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— Cela me semble une distinction très subtile, fit Gaviral.

— Ça me plaît, décida Gavahaud qui était le plus futile des cinq.

Il arbora un grand sourire découvrant largement ses dents.

— Le Lord Gavahaud ! Vive le Lord Gavahaud ! Ça sonne bien, ne croyez-vous pas, lord Gavilomarin ?

— Faites attention, intervint Mandralisca. Vous vous trompez déjà. Ce n’est pas lord Gavilomarin, mais le Lord Gavilomarin. En s’adressant à lui directement, on peut l’appeler « milord » et dire : Milord Gavilomarin, mais jamais lord Gavilomarin seul. Est-ce clair ?

Il leur fallut un moment pour comprendre. Mandralisca n’en fut pas surpris. Il jugeait qu’ils ne valaient après tout pas plus qu’une bande de bouffons.

Mais ils embrassèrent leurs nouveaux titres avec joie. Avec le temps, ils se firent connaître dans la région et plusieurs provinces voisines comme les Cinq Lords de Zimroel. Tout le monde n’acceptait pas la résurgence de la puissance Sambailid de gaieté de cœur : le seigneur Vorthinar, par exemple, un insignifiant petit seigneur possédant un domaine au nord du Zimr, avait eu sa propre conception d’une autorité indépendante du régime d’Alhanroel, et avait rejeté les ouvertures des Sambailid, si brutalement et catégoriquement qu’il avait été nécessaire pour les frères d’envoyer Mandralisca s’occuper de lui. Mais nombre d’hommes avaient apprécié Dantirya Sambail et étaient indignés de son renversement par l’étranger Prestimion, et ils venaient de nombreuses parties du continent occidental lier leur sort aux Cinq Lords. Très tranquillement, un gouvernement Sambailid fantôme naquit là, dans la rurale Zimroel.

Dans leur dominion s’étendant lentement, les Cinq Lords nommèrent des fonctionnaires et promulguèrent des lois. Ils parvinrent à détourner des taxes locales des percepteurs pontificaux pour leur propre compte. Ils se bâtirent cinq magnifiques palais en face d’Horvenar, au sommet des falaises rouges de Gornevon. Les résidences de Gavdat, Gavinius et Gavahaud étaient côte à côte, formant un groupe, celle de Gaviral un peu à l’ouest des autres, sur un petit à-pic où la vue sur le fleuve était meilleure que celle de ses frères, et celle de Gavilomarin plus à l’est, séparée des autres par une basse chaîne latérale ; et ils se proposaient d’étendre graduellement leur autorité sur le continent que leur puissant oncle avait autrefois gouverné, pratiquement comme un roi.

À ce jour, le gouvernement du Pontife Confalume et du Coronal lord Prestimion dans la lointaine Alhanroel n’avait pas prêté attention à ce qui commençait à prendre forme à Zimroel. Peut-être l’ignoraient-ils encore.

Les Cinq Lords connaissaient les risques encourus. Mais Mandralisca leur avait fait voir la difficulté qu’aurait le gouvernement impérial pour entreprendre toute action punitive d’importance contre eux. Il faudrait lever une armée à Alhanroel, lui faire traverser d’une façon ou d’une autre l’immense golfe de la Mer Intérieure d’un continent à l’autre. Puis les troupes impériales devraient pratiquement réquisitionner la totalité de la flotte fluviale de Zimroel pour se transporter en amont du fleuve dans le territoire tenu par les insurgés, ou alors marcher pendant des milliers de kilomètres en traversant probablement l’une après l’autre des régions hostiles.

Et même s’ils y parvenaient, et ramenaient sous contrôle les paysans rebelles de la région, il ne leur serait pas facile de déloger les Cinq Lords eux-mêmes de leur nid d’aigle au-dessus du Zimr. Il n’y avait aucun moyen d’escalader ces falaises rouges depuis le fleuve. Ce qui ne laissait qu’une approche, depuis le désert au sud : la région même où Mandralisca et sa patrouille chevauchaient à présent. Et c’était une route véritablement infernale.

8

Dans la soirée, le bailli Corde fit chercher Dekkeret et Dinitak à leur hostellerie, et les fit escorter au palais du comte pour un banquet officiel, le premier de ceux prévus à l’occasion du séjour de Dekkeret à Normork.

Dekkeret avait souvent vu le palais au cours de son enfance : un bâtiment massif de pierre grise, lourd et presque sans fenêtres, qui était collé au mur de la cité, comme une énorme moule sur un rocher, là où le mur formait une large boucle vers l’extérieur pour contourner un éperon du Mont du Château. C’était un endroit sombre et sinistre, ressemblant à une forteresse, peu attrayant. Même les six minarets étroits qui s’élevaient sur son toit, dont l’architecte avait sans doute pensé qu’ils apporteraient une touche de légèreté à l’aspect du palais, ne paraissaient rien d’autre qu’une rangée de lances barbelées.

L’intérieur était tout aussi sombre que l’extérieur. L’édifice avait l’air deux fois plus grand de l’intérieur, et peut-être encore quatre fois plus laid. Dekkeret et Dinitak furent conduits à travers d’ahurissants couloirs longs et obscurs, uniquement éclairés par des torches fumantes et de médiocres tubes lumineux, par des carrefours d’où partaient, comme autant de rayons, des couloirs aux murs de pierre nue, passant devant des salles aux murs de brique noire sans autre décoration que, de loin en loin, la grotesque statue de quelque ancien personnage important, ou des tapisseries grossières représentant des seigneurs et dames de la cité, depuis longtemps oubliés, occupés à des divertissements seigneuriaux ; puis, enfin, ils parvinrent dans la salle de banquets du comte Considat, sombre et pleine de courants d’air, où un assortiment de notables de Normork les attendait.

La soirée fut lugubre. Considat prit le premier la parole, souhaitant un bon retour à l’enfant le plus célèbre de la ville. Le comte était jeune et n’avait hérité de son titre que l’année précédente ; c’était un homme aimable, qui semblait presque manquer d’assurance, plus attirant par son physique et ses manières que son père, sans savoir-vivre, ne l’avait été. Mais c’était un orateur ennuyeux, qui ne cessait de parler, d’un ton monotone, comme s’il n’avait su de quelle façon terminer son discours, déversant un torrent de platitudes stupides. À un moment, Dekkeret s’assoupit et fut rappelé à l’ordre d’un coup de coude de Dinitak sous la table.

Puis ce fut au tour de Dekkeret de s’exprimer, pour transmettre les compliments de lord Prestimion, et, puisque c’était le prétexte officiel de cette visite, ses félicitations au comte et à la comtesse pour la naissance de leur fils. Il présenta les regrets de lord Prestimion de ne pouvoir être présent en personne. Les cadeaux envoyés par lord Prestimion furent apportés par les hommes de Dekkeret. Le bailli Corde fit un discours. Ainsi que plusieurs autres hauts fonctionnaires de la cour, visiblement désireux de faire grande impression au futur Coronal, dans un style profus et assommant. Puis le comte reprit la parole, sans plus d’éloquence que la première fois, mais du moins plus brièvement. Dekkeret, légèrement surpris, improvisa une réponse. Ensuite, et ensuite seulement, le repas fut enfin servi, une triste succession de viandes trop cuites et peu épicées, de légumes mous et de vins trop verts. Les discours d’après dîner suivirent. Dekkeret vint au bout de cette cérémonie interminable en faisant appel à toute sa patience et sa discipline.