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— J’avais tort de vouloir vous mettre au couvent. Mariez-vous petite ! Il vous faut un bon époux.

— Elle l’a déjà trouvé, dit Anne d’Autriche, mais les circonstances sont bien peu favorables à une fête.

Les vifs yeux sombres du vieil homme s’enfoncèrent dans ceux de la jeune fille comme s’il déchiffrait ce qu’il y avait au fond de cette âme.

— Le plus tôt serait pourtant le mieux…

Ce n’était pas l’avis de Sylvie. Elle n’ignorait pas – la Reine le répétait souvent en sa présence – que, devenue régente, le premier geste d’Anne serait de rappeler sur l’heure tous les exilés. Sylvie n’était pas seule à désirer passionnément revoir François… Toutes deux savaient, à présent, que le retour était proche.

Le 13 mai au matin, Louis XIII ouvrit les yeux et, reconnaissant le prince de Condé parmi ceux qui encombraient la chambre, il lui dit :

— Monsieur, l’ennemi s’est avancé sur notre frontière avec une grosse et puissante armée…

— Sire ! Que pouvons-nous…

— Laissez-moi… parler ! Je sais… que dans huit jours votre fils va le repousser honteusement… et le vaincre !

Étrange prescience des mourants ! Huit jours plus tard, à Rocroi, le jeune duc d’Enghien rejetterait pour longtemps les Espagnols hors de France…

Le lendemain, 14 mai, entre deux et trois heures de l’après-midi, le roi Louis, treizième du nom, exhalait son âme en prononçant le nom de Jésus. Trente-trois ans auparavant, jour pour jour, Ravaillac assassinait son père Henri IV…

Avant que son époux n’expire, la Reine suivie de trois de ses dames dont Mlle de Valaines avait quitté, selon la coutume, l’appartement mortuaire, donc le Château-Neuf, pour se rendre au Château-Vieux où se trouvaient le Dauphin et son frère. Le bruit des prières emplissait l’agréable demeure de plaisance où Anne d’Autriche s’était fixée depuis plusieurs années déjà.

Au moment où le petit cortège atteignait le vestibule, Sylvie reçut un choc si violent qu’elle laissa échapper le missel qu’elle tenait à la main. Somptueusement vêtu de velours noir brodé de jais sur lequel ressortait la blondeur de ses cheveux, un homme se tenait là, avec derrière lui trois de ses gentilshommes, un homme qui vint mettre genou en terre devant la Reine :

— Madame, dit Beaufort, me voici revenu à l’appel de Mgr l’évêque de Lisieux ainsi que Votre Majesté l’a souhaité. Et tout prêt à la servir en toutes choses !

Anne d’Autriche lui tendit sa main à baiser sans pouvoir dissimuler la joie qui brillait dans ses yeux.

— Relevez-vous, monsieur le duc, et accompagnez-nous…

À ce moment, la cloche de la chapelle se mit à sonner le glas. Tout le monde s’agenouilla et, après un instant de recueillement, la Reine acheva sa phrase :

— Nous allons chez le Roi !

Le mot qui sacrait son petit élève fit frissonner Sylvie. Le groupe gagna le vieux palais en silence. François marchait auprès de la Reine, un peu en arrière, et n’avait pas aperçu la jeune fille dont il ignorait le retour à la Cour. Elle ne voyait de lui que ses larges épaules et le dos de sa tête. Le cœur lui battait très fort. Pour la première fois, elle allait voir face à face le Dauphin et son véritable père.

Dans l’appartement des enfants royaux, Anne d’Autriche prit Louis dans ses bras et l’embrassa tendrement puis, reculant, elle fit à l’enfant une profonde révérence avant de baiser sa petite main.

— Sire, dit-elle avec une émotion qui ramenait l’accent espagnol, voyez devant vous votre mère et fidèle sujette…

Ensuite, elle se releva et fit avancer François qui salua profondément :

— Voici M. le duc de Beaufort, votre cousin et notre ami à qui je vous confie ainsi que votre frère. Il veillera bien sur vous : c’est le plus honnête homme du royaume.

L’enfant ne dit rien, mais le sourire qu’il avait eu pour sa mère s’effaça, faisant place à une gravité inattendue. Il tendit sa main sur laquelle François, à genoux, posa ses lèvres. Ses mains à lui tremblaient… On n’eut guère le temps d’en dire davantage : une cavalcade ébranlait les escaliers et jusqu’aux murs du château. À la suite de Monsieur et du prince de Condé, la Cour tout entière, abandonnant le défunt aux prières des religieux et aux soins des embaumeurs, se ruait comme à chaque changement de règne vers le nouveau souverain, loin d’imaginer que ce petit garçon, qui n’avait pas cinq ans, les brûlerait aux rayons d’un éclatant soleil…

Ce fut une étrange journée, au cours de laquelle l’astre de François monta au zénith. En un instant, ses pouvoirs furent immenses : la Reine s’appuyait sur lui seul pour toutes les décisions à prendre. La première fut que l’on rentrerait à Paris le lendemain même, pour montrer le Roi au peuple et surtout au Parlement par qui Anne d’Autriche entendait faire casser le testament de Louis XIII : elle voulait la régence seule, sans l’aide surtout de son beau-frère et de Condé. Cela sous-entendait que l’aide de Beaufort lui suffirait. Celui-ci, tout en gardant les formes extérieures du deuil, éclatait de bonheur, pensant follement qu’il allait pouvoir enfin vivre ses amours royales au grand jour. Ce fut au point que, le soir même, il eut une altercation avec le prince de Condé. Toute la Cour s’entassait chez la Reine. Tellement qu’elle se sentit soudain fort lasse. Beaufort prit alors les choses en main :

— Messieurs, retirez-vous ! s’écria-t-il d’une voix de stentor. La Reine veut se reposer.

Le prince de Condé s’en montra offusqué :

— Qui parle et donne des ordres au nom de la Reine là où je suis ?

— C’est moi, répondit François, qui saurai toujours fort bien exécuter ce que Sa Majesté me commandera.

— Vraiment ? Je suis bien aise de savoir que c’est vous pour vous apprendre le respect que vous me devez…

— Devant la Reine, je ne vous dois rien…

— Messieurs, messieurs ! s’écria Anne d’Autriche. Ce n’est pas le jour de se disputer. Puis, comme Condé, après un salut fort sec, quittait la place avec ses gentilshommes, elle soupira : « Seigneur Dieu ! Tout est perdu ! Voilà M. le prince de Condé en colère. »

— Ce n’est pas grave, Madame, et rien n’est perdu ! Demain vous aurez tous les pouvoirs et je saurai vous conseiller.

Ce qui venait de se passer l’enchantait. Il était heureux d’avoir rabattu la morgue de ce vieux serin qui avait osé, pour ne pas s’attirer la colère du défunt Cardinal, lui refuser la main de sa fille…

La foule s’écoulait et bientôt, il n’y eut plus que les dames de la Reine autour de la souveraine, exception faite des gentilshommes de service. C’est alors seulement que François remarqua Sylvie et, du coup, en oublia tout protocole.

— Vous ? Mais que faites-vous ici ? s’écria-t-il sans s’encombrer d’inutiles préambules.

— Vous le voyez, monsieur le duc, je sers la Reine. Je suis sa lectrice… et je donne des leçons de guitare… au roi Louis XIV !

— Ma parole, vous avez le diable au corps ? La dernière fois, je vous ai trouvée…

— La dernière fois, vous m’avez laissé entendre que ma véritable place était dans un couvent. Malheureusement je ne voulais pas du couvent, qui lui-même ne voulait pas vraiment de moi. Si vous y ajoutez qu’un personnage fort puissant m’en a tirée pour me jeter à la Bastille où je serais peut-être encore sans l’aide de mes vrais amis…

— Dont je ne suis pas, sans doute ?

— Vous savez bien que si, dit Sylvie avec une sorte de lassitude. Vous m’avez sauvée d’un sort pire que la mort et vous m’avez mise là où vous pensiez que je serais le mieux à l’abri. Grâce à vous, j’ai connu Belle-Isle qui est entrée dans mon cœur, mais vous n’avez pas cherché à savoir ce que j’y devenais et tout ce que vous avez trouvé à m’offrir quand j’ai dû la quitter, c’était un couvent. Et vous m’avez traitée comme si j’étais une servante indélicate…