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— Vous-même n’êtes pas si à plaindre, il me semble ? Mais… au fait : quelle idée d’aller coucher au couvent ? Vous avez besoin d’un refuge ?

— En quelque sorte.

— Eh bien, venez avec moi ! Il est tout trouvé votre refuge puisque je suis là. Et d’ailleurs, je ne vous lâche plus !

— Je n’ai pas non plus envie de vous quitter. C’est une telle joie de vous avoir rencontrée quand je vous croyais à Nanteuil.

Elle n’ajouta pas qu’elle se sentait soulagée d’un grand poids. Il serait tellement plus facile d’expliquer la raison de sa recherche d’un abri à Marie plutôt qu’à la supérieure de la Visitation ! Et l’on repartit bras dessus, bras dessous, en bavardant gaiement, franchissant les barricades – cette nuit-là, il s’en construisit douze cents à Paris – et le plus souvent acclamées par les défenseurs flattés de voir d’aussi jolies dames les encourager de leurs sourires.

Chose bizarre, ce fut la barricade la plus proche de l’hôtel de Schomberg qui fut la plus difficile à passer. Et cela pour deux raisons : voisin de l’Oratoire, rue Saint-Honoré, l’hôtel était proche du Palais-Royal. En outre, on savait l’absolu dévouement du maréchal à son Roi. Même si, vice-roi de Catalogne, il se trouvait alors à l’autre bout de la France, il ne faisait doute pour personne que, présent à Paris, il eût taillé en pièces Messieurs du Parlement et leurs amis sans bouger un sourcil. Mais il avait, en Marie de Hautefort, une épouse à sa mesure.

— Quelques laquais et deux dames, voilà en vérité un ennemi digne de vous, braves que vous êtes ! déclara-t-elle au rôtisseur armé d’une lardoire qui prétendait l’empêcher de passer. Souhaitez-vous me déclarer la guerre ?

— C’est selon. Êtes-vous pour ou contre Mazarin ?

— Qui, étant dans son bon sens, s’aviserait d’être pour ce faquin ? Assez ri, mon ami : Mme la duchesse de Fontsomme et moi-même sommes fort lasses et souhaitons prendre quelque repos.

— Alors, criez : « À bas Mazarin ! »

— S’il n’y a que cela pour vous faire plaisir nous allons même tous crier en chœur. Allons, messieurs les laquais ! Votre plus belle voix !

Les deux femmes et leur petite troupe lancèrent vers le ciel un « À bas Mazarin ! » si bien orchestré et si enthousiaste qu’on les acclama et que l’on tint à les accompagner jusqu’à la porte de l’hôtel avec toutes les marques du plus affectueux respect. Là, on les salua :

— S’il vous arrivait aventure dans les jours à venir qui seront difficiles, mesdames, réclamez-vous de moi : je m’appelle Dulaurier et je suis épicier rue des Lombards… dit un fervent admirateur.

Et il retourna à sa barricade.

— Ouf ! soupira Marie en se laissant tomber sur son lit tendu de brocatelle bleu et argent, on dirait que nous allons avoir une petite guerre parisienne ? J’avoue que cela m’amuse assez ! Pas vous ?

— Dans une guerre il y a des morts… et j’avoue que je me soucie beaucoup de notre petit Roi.

— Vous avez bien tort ! Tous ces gens se jetteraient dans la Seine plutôt que d’oser porter la main sur lui. Vous avez entendu ? C’est à Mazarin qu’ils en ont…

D’un sec mouvement des chevilles, elle se débarrassa de ses petits souliers de satin prune, fort abîmés à vrai dire par le parcours inhabituel qu’ils venaient d’accomplir, puis sourit à son amie qui en faisait autant :

— Vous l’aimez vraiment, le petit Louis, n’est-ce pas ?

— Je l’avoue. Il m’est presque aussi cher que ma fille…

— Celui que le bon La Porte appelle en secret « l’enfant de mon silence » ! Vous avez toutes les raisons pour cela… Mais, au fait, pourquoi jugiez-vous indispensable d’aller coucher à la Visitation ?

— Pour fuir le plus grave des dangers. Celui que, cependant, j’ai tant rêvé de rencontrer…

Son regard se fixa sur les chambrières qui entraient afin d’accommoder leur maîtresse pour la nuit.

— Vous allez partager mon lit, dit Marie. Ainsi, nous causerons le plus commodément du monde.

Les femmes s’activèrent et bientôt Marie et Sylvie se retrouvèrent étendues côte à côte au milieu des vastes oreillers de fine toile garnie de dentelles, et la seconde rapporta fidèlement à son amie ce qui s’était passé dans son jardin, et comment l’arrivée inopinée de Gondi l’avait sauvée de l’irréparable…

— Il ne me restait d’autre ressource que de fuir, murmura-t-elle. Dieu m’est témoin pourtant que j’ai dû me faire violence et que je n’en avais pas la moindre envie…

— Mais vous avez eu raison, dit Marie avec gravité. À toute autre que vous, je dirais qu’il est stupide de laisser passer l’éblouissant amour lorsqu’il se présente et qu’il n’est pas bien grave d’avoir un amant. Une bonne part des femmes que nous connaissons en sont pourvues et les maris ne s’en portent pas plus mal, mais vous et Fontsomme n’avez rien à voir avec une Longueville, une Montbazon ou une La Meilleraye. Vous formez un véritable couple et je crois que vous aimez votre époux ?

— De tout mon cœur, Marie.

— Il faut croire que vous en avez deux, puisque l’un appartient, et depuis longtemps, à Beaufort. Mon pauvre petit chat ! Vous avez raison de penser qu’une trahison blesserait cruellement votre époux, mais aurez-vous toujours la force de repousser l’amour de François ? Pour avoir vécu à mes côtés sa passion pour la Reine, vous savez jusqu’à quels excès il est capable de se laisser porter. Et j’ai bien peur qu’il vous aime de la même façon. Dites-vous qu’il saura vous retrouver où que vous soyez… et que vous l’aimez toujours puisque sans ce touche-à-tout de Gondi vous vous abandonniez.

— Vous venez de répondre vous-même à cette question. Oh, Marie ! que dois-je faire ?

— Quel conseil pourrais-je vous donner, moi qui ai la chance d’aimer Charles comme vous aimez à la fois Jean et François ? Je sais ce que sont les élans de la passion et je serais mal venue de faire la prude avec vous.

— Alors ?

— Alors, rien ! Tout ce que nous pouvons faire – car les miennes vous sont acquises ! – ce sont des prières… et puis laisser agir le Destin contre lequel nous ne pouvons pas grand-chose. Le seul avis que je puisse vous donner c’est, je crois, celui-ci : s’il advenait, ma Sylvie, que vous succombiez, faites en sorte que Fontsomme ne l’apprenne pas…

Épuisées par une soirée si fertile en événements, les deux jeunes femmes ne résistèrent pas longtemps au sommeil et dormirent jusqu’à une heure avancée de la matinée. Ce fut pour découvrir un étrange paysage : il y avait des barricades partout, fermant toutes les rues pouvant donner accès au Palais-Royal. Sur ces entassements hétéroclites de chariots, de futailles, de pavés, d’échelles et de meubles, des hommes veillaient, le mousquet à l’épaule, l’œil aux aguets. Seules, des patrouilles allaient et venaient, arrêtant tous ceux qui voulaient passer. Quand il s’agissait de gentilshommes, ils devaient crier « À bas Mazarin » comme les promeneuses de la nuit, mais aussi « Vive Broussel ! ». Le premier cri ne soulevait guère de problème, la noblesse de France détestant le ministre de la Reine. L’autre entraînait moins de conviction, d’abord parce que beaucoup ignoraient de qui il s’agissait. Comme il était inutile de se faire couper la gorge pour un parfait inconnu, on se laissait facilement convaincre. Quoi qu’il en soit, tous ceux qui prétendaient se rendre au Palais-Royal devaient rebrousser chemin : la résidence royale était doublement gardée, par les barricades mais aussi par ses grilles fermées et ses propres gardes disposés autour des bâtiments par M. de Guitaut dont on apercevait souvent les plumes rouges tandis qu’il vérifiait les postes.