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La démonstration entière n’avait duré qu’une poignée de secondes. Ses mouvements lui semblaient désormais lents, terriblement lents, mais Septach Melayn se jugeait d’après des critères vieux de vingt ans. Il n’y avait toujours personne capable d’égaler sa vitesse.

— Maintenant, dit-il, repoussant son masque en arrière et relâchant la pose, le but de ce que je viens de faire n’était pas de vous prouver que je suis un escrimeur de haut niveau, ce que, je pense, nous pouvons tous considérer comme allant de soi, mais de vous montrer la façon dont fonctionne la théorie du frac, talonnement de l’instant. J’imagine que ce que vous venez de ressentir était une impression confuse d’action, dans laquelle un adversaire plus grand et plut expert se jetait implacablement sur vous de tous côtés à la fois et vous touchait à plusieurs reprises, tandis que vous cherchiez à discerner un schéma dans ses mouvements. Tandis que ce que j’ai ressenti était une succession d’intervalles discrets, des plans d’action figés : vous étiez ici, puis là, et je me suis glissé dans l’intervalle entre ces positions et ai touché votre épaule. Je me suis retiré, suis revenu, ai trouvé une ouverture entre les deux intervalles suivants et j’ai à nouveau pénétré votre garde. Et ainsi de suite. Me suivez-vous ?

— D’aucune façon profitable, Votre Excellence.

— Non. Je ne pensais pas que vous le pourriez. Mais reprenons l’enchaînement, maintenant. Je vais tout refaire, exactement de la même manière. Cette fois, cependant, essayez de me voir, non comme une tornade d’activité ininterrompue, mais comme une suite de tableaux immobiles dans lesquels je suis dans cette position, puis dans une autre, et dans la suivante. C’est-à-dire que vous devez me voir plus vite, afin que j’aie l’air de bouger plus lentement. Cette idée peut vous paraître n’avoir aucun sens pour le moment, mais je pense que tôt ou tard, elle en prendra un… En garde, madame !

Il recommença le tout. Ce coup-ci, elle fut peut-être encore plus inefficace, bien qu’elle sût de quelle direction viendraient ses mouvements. Il y avait du désespoir dans ses parades, une hâte frénétique, qui s’écartaient grandement de la forme et l’obligeaient, lui, à allonger au maximum pour pouvoir la toucher comme auparavant. Mais elle semblait également essayer de comprendre son discours énigmatique sur le fractionnement de l’instant. Elle paraissait tenter de ralentir tant bien que mal la course du temps, en attendant jusqu’au tout dernier moment pour réagir à ses bottes. Ensuite, bien sûr, elle devait précipiter ses parades. Face à un bretteur tel que Septach Melayn, cette tactique ne pouvait que mener au désastre ; mais au moins, elle essayait de comprendre la méthode.

Il la toucha derechef à l’épaule gauche, à l’épaule droite et au sternum.

De nouveau, il s’arrêta et repoussa son masque. Elle en fit autant. Son visage était rouge, et elle avait une expression maussade et hostile.

— Beaucoup mieux, cette fois-ci, madame.

— Comment pouvez-vous dire une telle chose ? J’ai été lamentable. Ou essayez-vous seulement de vous moquer de moi… Votre Grâce ?

— Oh, non, madame ! Je suis ici pour enseigner, non pour me moquer. Vous vous comportez bien, mieux, peut-être, que vous ne le pensez. Le potentiel est là sans aucun doute. Mais ces techniques ne se maîtrisent pas en un seul jour. Je voulais seulement vous faire voir le domaine dans lequel vous devez travailler.

Faire une grande épéiste d’une telle fille serait un défi intéressant, songea-t-il.

— Maintenant, observez pendant que je répète la même manœuvre avec quelqu’un de plus coutumier de mes théories. Regardez, s’il vous plaît, comme il reste calme au milieu de l’attaque, comme il semble être immobile alors qu’il est en mouvement. Audhari ? appela-t-il en lançant un regard vers le milieu du groupe.

Il était le meilleur élève de Septach Melayn, un garçon de Stoienzar aux taches de rousseur sur tout le visage, l’arrière-petit-fils du duc d’Oljebbin, l’ancien Haut Conseiller sous le règne de lord Confalume, et, par conséquent, vaguement apparenté à Prestimion. Il était grand et fort, avec de puissants avant-bras et les plus vifs réflexes que Septach Melayn ait rencontrés depuis longtemps.

— En garde, fit Septach Melayn, qui partit immédiatement à l’attaque.

Audhari n’avait pas plus de chance qu’un autre de le battre, mais il était toutefois capable de faire les pauses, de retenir la cascade de moments les uns au-dessus des autres. Et ainsi, il pouvait anticiper, parer, trouver une occasion entre un instant et le suivant pour contre-attaquer une ou deux fois, et de manière générale se débrouiller de façon honorable, tout bien considéré, alors que Septach Melayn entreprenait méthodiquement de percer sa garde à de multiples reprises.

Tout en accomplissant sa tâche, Septach Melayn put jeter un regard vers Keltryn. Elle observait intensément, totalement concentrée.

Elle apprendra, décida-t-il. Elle ne pourrait jamais être aussi forte qu’un homme, elle ne serait sans doute pas aussi rapide, mais son œil était bon, sa volonté de réussir excellente, sa position tout à fait satisfaisante dans la forme. Il ne comprenait toujours pas comment une jeune femme pouvait vouloir se mettre à l’escrime, mais il résolut de la traiter avec autant de sérieux que n’importe lequel de ses autres élèves.

— Vous ne pouvez pas encore voir, dit-il à la jeune fille, comment Audhari s’y prend pour séparer un instant du suivant. Tout se fait en esprit, c’est une technique qui requiert une longue pratique. Mais surveillez, cette fois-ci, la façon dont il se tourne pour faire face à chaque botte. Ne me prêtez aucune attention. Ne regardez que lui… Encore, Audhari. En garde !

— Monsieur ? La voix était celle de Polliex. Un messager vient d’arriver, Votre Grâce.

Septach Melayn prit conscience que quelqu’un était entré dans la pièce, l’un des pages du Château, évidemment. Il s’écarta d’Audhari et rejeta son masque.

Le garçon portait un message, plié en trois, non scellé. Septach Melayn le parcourut rapidement des yeux d’un bout à l’autre, comme à son habitude, remarquant le « V » griffonné de la signature de lady Varaile à la fin, tout en lisant le corps du texte. Puis il le relut plus attentivement, comme s’il pouvait ainsi en changer le contenu, mais ce ne fut pas le cas. Il releva la tête.

— Le Pontife Confalume est mort, dit Septach Melayn. Lord Prestimion, qui était sur le chemin du retour, a fait demi-tour et est reparti au Labyrinthe pour les funérailles de Sa Majesté. En tant que Haut Conseiller, j’y suis appelé également. La leçon est ajournée. Je pense que nous ne nous reverrons pas de quelque temps.

Les élèves se dispersèrent en un brouhaha de murmures. Septach Melayn passa au milieu d’eux comme s’ils étaient invisibles et quitta la pièce.

Ainsi, c’était enfin arrivé, songeait-il, et dorénavant, tout allait changer.

Confalume disparu, Prestimion Pontife, un nouvel homme sur le trône du Château. Un nouveau Haut Conseiller devrait également être nommé. Il est exact que Korsibar avait gardé Oljebbin à ce poste, après s’être emparé de la couronne, mais il l’aurait sans doute rapidement remplacé si son règne avait duré assez longtemps pour lui permettre de penser à de telles questions ; et Prestimion, à la fin de l’usurpation, n’avait pas perdu de temps pour mettre un homme à lui en place. Dekkeret, selon toute vraisemblance, voudrait en faire autant. De toute manière, Septach Melayn savait qu’il accompagnerait Prestimion au Labyrinthe. C’est ce que l’on attendait de lui, et il s’y conformerait. Mais pourtant… pourtant… ils avaient dit que Confalume se remettrait, qu’il ne risquait pas de mourir dans l’immédiat…