Les yeux vifs de Marie de Hautefort observaient tout cela avec un intérêt passionné et éclairaient pour Sylvie les méandres de ce grand chambardement :
— Ou je me trompe fort, dit-elle un jour à son amie, ou notre François pourrait avoir à souffrir avant qu’il soit longtemps une déception amère. Je n’aime pas du tout les apartés continuels de notre Reine avec ce jocrisse ! (étant entendu que dans son esprit jocrisse s’écrivait Mazarin).
On n’en était pas là. Les Vendôme étaient revenus avec quelque fracas, et singulièrement le duc César, devenu une sorte de curiosité depuis le temps qu’on parlait de lui sans jamais le voir. Il apparut donc avec tout un apparat de gentilshommes pour reprendre sa place à la Cour mais, plus rusé que Beaufort, il fit mille grâces au nouveau cardinal. Ce qui ne manqua pas d’inquiéter les siens qui connaissaient son goût des jolis garçons mais, en fait, César s’intéressait davantage à la Bretagne qu’aux charmes de Mazarin. Il avait trop rêvé, dans son exil, de ce gouvernement qu’il jugeait patrimonial pour ne pas désirer ardemment le récupérer. La mort de Richelieu – qui en portait le titre et en exerçait la charge – le laissait vacant. Hélas, il plaça ses sourires à perte : le cher gouvernement était déjà attribué au maréchal de La Meilleraye que César exécrait. Du coup, il se retira sous sa tente, comme Achille, et s’en alla bouder sous les lambris dorés de son hôtel de Vendôme.
En prédisant une déception à François, Marie de Hautefort ne se trompait pas et, bientôt, père et fils tombèrent d’accord pour jurer au nouveau cardinal une haine solide. En effet, une fois en possession des pleins pouvoirs, la régente laissa passer un délai convenable avant de lancer son coup de tonnerre : Mazarin était désormais son Premier ministre. François de Beaufort crut en mourir de fureur mais se garda bien de protester. Ce qu’il fallait, c’était durcir ses positions et ravaler l’autre au rang de simple exécutant des volontés royales comme des siennes propres.
D’instinct, il haïssait cet homme et il ne comprenait pas pourquoi « sa » Reine se tournait vers cette imitation de prélat jusqu’à ne plus prendre de décision sans son avis. Petit à petit, l’Italien rusé, jaloux peut-être, élevait une barrière entre la régente et l’homme qui l’avait tant aimée. Naturellement, Beaufort n’endura pas cela bien longtemps. Il décida d’affirmer son emprise sur Anne, ses droits d’amant, même si le deuil royal ne l’autorisait guère. Le malheur voulut que, emporté par son caractère bouillant, il le fit avec une maladresse qui confondit Sylvie, présente dans le Grand Cabinet quand il y arriva un matin en clamant qu’il voulait voir la Reine.
— C’est impossible, monseigneur, lui dit La Porte. Sa Majesté est dans sa chambre et ne reçoit pas.
François se contenta de sourire, puis affirma :
— Allons, La Porte, vous savez bien qu’elle me recevra, moi !
— Non, monsieur le duc. La Reine est dans son bain.
— La belle affaire !
Et, repoussant le serviteur, il entra tranquillement dans la chambre sans vouloir entendre le cri de Sylvie à laquelle il n’avait même pas accordé un regard. Il n’y resta pas longtemps : une pluie d’injures espagnoles assaisonnées de l’accent idoine l’obligea à battre en retraite avec une précipitation qui déchaîna le rire de Marie de Hautefort, présente aux côtés de la Reine. Sans demander son reste, François quitta l’appartement royal, avec la seule satisfaction de claquer la porte au nez d’un des Suisses de garde.
La colère de la Reine ne dura guère. Elle aimait encore trop François pour lui en vouloir longtemps, bien que Mazarin eût souligné avec quelque aigreur l’inconvenance de la scène. Un autre incident vint s’ajouter à celui-là et creuser un peu plus le fossé entre les deux amants. La maîtresse de Beaufort, la belle Montbazon qui détestait l’ex-Mlle de Condé devenue duchesse de Longueville parce que François avait longtemps été des prétendants à sa main, tenta d’attaquer sa réputation de jeune mariée. Un sort malin voulut que Mme de Montbazon trouvât dans son salon, après le départ de quelques visiteurs, deux lettres de femme, fort belles et fort tendres, perdues par le marquis de Coligny. Elle décréta aussitôt que Mme de Longueville en était l’auteur, convainquit François de la justesse de son analyse et en fit des gorges chaudes, profitant même du grand rassemblement de la Cour et de la haute noblesse autour d’Élisabeth de Vendôme dont on célébrait les noces avec le duc de Nemours.
Le mariage – le premier du règne de Louis XIV – avait été célébré dans l’ancien Palais-Cardinal devenu Palais-Royal où la Reine et ses enfants venaient d’emménager. Cette demeure, vraiment princière, était plus agréable à vivre que le vieux Louvre décrépit et toujours en travaux.
La princesse de Condé, mère de la duchesse de Longueville, jeta feux et flammes, criant à l’insulte publique et à la calomnie… et la Reine lui donna raison : l’imprudente Montbazon dut se rendre à l’hôtel de Condé pour présenter des excuses publiques. Il y avait naturellement un monde fou, mais elle s’exécuta avec une insolence et une désinvolture bien dans le style Beaufort, lisant à la manière d’une mauvaise comédienne et avec un sourire de mépris un petit texte épinglé à son éventail qu’elle jeta ensuite dédaigneusement… Résultat : lors de la réunion suivante où se trouvaient les dames et la princesse de Condé, la régente pria Mme de Montbazon de se retirer. Fou de rage, Beaufort se précipita chez Anne :
— Elle a fait ce que vous ordonniez, s’écria-t-il sans se soucier des personnes présentes. Vous n’aviez pas le droit de l’humilier de nouveau.
Très belle dans ses voiles noirs qui convenaient si bien à son teint de blonde, la Reine tenta de le calmer :
— Il y a façon de faire les choses, mon ami. Vous le ressentiriez comme moi si votre duchesse ne vous était si chère.
L’amertume qui teintait la voix d’Anne ne trouva même pas le chemin des oreilles du jeune homme qui haussa les épaules. Le malheur voulut que Mazarin, entré depuis un instant, s’approche, armé de son sourire mielleux. Avec fureur, Beaufort lança :
— On dirait que les temps sont révolus, Madame, où vous saviez entendre la voix de vos vrais amis. Celle des nouveaux l’étouffe sans que vous vous rendiez seulement compte de leur peu de valeur…
Et, virant sur ses talons sans même saluer, il se heurta à Sylvie qui arrivait, avec Fontsomme, sur les pas du cardinal. De l’humeur dont il était, François les reçut en pleine figure. Ses yeux étincelants enveloppèrent le couple d’un regard où la colère s’efforçait de chasser la douleur tandis que son visage pâlissait sous le hâle.
— Eh bien, grinça-t-il, voilà qui met un comble à la journée ! On dirait que vous avez choisi votre camp, mademoiselle de Valaines ? Vous arrivez dans les jupes de Mazarin.
Jean allait riposter, mais Sylvie s’y opposa :
— Je ne suis dans les jupes de personne. Je viens seulement prendre mon service auprès de Sa Majesté. Le cardinal arrivait devant nous et nous n’avions aucune raison de vouloir lui prendre le pas. Après tout, c’est le Premier ministre et…