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— M. de Villeroy est un brave homme et l’abbé un grand chrétien, mais ils sont peu instruits et, du moment que le Roi tient bien son rôle dans les circonstances, ils n’en demandent pas plus. Et moi, les domestiques n’écoutent pas ce que je leur dis. Ils répondent que pour traiter le Roi et son frère comme on devrait il faut de l’argent et que le cardinal Mazarin n’en donne pas…

— Il est trop occupé à le garder pour lui ! répondit la jeune femme outrée qui, incapable de se taire, s’en alla tenter d’expliquer à la Reine un état de choses qui lui paraissait incroyable. Elle se heurta à une véritable apathie et ce fut Mazarin qui se chargea de lui laisser entendre que, si elle voulait conserver le privilège musical qu’on lui accordait auprès du Roi, il valait mieux qu’elle ne se mêle pas de la vie intérieure du palais. Son époux lui en dit autant :

— Mazarin est trop fort pour vous, mon cœur. Ne vous engagez pas dans une bataille perdue d’avance. La Reine le soutiendra toujours. Souvenez-vous de ce qu’il est advenu à notre amie Hautefort…

Marie, en effet, peu de temps après l’arrestation de Beaufort, n’avait pu contenir son indignation. Un matin où, dans son rôle de dame d’atour, elle aidait la Reine à choisir des souliers et à les passer, elle avait tenté d’expliquer – doucement, ce qui chez elle était un exploit – que la régente devrait user de plus de retenue dans ses relations avec un ministre dont on commençait à jaser, mais elle n’avait pas été bien loin dans le développement de cette idée : Anne était entrée aussitôt dans une colère « espagnole », elle avait donné un coup de pied à la jeune fille agenouillée devant elle, lui avait enjoint de quitter son service sur l’heure et était sortie sans plus rien vouloir entendre.

Pour la fière Marie, la blessure avait été cruelle. Comme d’autres avant elle, comme Mme de Chevreuse retirée la rage au cœur dans son château de Couzières, elle venait de découvrir que l’ingratitude faisait partie des défauts d’Anne d’Autriche et que, si elle avait apprécié l’amitié dans les heures difficiles, les joies du pouvoir enfin atteintes, elle trouvait plus commode de se débarrasser de ceux qui en savaient un peu trop. Son brusque accès de colère ressemblait beaucoup à un prétexte.

— Prenez garde qu’un jour ce ne soit votre tour ! conseilla Marie à Sylvie tandis qu’elle faisait ses derniers préparatifs de départ. J’ai bien peur que la Reine ne nourrisse un sentiment un peu trop tendre pour Mazarin. Alors prenez garde…

Grâce à Dieu, perdant une amitié chère Marie rencontra l’amour, le grand, celui qu’elle n’aurait jamais cru possible. Tombé amoureux d’elle, le maréchal de Schomberg obtint non seulement sa main mais son amour. Il avait vingt ans de plus qu’elle mais il était « beau et sombre comme un dieu ». Ils s’aimèrent passionnément, et dès lors, Marie, durant les absences de son époux, ne quitta guère son beau château de Nanteuil-le-Haudouin où Sylvie, bien souvent, allait la voir…

En pénétrant au Palais-Royal, cet après-midi de Pentecôte, Sylvie se demandait comment elle allait être accueillie en dépit de l’ordre reçu. Mais une surprise l’attendait : quand elle entra chez la Reine, Mazarin était là et tous deux riaient de si bon cœur qu’ils ne s’aperçurent même pas de sa présence. Elle s’approcha de Mme de Motteville :

— Qu’est-ce qui les rend si joyeux ? chuchota-t-elle. Ce n’est tout de même pas…

— L’évasion du beau François, si ! Son Éminence trouve que c’est une histoire impayable.

— Eh bien, je ne l’imaginais pas à ce point dépourvu de rancune.

À ce moment, le rire de la Reine s’acheva sur une phrase en forme de conclusion tandis que le cardinal s’inclinait avant de se retirer :

— De toute façon, il a bien fait ! Il nous eût été difficile de libérer ce fou sans que quelqu’un trouve à redire. Ah, madame de Fontsomme ! Le Roi vous attend avec impatience…

— Est-ce que Sa Majesté est souffrante ?

— Non. Il va bien mais, depuis hier, il ne cesse de crier qu’il a composé une chanson et qu’il veut la chanter avec vous. J’imagine que vous êtes au fait de la grande nouvelle du jour ? Voilà votre ami Beaufort aux champs. Vous devez être contente ?

Le ton était un peu pincé mais il en fallait plus pour émouvoir Sylvie :

— C’est vrai, Madame, je suis contente. C’est long, cinq années en prison. Surtout pour lui !

— Il ne fallait pas se mettre dans le cas d’y entrer. Cependant s’il croit nous avoir joué un mauvais tour, il se trompe. M. le cardinal, qui aurait dû être sa victime, n’est pas très mécontent.

— Pourtant, après la prédiction de Coysel, il avait fait doubler la garde du prisonnier ?

— Réaction bien naturelle mais, depuis, Son Éminence a trouvé un excellent moyen de ramener dans sa main toute la famille de Vendôme. D’où la tranquillité avec laquelle il a reçu la nouvelle de l’évasion.

Et comme Sylvie, n’osant poursuivre ses questions, la regardait avec une vague inquiétude, la Reine lui tapota le bras du bout de son éventail.

— Vous ne devinerez jamais ! Un mariage, ma chère, un grand et beau mariage de l’aînée de ses nièces avec le duc de Mercœur. Le futur duc de Vendôme deviendra ainsi son neveu et notre pauvre Beaufort ne pourra que se tenir tranquille… Allez voir le Roi, à présent ! Je vous rejoindrai tout à l’heure !

— Seigneur ! pensa Sylvie encore sous le choc de la nouvelle. Ces gens-là sont fous ! Jamais le duc César, tout exilé qu’il est, n’acceptera d’allier le sang d’Henri IV à celui de cet Italien ? Et je n’imagine même pas ce qu’en pourrait dire François… Les Mazarin chez les Vendôme ! On croit rêver !

En effet, Mazarin entreprenait depuis quelques mois de faire partager à sa famille les bienfaits de sa fortune. Le 11 septembre de l’année précédente, trois nièces et un neveu étaient arrivés d’Italie : deux brunettes respectivement âgées de treize et dix ans : Laura et Olympe Mancini, une petite blonde de dix ans elle aussi : Anna-Maria Martinozzi. Quant au garçon, Paul Mancini, il était âgé de douze ans[38]. Le plus étonnant fut l’accueil que leur réserva la Reine. Ces petites filles – jolies ou qui promettaient de l’être – furent d’emblée traitées par elle en véritables princesses. Et, comme le cardinal était proche voisin du Palais, on les y éleva. Mme de Senecey, disponible puisque le Roi était passé aux mains d’un gouverneur, fut chargée de leur éducation. Ce qui scandalisa beaucoup de monde mais, apparemment, le bon peuple et la noblesse n’avaient pas fini de s’étonner des desseins du cardinal touchant celles que l’on appelait déjà les Mazarinettes. Il entendait les caser aux rangs les plus hauts et, pour y arriver, il ne perdait pas de temps.

Sylvie trouva le jeune Louis XIV à demi étendu sur une chaise longue auprès d’une fenêtre ouverte sur les parterres fleuris des jardins. Il semblait triste et fatigué et, tout de suite, elle s’inquiéta :

— Votre Majesté est souffrante ?

Ce n’était pas une question de convenances. Le précédent mois de novembre, le jeune Roi avait contracté la petite vérole et, très vite, son état fut jugé grave. En fait, l’enfant ne fut malade que durant deux semaines puis la santé revint, ne laissant sur le visage enfantin que de légères marques du terrible mal, mais ces jours-là Sylvie les avait vécus l’un après l’autre, désespérée à l’idée que le fils de François qu’elle considérait un peu comme le sien pût disparaître… D’où l’angoisse qui venait de vibrer dans sa voix.

Le petit Roi qui allait sur ses dix ans lui sourit :