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— Aucun Coronal n’aime le quitter. Son épouse non plus. Mais il en a été ainsi depuis des milliers d’années, après avoir été Coronal, il faut devenir Pontife, descendre dans le Labyrinthe et passer le reste de ses jours sous la surface de la terre, et…

Septach Melayn vacilla soudain. Varaile, saisie, vit un voile tomber sur ses perçants yeux bleu clair.

Lui aussi quitterait le Château, naturellement, lorsque le moment serait venu pour Prestimion. Il le suivrait jusque dans le Labyrinthe, comme les autres. Pour lui aussi cette prise de conscience était douloureuse ; et pendant un instant, juste un instant, il fut manifeste que Septach Melayn était incapable de dissimuler cette douleur.

Puis le moment de tristesse passa. Son sourire brillant de dandy réapparut, il toucha du bout des doigts les boucles dorées sur son front et dit :

— Vous devez m’excuser, à présent, lady Varaile. C’est l’heure de mon cours d’escrime, et mes élèves m’attendent.

Il se leva pour partir.

— Attendez, dit-elle. Une chose encore. Vous me rappelez une question au sujet de votre classe d’escrime.

— Madame ?

— Avez-vous de la place dans cette classe pour un disciple de plus ? Car j’en ai un pour vous : son nom est Keltryn de Sipermit, récemment arrivé au Château.

L’expression de Septach Melayn refléta sa confusion.

— Keltryn n’est généralement pas considéré comme un nom d’homme, madame.

— Ce n’en est pas un, en effet. Je parle de lady Keltryn, la jeune sœur de la Fulkari de Dekkeret. Elle s’est adressée à moi avant-hier, en faveur de sa sœur. Elle dit que cette Keltryn est très douée dans le maniement des armes, et souhaite maintenant profiter de l’entraînement unique que vous seul pouvez dispenser.

— Une femme ? bafouilla Septach Melayn. Une fille ?

— Je ne vous demande pas d’en faire votre maîtresse, vous savez. Seulement de l’accepter dans vos cours.

— Mais pour quelle raison une femme voudrait-elle apprendre l’escrime ?

— Je n’en ai aucune idée. Sans doute pense-t-elle que c’est un talent utile. Je suggère que vous le lui demandiez vous-même.

— Et si elle est blessée par l’un de mes jeunes hommes ? Je n’ai pas de novices dans mon groupe. Nous utilisons des armes à pointes émoussées, mais même ainsi, elles peuvent causer des dommages considérables.

— Rien de plus grave qu’une ou deux ecchymoses, j’espère. Elle devrait pouvoir le supporter. Vous n’envisagez certainement pas de rejeter d’emblée cette jeune fille, Septach Melayn. Qui sait ? Elle pourrait vous apprendre sur notre sexe deux ou trois choses que vous ignoriez auparavant. Acceptez-la, Septach Melayn. Je vous le demande personnellement.

— En ce cas, comment pourrais-je refuser ? Envoyez-moi cette lady Keltryn et j’en ferai la plus redoutable épée que ce monde ait connue. Je m’y engage, madame. Et maintenant… si vous m’autorisez à me retirer…

Varaile acquiesça. Il lui fit un large sourire en baissant la tête, se retourna et s’éloigna en bondissant comme le garçon aux longues jambes qu’il était tant d’années auparavant, la laissant seule avec ses pensées dans la salle du trône à présent déserte.

Elle y resta un moment, laissant ses idées s’évacuer.

Puis, lentement, elle quitta la pièce et prit à gauche le dédale de couloirs qui conduisait au vieux et curieux édifice aux cinq tours connu sous le nom de Beffroi de lord Arioc, duquel on avait une vue fabuleuse sur tout le Château Intérieur… la Cour Pinitor, le bassin aux reflets de lord Siminave avec la Rotonde de lord Haspar derrière, les balcons en dentelle éthérée que lord Vildivar avait fait construire en cette même ère incroyablement ancienne, et tout le reste.

Comme tout cela était beau ! Comme ce salmigondis de constructions étranges, rassemblées là en sept mille ans, s’accordait à merveille avec cet immense et sans égal chef-d’œuvre d’architecture ! Très bien, pensa Varaile.

Prestimion est toujours Coronal, et je réside toujours ici au Château, du moins pour l’instant.

Enfin, l’heure viendrait où le devoir inexorable les pousserait vers le Labyrinthe : c’était la règle, et elle n’avait pas changé depuis l’époque de la fondation du monde. Chaque Coronal devait passer par cette épreuve, ainsi que chaque épouse de Coronal.

Le Divin protège le Pontife Confalume, pria-t-elle.

Il était cependant indubitable que la fin approchait pour le Pontife. Mais que nous ayons d’abord un peu plus de temps ici, au Château. Juste un peu. Quelques mois. Un an. Deux, peut-être. Ce que nous pourrons avoir.

7

Ils avaient à présent atteint la Plaine des Fouets. Devant eux, un mur rouge se dressait sur l’horizon septentrional, une étroite chaîne de falaises de grès plates sur lesquelles les Cinq Lords avaient édifié leurs cinq palais, juste au-dessus du puissant torrent du fleuve Zimr coulant vers l’est.

— Regardez, monsieur, dit Jacomin Halefice en indiquant les collines rouges. Nous sommes presque à la maison, je crois.

Presque à la maison, pensa Mandralisca avec un sourire plein d’une ironie désabusée. Oui. Pour lui, il n’y avait qu’un sinistre sarcasme dans cette expression.

Il était chez lui, plus ou moins, partout et nulle part sur la planète. Vus à travers le filtre de son indifférence, pour lui tous les endroits se valaient. Un moment, il avait considéré les périlleuses jungles de Stoienzar comme son foyer, et avant cela, une cellule dans les cachots du Château de lord Prestimion, et auparavant, de magnifiques appartements dans la riche métropole tentaculaire de Ni-moya ; il avait aussi vécu dans de nombreux autres endroits, depuis son enfance amère dans une triste ville au milieu des pics enneigés de la Chaîne des Gonghars, une enfance qu’il aurait préféré oublier. Au cours des cinq dernières années, cette région aride et obscure du cœur de Zimroel était celle qu’il avait choisie pour être son « foyer » ; et ainsi, levant les yeux vers ces falaises rouges à présent brûlées par le soleil, à la lisière de la plaine de sable inhospitalière qui s’étendait devant lui, il pouvait avec une certaine justice tomber d’accord avec Halefice sur le fait qu’il était presque à la maison, pour le faible sens qu’avait ce mot.

— Ce sont les palais des lords, non, Votre Grâce ? demanda Jacomin Halefice, pointant un doigt vers la haute chaîne. L’aide de camp avançait juste à la hauteur du comte, chevauchant une monture grasse, placide, couleur lavande pâle, qui peinait pour se maintenir à la même allure que le coursier plus fougueux de Mandralisca.

Le comte s’abrita les yeux de la main et regarda vers le haut.

— Trois d’entre eux, en tout cas. Je vois les demeures de Gavinius, de Gavahaud et de Gavdat.

Les dômes gris, lisses et luisants, aux tuiles de céramique avaient un reflet rougeâtre sous l’implacable soleil de midi.

— Il est trop tôt pour voir les deux autres, je pense. Ou es-tu en train de me dire que tu peux déjà les voir ?

— En vérité, je ne crois pas que je puisse y arriver maintenant, monsieur.

— Moi non plus, fit Mandralisca.

Les Cinq Lords, lorsqu’ils avaient entamé leur étrange, et jusqu’à présent secrète, rupture avec l’autorité du pouvoir central, avaient accepté de ne pas installer leur quartier général à Ni-moya, l’ancienne capitale de leur oncle. C’eût été follement imprudent de leur part. Ils étaient tous les cinq imprudents de nature ; mais parfois ils écoutaient la voix de la raison. Sur la suggestion de Mandralisca, ils avaient consenti à venir jusqu’à la province faiblement peuplée de Gornevon, depuis longtemps à l’abandon, à mi-chemin entre Ni-moya et Verf sur la rive méridionale du Zimr.