Des personnages importants du royaume, seul manquait l’autre frère de Prestimion, le prince Abrigant. Au cours des premières années du règne de Prestimion. Abrigant avait joué un rôle considérable dans les affaires du gouvernement : c’était sa découverte des riches mines de fer de Skakkenoir qui avait été à l’origine de la majeure partie de la grande prospérité du royaume sous l’empire de Prestimion… Mais dernièrement, il s’était retiré dans le domaine familial de Muldemar, sur la pente, dont il avait hérité de la responsabilité, et il y passait la plupart de son temps. Mais tous les autres étaient rassemblés. La présence de tant de grands dignitaires ce jour-là à la réunion du Conseil renforça les appréhensions de Varaile.
Rapidement, elle traversa la pièce jusqu’au petit trône de marbre blanc grossièrement taillé qui était le siège du Coronal, et ce jour-là, en l’absence du Coronal, le sien en tant que régente. Elle jeta un œil sur sa gauche, où était assis Septach Melayn, l’élégant escrimeur aux longs membres qui était le meilleur ami de Prestimion depuis son enfance, et qui était, après Varaile elle-même, le conseiller dont il respectait le plus l’avis. Septach Melayn rencontra le regard de Varaile avec gêne, presque tristement. Gialaurys… Navigorn… Dembitave… paraissaient être mal à l’aise aussi. Seul l’imposant mage Su-suheris, Maundigand-Klimd, était impénétrable, comme toujours.
— Je suis déjà au courant, commença-t-elle, que le Pontife est malade. Quelqu’un peut-il me dire à quel point exactement ?
Elle porta son attention vers le légat pontifical.
— Phraatakes Rem, ces nouvelles ont été transmises par vous, ai-je raison ?
— Oui, madame.
C’était un petit homme soigné, aux cheveux gris, qui représentait officiellement le Pontife au Château depuis neuf ans… pour l’essentiel, un ambassadeur du monarque le plus âgé auprès du plus jeune. La spirale dorée compliquée, qui était le symbole du Labyrinthe, était fixée sur la poitrine de sa souple tunique gris-vert à l’aspect velouté.
— Le message est arrivé la nuit dernière. Il n’y en a pas eu d’autre depuis. Nous ne savons rien de plus que ce que vous avez sûrement déjà appris.
— Une attaque, c’est cela ? demanda Varaile sans ambages.
Elle n’était pas du genre à mâcher ses mots. Le légat pontifical se tortilla légèrement sur son siège. Il était troublant de voir ce diplomate accompli, toujours si onctueux et sûr de lui, manifester de tels signes de détresse.
— Sa Majesté a ressenti un certain vertige… un engourdissement au niveau de la main, une faiblesse dans la jambe gauche. Il a été mis au lit et ses mages sont à son chevet. Nous attendons d’autres nouvelles.
— Cela ressemble fort à une attaque, fit Varaile.
— Je ne peux me prononcer à ce sujet, madame.
— Une attaque n’est pas forcément fatale, lady Varaile. D’aucuns ont vécu de nombreuses années après en avoir eu une, commenta Yegan de Low Morpin, un prince flegmatique et sans grand humour, dont la présence au Conseil avait longtemps laissé Varaile perplexe.
— Merci de cette observation, prince Yegan. Diriez-vous que le Pontife était en bonne santé jusqu’à présent, cette saison ? reprit-elle à l’attention de Phraatakes Rem.
— En effet, madame, actif et énergique. Compte tenu de son âge, naturellement. Mais il a toujours été un homme extrêmement vigoureux.
— Quel âge a-t-il d’ailleurs ? demanda Septach Melayn. Quatre-vingt-cinq ans ? Quatre-vingt-dix ?
Il se leva et se mit à faire nerveusement les cent pas dans la petite pièce, ses longues jambes le portant d’un côté à l’autre en seulement quelques enjambées.
— Sans doute davantage, fit Yegan.
— Il a été Coronal pendant une quarantaine d’années, avança Navigorn de Hoikmar, d’une voix rauque.
Il avait autrefois été un homme puissant, un grand commandant militaire en son temps, mais dernièrement, il était devenu gras et lent.
— Et ensuite Pontife, depuis maintenant vingt ans, c’est exact ? Par conséquent…
— Oui. Par conséquent, il doit être très âgé, coupa brusquement Varaile.
Elle luttait pour contenir son impatience. Ces hommes avaient tous dix ou vingt ans de plus qu’elle, et l’époque de leur détermination était révolue ; sa nature vive s’irritait facilement lorsqu’ils s’égaraient dans ces longues digressions.
— La Dame a-t-elle été informée ? demanda-t-elle à la Hiérarque Bernimorn.
— Nous avons déjà transmis le message à l’Ile, répondit la Hiérarque, une femme mince et pâle d’un âge considérable, qui réussissait à paraître à la fois fragile et impérieuse.
— Bien. Qu’en est-il de lord Prestimion ? Il se trouve à Deepenhow Vale, je crois. Ou Bombifale, ajouta-t-elle à l’adresse de Dembitave.
— Lord Prestimion est actuellement dans la ville de Fa, madame. Un messager se prépare en ce moment à partir pour Fa lui apporter la nouvelle.
— Qui allez-vous envoyer ? demanda Navigorn d’une voix voilée, brutale, presque belliqueuse.
— Eh bien… Comment le saurais-je ? L’un des messagers habituels du Château va y aller, je suppose, répondit Dembitave en regardant, intrigué, le vieux guerrier.
— De telles nouvelles ne devraient pas être annoncées par un étranger. Je porterai le message moi-même.
Le rouge monta aux joues pâles de Dembitave. Il était le cousin de Septach Melayn, le duc de Tidias, un homme de soixante ans, fier et quelque peu susceptible. Lui et Navigorn ne s’étaient jamais beaucoup aimés. À l’évidence, il prenait son intervention comme une sorte de reproche. Pendant quelques instants, il ne fit aucune réponse, puis il dit avec raideur :
— Comme il vous plaira, seigneur Navigorn.
— Et le prince Dekkeret ? demanda Varaile. On pourrait penser qu’il devrait être informé, lui aussi.
Il y eut un second silence embarrassé dans la pièce. Varaile fixa un visage confus après l’autre. La réponse n’était que trop claire. Personne n’avait songé à prévenir l’héritier présomptif que le Pontife était peut-être mourant.
— J’ai appris qu’il était parti pour Normork, avec son ami Dinitak, rendre visite à sa mère, reprit Varaile d’un ton cassant. Il devrait lui aussi être averti. Teotas…
Il se mit au garde-à-vous.
— Je m’en occupe immédiatement, répondit-il, et il sortit de la pièce.
Et maintenant ? Qu’était-elle censée faire ensuite ? Improvisant rapidement, elle déclara au légat pontifical :
— Vous transmettrez bien entendu notre vive inquiétude au sujet de la santé de Sa Majesté, notre consternation face à sa maladie et notre souhait profond que cet épisode ne soit qu’une faiblesse passagère…
Elle chercha d’autres expressions de sympathie n’en trouva aucune appropriée et laissa sa voix se briser au milieu de sa phrase.
Cependant, Phraatakes Rem, enchaînant adroitement sa réplique, répondit doucement :
— Je le ferai, n’ayez crainte… Mais je vous en prie, madame, ne dramatisons pas. Il n’y avait pas de réelle urgence dans la formulation du message que j’ai reçu. Si le porte-parole avait eu l’impression que la mort de Sa Majesté était imminente, il aurait présenté les événements d’une tout autre façon. Je comprends la détresse que peut ressentir madame vis-à-vis du prochain bouleversement de l’administration, et bien sûr chacun de nous ici doit ressentir la même, sachant que son rôle dans le gouvernement pourrait bientôt arriver à son terme, mais cependant…