souffert comme cela.
— Je souffre encore plus quand je ne sais rien. Ainsi, il est parti rejoindre son père… mais cette fois il ne pourra jamais revenir.
Les deux hommes se regardèrent, puis ce fut Renaudot qui apporta la conclusion.
— Pas tant que le Cardinal vivra… et peut-être même le Roi !
Sylvie baissa la tête sans répondre, puis salua le gazetier et se retira en silence, mais dès que Renaudot fut sorti elle vint retrouver son parrain :
— Voulez-vous, s’il vous plaît, demander à M. de Fontsomme de me mener à la Reine aussitôt que possible ?
Tout de suite inquiet, il essaya de déchiffrer le petit visage fermé.
— Vous voulez retourner chez les filles d’honneur ?
— Non. Je veux seulement la voir et parler avec elle. Je veux qu’elle sache que je n’ai rien oublié. M. de Thou est mort à cause d’elle, parce qu’elle en a fait son représentant dans une conjuration d’hommes d’épée où ce jeune légiste n’avait pas sa place. Ensuite, si j’ai bien compris, elle l’a elle-même dénoncé en livrant le traité, alors je veux lui rappeler que l’homme qu’elle aimait, le père de son fils, est en danger de mort, n’étant pas homme à rester longtemps hors des frontières.