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C’était étrange, cette lumière qui traversait l’hôtel sur toute sa largeur. On aurait dit un fantôme, mais Sylvie ne croyait guère aux revenants. Alors ? Un admirateur du propriétaire qui, profitant de la fête au-dehors, s’était introduit dans la maison ? Possible mais peu probable. L’hôtel n’était peut-être pas habité depuis de longues années, mais il n’en était pas moins bien fermé et même gardé. Sylvie elle-même s’en était aperçue quand, poussée par la curiosité, elle avait essayé un jour d’y entrer. Ses liens étroits avec les Vendôme comme son titre de duchesse ne lui avaient servi à rien : le gardien, un vieux soldat qui avait servi sous le roi Henri, s’était montré aussi poli que ferme :

— Tant que le maître ne se fera pas ouvrir la porte, personne n’entrera… et j’en demande bien pardon à madame la duchesse.

Cette scène remontait à deux ans environ, et depuis elle n’avait plus jamais cherché à entrer et ne s’était pas davantage inquiétée du gardien. Était-il seulement encore là ? Il était si vieux, peut-être était-il mort ? Là-haut, le bouquet de chandelles se promenait toujours et Sylvie décida qu’elle en aurait le cœur net. En priant le bon Dieu que personne ne se mette à sa recherche, elle se dirigea vers le fond du jardin, là où elle savait que le mur mitoyen, couvert de lierre sur une grande partie, était un peu écroulé, et elle entreprit de franchir l’obstacle.

Non sans peine : une ample robe de chambre en damas jaune n’était pas le vêtement idéal pour caracoler dans des éboulis et moins encore les petites pantoufles de velours, mais, fidèle à ses anciennes habitudes, Sylvie ne se laissait détourner par aucune difficulté lorsqu’elle voulait quelque chose et ce qu’elle voulait, c’était voir qui errait dans la maison déserte de la belle Gabrielle…

Le mur franchi sans trop de dégâts, elle s’avança le long de ce qui avait été une allée et que l’on distinguait encore en dépit des broussailles. Pour ne pas tomber, elle était obligée de regarder où elle posait les pieds, sans guère surveiller la lumière. Aussi, quand elle arriva au perron qui devait donner accès à des salons, la façade était-elle redevenue obscure. Pourtant elle ne renonça pas, monta les marches larges et basses pour accéder à une porte qui, à sa surprise, s’ouvrit avec un grincement. Là il fallut bien s’arrêter, parce qu’à l’intérieur on n’y voyait goutte. Il fallait attendre que ses yeux s’accoutument à l’obscurité. Cela sentait le moisi, mais aussi la cire chaude. Le flambeau avait dû être allumé par ici.

Enfin, elle distingua un départ d’escalier et se dirigeait vers lui, quand une lueur jaune glissa des hauteurs sur les marches de pierre poussiéreuses. Un pas précautionneux se fit entendre qui, tout à coup, se précipita et, avant que Sylvie interdite eût le temps de se dissimuler, elle était en face de Mme de Montbazon qui, devant cette ombre claire sortant des ténèbres, eut un mouvement de recul puis se mit à rire :

— Vous ne pouvez pas être le fantôme de Gabrielle d’Estrées puisque c’est moi qui joue ce rôle, dit-elle en élevant son chandelier, ce qui lui permit de reconnaître la nouvelle venue. Oh ! Mme de Fontsomme ! Vous vous êtes trompée de porte ?

— Non. Je prenais le frais dans mon jardin quand j’ai aperçu votre lumière. Sachant la maison inhabitée depuis longtemps, je me suis sentie intriguée et j’ai franchi le mur qui s’écroule un peu au fond des deux jardins. Mais vous-même, comment êtes-vous entrée ? Si vous aviez traversé tout ce peuple qui danse là-bas, je l’aurais entendu aux acclamations…

La duchesse posa son flambeau sur une marche de l’escalier et s’assit à côté en faisant signe à Sylvie d’en faire autant.

— Bien observé ! dit-elle. En fait, je suis venue par le souterrain qui fait communiquer cet hôtel avec les caves d’une maison voisine, qui m’appartient. Deux sorties possibles donc ! Ainsi l’avait voulu le roi Henri IV qui connaissait bien les peuples et savait avec quelle facilité on peut les dresser contre une favorite. Cela n’a pas empêché la pauvre Gabrielle d’Estrées de mourir empoisonnée chez le banquier Zamet…

— Empoisonnée ? Elle est morte de convulsions après un accouchement horrible…

— Ça, c’est la version officielle qui n’a pas convaincu grand-monde. Songez un peu ! Encore quelques jours et elle devenait reine de France. Ce que personne ou presque n’acceptait. Il fallait qu’elle meure…

— Et Zamet aurait osé ?

— Pas lui – le roi d’ailleurs ne lui en a pas voulu – mais d’autres à son service. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifierait pour nos amis si Gabrielle avait été couronnée ? César de Vendôme serait roi à l’heure actuelle et Mercœur dauphin de France. Quant à notre cher François, il serait duc d’Orléans. Cela donne à rêver, n’est-ce pas ?

— Plus encore que vous ne pensez ! soupira Sylvie. Savez-vous que Mazarin songe à marier l’aînée de ses nièces à Mercœur ? Ce pourrait être même un mariage d’amour…

Mme de Montbazon regarda Sylvie comme si elle devenait folle, puis elle éclata de rire :

— Mercœur neveu de Mazarin ? Sang du Christ ! Beaufort est capable de tuer son frère pour empêcher ce scandale !

Et voilà ! La grande silhouette de François venait de se dresser devant ces deux femmes assises sur leur escalier comme des oiseaux sur une branche.

— Où est-il ? demanda Sylvie, incapable de retenir plus longtemps la question qui lui brûlait la langue. Mazarin feint de rire du bon tour qu’il lui a joué, mais je suis sûre qu’il le fait rechercher activement.

— Bien entendu ! Mais… rassurez-vous, il est en sûreté. Seulement vous le connaissez : le problème avec lui, c’est qu’il refuse d’aller se tapir dans quelque château provincial : il veut rentrer dans Paris… et c’est pourquoi je suis ici ce soir. Je suis venue visiter, voir ce qu’il faut faire pour que cette bâtisse soit habitable…

— Rentrer dans Paris ? Ce n’est pas raisonnable…

— Il n’est jamais raisonnable, vous le savez. Et je suis accoutumée depuis longtemps à faire ses volontés, ce qui me permet d’arranger les choses autant qu’il m’est possible…

— Puis-je vous aider ?

Marie de Montbazon ne répondit pas tout de suite. Elle employa ce temps à scruter le visage de sa jeune voisine d’un air méditatif. Finalement, elle demanda :

— Quel âge avez-vous ?

— Vingt-cinq ans. J’ai six ans de moins que François.

— Et moi quatre de plus… Naturellement vous l’aimez… sinon vous ne seriez pas ici.

Sylvie détourna les yeux pour échapper au regard vert qui semblait vouloir fouiller son âme, mais elle se redressa et prit un joli air de dignité :

— Je l’ai aimé, dit-elle un peu sèchement. Il a été le héros de mon enfance, mais à présent j’aime mon mari !

— N’est-ce pas une demi-vérité ? Disons que vous l’aimez bien et que d’ailleurs il le mérite amplement, mais au fond, tout au fond de votre cœur, qu’y a-t-il ?

— Pourquoi donc irais-je voir si loin ? De toute façon, c’est vous qu’il aime… murmura Sylvie avec un brin d’amertume qu’elle ne put retenir.

— Non, plus maintenant et j’avoue regretter le temps de Vincennes où j’étais bien sûre d’être la seule, par force ! Mais depuis qu’il est sorti, je suis certaine qu’il aime ailleurs…