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— Comment l’oublier ? C’est l’un de mes plus doux souvenirs…

— Pour moi aussi. Je tenais votre petite main dans la mienne et vous avez fini par vous endormir contre moi…

Tout en parlant, il s’était emparé de la main de Sylvie. Encore secouée par ce qu’elle venait de vivre, mais toute au bonheur d’être auprès de lui, elle la lui laissa mais remarqua :

— Je n’ai pas du tout envie de dormir.

— Tant pis !…

Il porta le mince poignet à ses lèvres pour l’en caresser doucement, puis demanda à voix basse :

— Pourquoi es-tu partie l’autre nuit ?… Quand je suis revenu vers toi, brûlant d’amour, le jardin était abandonné et mon bel oiseau envolé. Alors je suis passé par le portail pour te demander et au moins te parler, mais on m’a dit que tu étais partie… Où étais-tu ?

— À l’hôtel de Schomberg où je suis restée jusqu’à ce matin.

— Tu avais si peur de moi ?

— Oh non, mon cher amour, ce n’est pas de vous que j’ai peur mais bien de moi. Si j’étais restée, j’aurais sans doute connu un immense bonheur… vite suivi d’affreux remords…

Il voulut la prendre dans ses bras mais elle le tint à distance. Il soupira :

— Répète ce que tu viens de dire !… Appelle-moi encore ton cher amour.

— Dans mes rêves je vous ai toujours appelé ainsi, mais je n’ai plus le droit de rêver. Songez à qui je suis mariée !

— Au diable votre époux, madame ! Que venez-vous toujours le jeter entre nous ? Nous nous aimons… avec passion ! Moi tout au moins ! N’est-ce pas la seule chose qui devrait compter ?

— Non. Vous qui faites si grand cas de l’honneur, soyez un peu plus soucieux du mien.

— Allez-vous jouer les prudes ? Je vous parle d’amour et l’amour doit passer avant tout. Je ne serai heureux, Sylvie, que lorsque vous serez mienne… et je suis sûr que vous le serez aussi.

— Quel fat vous faites !… Vous venez trop tard, mon ami. Pas parce que je vous aime moins qu’autrefois – Dieu m’est témoin que je n’aimerai jamais que vous au sens de la passion – mais que n’êtes-vous venu me prier plus tôt ! Que ne m’avez-vous aimée plus tôt… À présent, il y a entre vous et moi un homme droit, bon et plein d’amour que pour rien au monde je ne veux blesser…

— Quel heureux mortel ! fit Beaufort avec amertume. Il y a vraiment des gens qui ont de la chance ! Celui-là n’a eu qu’à se baisser pour tout récolter : physique agréable, fortune, titre et enfin la seule femme que j’aime ! Ce n’est pas juste !

— C’est vous qui ne l’êtes pas. Me direz-vous ce que vous avez à lui envier : vous êtes prince – et même prince du sang ! – pas vraiment affreux, suffisamment riche pour les tripots que vous fréquentez – ne protestez pas, je le sais ! – enfin vous avez eu toutes les femmes que vous avez voulues.

— Sauf la seule qui ait de l’importance !

— Ne reniez pas celles que vous avez aimées, ce n’est pas digne de vous.

— Vous ne m’empêcherez pas de garder l’espoir !

— Je n’ai aucun moyen de vous en empêcher… mais ne comptez pas sur moi pour vous encourager !

On arrivait et il était grand temps pour Sylvie. Enfermée dans cet espace clos avec un homme dont elle sentait l’ardeur l’envelopper comme une flamme, elle mourait d’envie de se jeter dans ses bras et d’oublier tous les beaux principes qu’elle venait d’énoncer au seul profit d’une divine étreinte mais, après avoir franchi le pont de Charenton, le carrosse s’était engagé sur une petite route aboutissant au château de Conflans.

Sylvie eut à peine le temps de mettre pied à terre que Jeannette et la petite Marie étaient déjà là.

— On dit qu’il y a eu du bruit dans Paris ! s’écria la première après avoir salué Beaufort. Nous étions en peine de madame…

— Il ne fallait pas. Je n’ai couru aucun danger.

— Mon Dieu !…

La dernière exclamation était suscitée par Marie qui, tendant ses petits bras, s’efforçait de passer de ceux de Jeannette à ceux de François. Il lui sourit et l’enleva en la tenant en l’air où pieds et mains s’agitèrent joyeusement tandis que l’enfant riait.

— En voilà une qui sait reconnaître ses amis ! dit le jeune duc. Dieu qu’elle est mignonne !… Elle ressemble à sa mère !

— C’est tout à fait ça ! fit Jeannette avec satisfaction. C’est le même petit diable qui pique les mêmes colères… et, on dirait, monseigneur, qu’elle vous a aussi adopté… comme sa mère !

En regardant sa fille appliquer de gros baisers sonores sur la joue de François qui la serrait contre lui, Sylvie éprouva une vive émotion. Elle aussi s’était, autrefois, blottie contre celui qu’elle appelait « Monsieur Ange ». Ce jour-là elle avait peur, froid, et elle tremblait dans sa chemise tachée de sang. Grâce à Dieu, ce n’était pas le cas de Marie, vêtue d’une jolie robe de toile rose sur des jupons bien blancs d’où dépassaient ses pieds minuscules chaussés de petites pantoufles de velours. Son attrait pour François n’en était que plus significatif, d’autant que, toujours comme elle-même autrefois, elle refusait de s’en séparer.

— Je vais la porter dans la maison, dit celui-ci en riant. Peut-être votre hospitalité ira-t-elle jusqu’à m’offrir un peu de vin frais ? Je meurs de soif…

Le moyen de refuser ? Sylvie d’ailleurs n’en avait pas envie et, au fond, elle n’était pas mécontente de montrer sa jolie maison des champs. On s’installa dans un salon dont les hautes fenêtres ouvraient sur les terrasses fleuries de roses et la Seine étincelante. Tenant toujours Marie, François s’en approcha :

— C’est ravissant… La maison de Sylvie ? ajouta-t-il en tournant son sourire vers la jeune femme. Elle m’en rappelle une autre qui n’était pas plus jolie…

L’entrée du majordome apportant une lettre sur un plateau vint rompre le charme :

— M. le comte de Laigues l’a portée lui-même il y a une heure en se rendant à Saint-Maur pour le service de Mgr le prince de Condé. C’est une lettre de Monsieur le Prince… et il n’y a pas de réponse.

Saisie d’une vague inquiétude, Sylvie prit la lettre en regardant François qui, sourcils soudain froncés, reposait à terre la petite fille. Elle en fit sauter le cachet et la parcourut rapidement, ce qui était une sorte d’exploit, l’écriture du vainqueur de Rocroi étant aussi extravagante que peu lisible. Enfin, elle exhala un léger soupir :

— Monsieur le Prince m’écrit de Chantilly[43]. Il dit qu’étant blessé devant Furnes, il a été secouru et dégagé par mon époux. Cette action… héroïque lui a valu d’être lui-même atteint et même capturé… Cependant, le gouverneur espagnol de la ville assiégée a fait savoir que sa vie n’était pas en danger et qu’il serait traité selon sa qualité de gentilhomme… et de monnaie d’échange… Monsieur le Prince ajoute que je ne dois pas me tourmenter et qu’il fait son affaire de la délivrance du meilleur de ses officiers…

— Depuis Chantilly ? ironisa Beaufort. Monsieur le Prince est sans doute un grand capitaine mais il lui arrive de raisonner comme un tambour crevé !

— Vous avez mieux à proposer ? fit Sylvie acerbe.

— Oui, madame la duchesse ! Moi proscrit, moi prisonnier en fuite, je vais aller à Furnes voir si je peux m’employer à vous rendre un époux si précieux !

Il salua jusqu’à terre puis sortit en courant.

— François ! appela la jeune femme.

Mais il était déjà parti.

CHAPITRE 13

DES VIVRES POUR PARIS !