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— Une expérience forte. Combien de temps ai-je gardé cet appareil ?

— Environ quinze secondes. Peut-être une demi-minute, tout au plus.

— C’est tout ? dit Mandralisca, caressant nonchalamment la lisse toile métallique. Bizarre. Cela m’a paru plus, beaucoup plus long.

Les sensations qui venaient de le secouer résonnaient toujours dans son esprit. Il se rendit compte qu’il n’était pas encore tout à fait remis de son excursion.

La répercussion immédiate de cette expérience fut qu’une étrange excitation nerveuse s’empara de lui. Chaque nerf était sensible. Il sentait la chaleur torride du soleil frapper les murs du bâtiment, entendait le sifflement du vent du désert traversant la plaine des pungatans, loin en dessous, ressentait le caractère oppressant de l’atmosphère épaisse et musquée autour de lui, à l’intérieur.

Se levant, il fit les cent pas tout autour de la salle circulaire, comme un fauve en cage. Halefice, et même Gaviral, s’écartèrent précipitamment de son chemin, lorsqu’il arriva sur eux à grands pas. Mandralisca les remarqua à peine. Dans l’état d’exaltation où il se trouvait alors, à ses yeux ils ne semblaient être rien d’autre que de petits animaux détalant devant lui des drôles, des mintuns, des hiktigans, d’insignifiantes créatures de la forêt. Voire des insectes. De simples insectes.

D’une certaine façon il était entré dans ce petit casque métallique. Son esprit entier s’y était glissé ; et ensuite, d’une manière qu’il ne pouvait concevoir, il avait pu se propulser à l’extérieur, comme une lance de feu s’élevant dans le ciel…

— Avez-vous une idée de la distance ou de la direction dans laquelle vous êtes allé ? demanda Barjazid.

— Non. Aucune.

Qu’il était curieux d’avoir une conversation avec un insecte. Mais il s’obligea à prêter attention à la question de Barjazid.

— J’ai eu l’impression d’une distance considérable, mais pour ce que j’en sais, ce n’était peut-être pas plus loin que la cité sur l’autre rive du fleuve.

— C’était probablement plus éloigné, Votre Grâce. La portée est illimitée, voyez-vous : il ne faut pas plus d’efforts pour atteindre Alaisor, Tolaghai ou Piliplok que pour aller dans la pièce voisine. C’est la directivité que nous n’arrivons pas à contrôler. Du moins, pas encore.

— Pourrait-on atteindre le Château, à votre avis ? demanda le Lord Gaviral.

— Comme je viens de le dire à sa grâce le comte Mandralisca, répondit Barjazid, la portée est illimitée.

Mandralisca remarqua que Barjazid avait déjà appris à se montrer extrêmement patient avec Gaviral. Ce qui est une excellente idée, lorsque l’on a affaire à quelqu’un d’une grande stupidité mais qui détient une considérable autorité sur vous.

— Donc, nous pourrions arriver jusqu’à Prestimion et le blesser ? demanda Gaviral avec avidité. Ou Dekkeret ?

— Nous pourrions, avec le temps, répondit Barjazid. Ainsi que je l’ai également fait observer, nous n’avons pas encore de véritable directivité. Nous pouvons seulement frapper au hasard pour l’instant.

— Mais au bout du compte, reprit Gaviral. Oh oui, au bout du compte… !

Mandralisca eut toutes les peines du monde à se retenir d’interrompre Gaviral d’une remarque méprisante. Arriver jusqu’à Prestimion et le blesser ? L’imbécile. L’imbécile. C’était la dernière chose qu’ils voulaient faire. Le jeune Thastain faisait preuve de plus de perspicacité en matière de stratégie politique que n’importe lequel de ces cinq frères sans cervelle. Mais ce n’était pas le moment de provoquer une brouille avec l’un des hommes qui étaient, en théorie du moins, ses maîtres.

Il réfléchit à ce que le casque de Barjazid venait de lui permettre d’accomplir. Cela présentait davantage d’intérêt pour lui que tout ce que ces gens pouvaient avoir à dire.

Il avait projeté son esprit et fait souffrir quelqu’un avec le casque. De cela, il était certain. Il ne savait pas vraiment qui, ni où ; mais il n’avait aucun doute quant au fait d’avoir touché un autre esprit, quelque part, au loin, une sorte de prêtre, peut-être, en tout cas quelqu’un qui officiait lors d’un rituel, de l’avoir pénétré, et de l’avoir corrompu. Peut-être de l’avoir anéanti. Certainement de lui avoir fait très mal. Il savait ce que cela faisait de blesser quelqu’un : c’était une sensation très particulière de plaisir, presque de nature sexuelle, qu’il avait ressentie de nombreuses fois au cours de sa vie. Il venait de la ressentir à l’instant, avec une intensité nouvelle et ahurissante. Un étranger éloigné, se recroquevillant de douleur et d’horreur devant son attaque…

… il avait volé comme une lance, une lance de feu traversant la moitié du monde…

Comme un dieu.

— Votre frère ne m’a jamais permis d’essayer le casque, confia Mandralisca à Khaymak Barjazid.

Retournant à son bureau, il y laissa tomber l’appareil au milieu.

— Je le lui ai demandé plus d’une fois, tandis que nous étions en Stoienzar. Juste pour découvrir à quoi cela ressemblait, vous savez. Le genre de sensation que cela procurait. « Non, disait-il. Je ne prendrai pas ce risque, Mandralisca. Sa puissance est trop grande. » Il voulait dire que j’aurais pu me blesser, croyais-je. Mais en y repensant, j’ai trouvé un autre sens à son expression. « Son pouvoir est trop grand pour que je vous le confie », voilà ce qu’il disait réellement. Je pense qu’il craignait que je n’aille fureter dans son esprit.

— Il avait en permanence peur d’une éventualité comme celle-ci : que le casque puisse être utilisé contre lui.

— N’étais-je pas son allié ?

— Non. Mon frère n’a jamais considéré personne comme un allié. Tout le monde était dangereux. Souvenez-vous, son propre fils s’est retourné contre lui au cours de la révolte de Dantirya Sambail, et a apporté l’un des casques à Prestimion et Dekkeret. Personne n’aurait pu convaincre Venghenar de laisser un autre que lui s’approcher du casque après cela.

— J’ai observé Prestimion le détruire avec le casque que Dinitak lui avait donné, fit Mandralisca.

Sa voix semblait étrange à ses propres oreilles. Il comprit qu’il ne devait pas encore s’être entièrement libéré de l’effet induit par le port du casque. Ces trois hommes lui paraissaient toujours être des insectes. Ils n’avaient pas la moindre importance.

— Votre frère, continua-t-il, s’adressant à Barjazid comme si les deux autres n’étaient pas dans la pièce, se trouvait juste à côté de moi, portant son propre casque. Prestimion et lui se livraient à une sorte de duel au moyen de leurs casques, à des centaines de kilomètres de distance, peut-être. Je l’ai vu se préparer pour l’assaut final ; mais avant qu’il n’ait pu le déclencher, Prestimion l’a frappé avec toute la puissance du casque et l’a mis à genoux. « Prestimion », a dit Venghenar, commençant à gémir, et Prestimion l’a frappé une ou deux fois de plus, et j’ai vu que son esprit était totalement détruit. Une ou deux heures plus tard, Septach Melayn et Gialaurys nous sont tombés dessus. L’un d’eux s’est jeté sur lui et l’a assassiné.

— Comme nous assassinerons Prestimion, déclara le Lord Gaviral sur un ton grandiloquent.

Mandralisca fit comme si Gaviral n’avait rien dit. Assassiner Prestimion ? Ce n’était pas une solution au problème de la libération du continent occidental. Contraindre Prestimion, oui. Le contrôler. L’utiliser. Voilà ce qu’accomplirait le casque, en temps et lieu. Mais pourquoi le tuer ? Cela ne ferait que placer Dekkeret sur le haut siège du pouvoir dans le Labyrinthe, et amènerait un autre Coronal au sommet du Mont du Château, et ils devraient recommencer tout le processus visant à tirer Zimroel des griffes d’Alhanroel. Il était cependant vain d’attendre d’aucun des Cinq Lords qu’il assimile de telles notions si on ne les lui expliquait pas d’abord.