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Et là, il enlaçait une femme qui paraissait presque être sa réincarnation. Par moments, cela lui semblait bizarrement incestueux. Et il s’interrogeait : reproduisait-il avec Fulkari la relation qu’il n’avait jamais eue avec Sithelle ? Aimait-il réellement Fulkari, ou n’était-il pas plutôt amoureux du fantasme de sa Sithelle perdue ? C’était un problème important pour lui. Et ce n’était pas le seul qu’elle lui posait.

Il la prit dans ses bras et la serra contre lui, leurs joues se touchant d’abord, puis leurs lèvres. Il lui était indifférent que les gardes occupant le poste à l’Arche de Dizimaule les regardent. Qu’ils regardent, pensait-il.

Au bout d’un moment, ils s’écartèrent l’un de l’autre. Elle avait les yeux brillants, sa poitrine se soulevait rapidement sous le cuir souple et doux.

— Viens, dit-elle en indiquant les montures d’un signe de tête. Descendons dans la prairie.

Elle sauta aisément sur la selle naturelle de son animal et partit sans l’attendre.

La monture de Dekkeret était une belle bête aux jambes fines et à la robe d’un pourpre profond mêlé de bleu, l’espèce spécialement élevée pour sa rapidité et sa puissance. Il s’installa facilement sur la large selle qui faisait partie intégrante du dos de la monture, agrippa le pommeau qui faisait saillie devant lui, et lança l’animal à sa poursuite d’une forte pression des cuisses. L’air doux et frais passait sur lui, soulevant et ébouriffant ses cheveux non attachés.

Il se demanda combien d’autres occasions il aurait de se glisser ainsi hors du Château, simple citoyen faisant une sortie pour le plaisir, sans escorte, sans être dérangé. En tant que Coronal, il pourrait rarement, voire jamais, aller seul où que ce soit. Sa visite à Normork avait été un avant-goût de ce qui l’attendait. Il y aurait toujours des gardes autour de lui, excepté lorsqu’il parviendrait à leur fausser compagnie.

Mais à présent, le vent dans les cheveux, le brillant soleil vert doré haut dans le ciel, la superbe monture galopant sous lui dans un bruit de tonnerre, Fulkari fonçant devant…

Sous l’aile sud du Château s’étendait une ceinture de prairie sauvage, à travers laquelle passait la Route de Grand Calintane, celle qu’empruntaient tant de voyageurs en route pour le Château. Il ne se passait pas un jour où cette prairie ne fût fleurie, une explosion étourdissante de bleu flanqué de fleurs jaune vif, une ribambelle de blanc et de rouge, un océan d’or, de cramoisi, d’orange, de violet. La piste équestre qu’avait choisie Fulkari passait à gauche de la grand-route, dans la campagne en pente douce qui s’étendait à proximité de la cité des plaisirs de High Morpin, à quinze kilomètres de là.

Dekkeret la rattrapa au bout d’un moment et ils chevauchèrent côte à côte. Ils étaient désormais suffisamment loin du Mont pour que la longue ombre du Château soit visible devant eux, réduite à une mince pointe. Bientôt la prairie céda la place à une forêt de hakkatingas, petits, au tronc droit, à l’écorce brun rouge et à la couronne dense, qui poussaient étroitement entrelacés à leurs voisins, formant un épais dais.

Leurs montures, ne pouvant plus aller aussi vite, se mirent d’elles-mêmes au petit galop.

— Tu m’as tellement manqué, dit Fulkari, alors qu’ils chevauchaient côte à côte. J’ai eu l’impression que tu étais parti depuis un mois.

— Moi aussi.

— As-tu dû assister à de nombreuses réunions importantes dès ton retour ? Tu as sûrement été très occupé, toute la journée d’hier.

Il hésita.

— J’avais des réunions, oui. Je ne sais pas quelle importance elles avaient. Mais je devais y être présent.

— C’est au sujet du Pontife ? Il est mourant, n’est-ce pas ? C’est ce que tout le monde dit.

— Nul ne le sait, répondit Dekkeret. Jusqu’à ce que des nouvelles confirmées nous parviennent du porte-parole, nous sommes tous dans l’ignorance.

Ils avaient atteint une partie de la forêt où elle et lui s’étaient retrouvés plus d’une fois. Les cimes des arbres étaient si étroitement liées à cet endroit que, même au milieu de la matinée, une espèce d’aube ou de crépuscule régnait. Un petit ruisseau coulait là, qu’une colonie de granths bâtisseurs de barrages avait obstrué avec des rondins rongés pour former un joli petit bassin. Sur son bord se trouvait un épais tapis bleu ciel de mousse-caoutchouc élastique et robuste. C’était un charmant petit berceau de verdure ombragé, secret, isolé.

Fulkari démonta et attacha les rênes à une branche basse. Il en fit autant. Ils restèrent face à face d’une manière hésitante. Dekkeret savait que la solution la plus sage était d’aller vers elle, de la prendre rapidement dans ses bras et de l’allonger sur le tapis de mousse, avant que ne soit dit quelque chose qui briserait la magie du moment. Mais il voyait qu’elle voulait parler. Elle se tenait loin de lui, humectait ses lèvres, faisait les cent pas avec nervosité. Les mots luttaient pour jaillir de sa bouche. Elle ne l’avait pas amené ici juste pour faire l’amour.

— Qu’y a-t-il, Fulkari ? demanda-t-il finalement.

— Le Pontife va bientôt mourir, n’est-ce pas, Dekkeret ? dit-elle d’une voix sombre et tendue.

— Comme je viens de te le dire : je l’ignore. Personne au Château ne le sait.

— Mais lorsqu’il mourra… seras-tu intronisé Coronal ?

— Je l’ignore également, fit-il en détestant la lâcheté de sa dérobade.

— Il ne peut y avoir aucun doute sur ce point, n’est-ce pas ? Tu as déjà été nommé Coronal-désigné. Une fois cela fait, le Coronal ne change jamais d’avis et ne choisit pas quelqu’un d’autre… S’il te plaît, Dekkeret, je veux que tu sois honnête avec moi, continua-t-elle, implacable.

— Je m’attends à être intronisé Coronal à la mort de Confalume, oui. Du moins, si lord Prestimion me le demande, et si le Conseil le ratifie.

— Et si on te le demande, accepteras-tu ?

— Oui.

— Et qu’adviendra-t-il de nous, alors ?

Sa voix sembla lui parvenir de très loin.

Il n’avait plus d’autre choix que de poursuivre.

— Un Coronal doit avoir une épouse. J’en ai justement discuté avec lady Varaile, hier soir.

— Tu présentes la situation de façon si impersonnelle, Dekkeret. « Un Coronal doit avoir une épouse. »

Elle paraissait effrayée de lui parler si brutalement, à lui qui serait bientôt roi, mais il y avait cependant bien une pointe de colère dans sa voix.

— Est-il possible qu’il y ait une personne en particulier que tu pourrais choisir comme épouse ?

— Tu sais qu’il y en a une, Fulkari. Mais…

— Mais ?

— Tu m’as fait savoir d’un millier de façons que tu ne veux pas être l’épouse d’un Coronal, dit-il.

— Vraiment ?

— Ce n’est pas vrai ? Il y a une minute, tu m’as demandé si j’accepterais le trône si on me l’offrait. Comme s’il était assez courant que les gens refusent d’être Coronal, Fulkari. Le mois dernier, je crois, tu as voulu savoir, tout à trac, s’il était déjà arrivé qu’un Coronal-désigné le décline. Et avant cela, la fois où toi et moi étions à Amblemorn…

— D’accord. C’est assez. Tu n’as pas besoin d’aller chercher d’autres exemples, l’interrompit-elle d’une voix encore ferme, alors qu’elle paraissait au bord des larmes. Je t’ai demandé d’être honnête avec moi. Maintenant, je vais l’être tout autant avec toi.