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Que le palais n’ait pas été démonté et déplacé depuis des centaines d’années, probablement un millier, n’inquiéta pas le majordome plus d’un instant. Une petite voix prudente, au fond de lui, suggéra que ce plan pourrait s’avérer plus difficile qu’il ne l’imaginait, mais à l’opposé de cette petite objection se faisait entendre la clameur pressante de son désir de se mettre au travail. Une hâte extrême le poussait : le mage avait parlé, le rêve troublant lui avait d’une certaine façon apporté son soutien, et à présent il devait préparer le palais, conformément au commandement qu’il avait reçu, sans perdre de temps. De cela, il n’avait aucun doute. Le doute ne semblait pas permis dans cette entreprise.

Il ne se soucia pas non plus, sur le moment, du fait qu’il ignorait quelle orientation serait plus favorable que la présente. Il fallait le déplacer, cela était clair. Le Coronal ne viendrait pas avant que ce ne soit fait. Et il avait toutes les raisons de penser que le positionnement approprié lui serait révélé lorsqu’il se mettrait à la tâche. Il était le Majordome des Palais, il l’avait été pendant près de cinquante ans ; il avait été confié à ses soins d’entretenir ce merveilleux édifice, et de le tenir en permanence prêt pour l’usage du Coronal oint, on pouvait même dire que la destinée l’avait choisi pour accomplir cette tâche particulière. Il était certain qu’il l’accomplirait correctement.

Gopak Semivinvor se précipita dehors dans la nuit, une nuit douce et chaude, le climat d’Ertsud Grand étant quasiment un éternel été, traversa le parc à gibier jusqu’à la porte principale du palais de bambou, dispersant les mibberils et les thassips nocturnes dans sa course, et faisant s’envoler les menagungs noirs aux grands yeux vers les cimes des arbres. Haletant, pris de vertiges après cet effort, il s’appuya contre le montant de la porte de la construction, et leva les yeux pour localiser l’éclatante étoile rouge Xavial, qui représentait le milieu du ciel, le grand axe de l’univers. Son puissant contrepoids, la brillante Thorius, ne se trouvait pas très loin sur sa gauche.

À présent, comment déterminer la position correcte pour l’édifice, celle qui représentait la connexion adéquate avec Thorius et Xavial ?

Il tourna et tourna, puis, incertain, tourna encore, et encore. Son esprit commença à avoir le vertige et à tournoyer. Au bout d’un moment, Gopak Semivinvor eut l’impression d’être immobile, alors que la voûte céleste tout entière tourbillonnait furieusement autour de lui. Est, ouest, nord, sud… quelle direction était la bonne ? De ce côté, la chambre du Coronal ferait face aux magnifiques manoirs de la rive est du lac, de celui-ci, il pourrait voir les pavillons de plaisirs de la rive ouest, tourné de ce côté, son appartement lui procurerait une vue de la dense forêt de kokapas aux feuilles pelucheuses qui bordait la limite sud du lac. Alors qu’au nord…

Au nord, à égale distance des étoiles Xavial et Thorius, se trouvait la très vive étoile blanche Trinatha, l’étoile des sorciers, l’étoile qui demeurait dans les cieux au-dessus de la cité des sorciers, Triggoin.

Dans l’âme de Gopak Semivinvor se fit la certitude inéluctable que Trinatha était la clé de ce qu’avait voulu dire le mage Dobranda Thelk par « connexion adéquate ». Il devait faire pivoter le bâtiment pour que la chambre du Coronal soit dirigée vers la ligne qui reliait Thorius et la rouge Xavial à la sainte Trinatha, l’étoile blanche de la sorcellerie, la propre étoile de Dobranda Thelk.

Oui. Oui. Il était précisément minuit, l’Heure du Coronal. Qu’aurait-il pu y avoir comme meilleur augure ? Il saisit un bâton pointu et se mit à gratter en cannelures profondes le doux velours de la pelouse qui entourait le palais de bambou, de vilaines lignes brunes qui indiquaient la configuration précise dans laquelle devait être tourné le palais. Il travaillait avec une urgence frénétique, essayant de terminer son esquisse de plan avant que les étoiles, dans leur voyage à travers le ciel nocturne, ne se soient déplacées en un autre schéma de connexion.

Au matin, Gopak Semivinvor convoqua toute son équipe, les vingt hommes et femmes qui travaillaient sous sa supervision depuis si longtemps, certains presque aussi longtemps qu’il avait lui-même été majordome.

— Nous allons immédiatement démonter le bâtiment, et le faire pivoter de quatre-vingt-dix degrés, plus ou moins, de sorte qu’il soit orienté dans cette direction, dit-il, tendant les mains parallèlement aux lignes creusées dans la pelouse pour indiquer comment il voulait que soit repositionné le palais.

Ils étaient visiblement consternés. Ils se regardaient les uns les autres comme pour dire : « Est-il sérieux ? » et « Le vieil homme peut-il avoir perdu la tête ? ».

— Allons, fit Gopak Semivinvor en tapant impatiemment des mains. Vous voyez les dessins dans la pelouse. Ces deux longues lignes : elles indiquent l’endroit où la fenêtre de la chambre du Coronal devra se trouver lorsque la reconstruction sera terminée. Kijel Busiak, ajouta-t-il pour son contremaître, vous ferez immédiatement planter des piquets le long des lignes que j’ai tracées, afin d’éviter tout risque de confusion plus tard. Gorvin Dihal, faites immédiatement en sorte que tout un jeu de nouvelles cordes pour lier les cannes soit tissé, car je crains que celles existant ne survivent pas au démontage. Et vous, Voyne Bethafar…

— Monsieur ? dit timidement Kijel Busiak.

Gopak Semivinvor regarda avec ennui le contremaître.

— Y a-t-il une question ?

— Monsieur, n’est-il pas vrai que l’anecdote selon laquelle le bâtiment a été conçu pour être démonté et rapidement remonté n’est rien d’autre qu’un mythe, une légende, quelque chose que nous racontons aux visiteurs mais ne croyons pas nous-mêmes ?

— Non, répondit Gopak Semivinvor. J’ai étudié l’histoire du Palais d’Été en profondeur depuis des décennies, et je n’ai aucun doute sur le fait que, non seulement c’est possible, mais cela a été fait à de nombreuses reprises au cours des siècles. Simplement on ne l’a pas fait récemment, c’est tout.

— Vous avez donc un manuel, monsieur, qui expliquerait la meilleure façon d’exécuter ce travail ? Car assurément, aucune personne vivante n’a le souvenir de la manière de s’y prendre.

— Il n’y a pas de manuel. Pourquoi une telle chose serait-elle nécessaire ? Ce que nous avons ici est une simple structure de cannes de bambou raccordées par des cordes de soie et couverte d’un toit de la même sorte. Nous défaisons les cordes, nous séparons les poutres du toit, les retirons et les mettons de côté, nous enlevons les murs extérieurs canne par canne. Puis nous dressons un plan soigné de l’intérieur et retirons également les murs intérieurs, ensuite nous les remettons à leur place respective, mais face à un autre côté. Après quoi, nous réinsérons les cannes des murs dans leurs fondations et reconstruisons le toit. C’est la simplicité même, Kijel Busiak. Je veux que le travail commence immédiatement. Nous ignorons quand lord Dekkeret choisira de venir parmi nous, et je ne veux pas me retrouver avec un palais à moitié achevé lorsqu’il arrivera.

Il lui semblait réellement, tandis qu’il contemplait la tâche à accomplir, que les vieux contes sur le démontage et le remontage de l’édifice en un seul jour ne pouvaient être autre chose que des vieux contes. Le travail paraissait beaucoup plus compliqué. Il faudrait plus vraisemblablement une semaine, dix jours, peut-être. Mais il ne prévoyait aucune difficulté. Dans la chaleur de l’excitation qui envahissait son esprit à l’idée qu’une visite royale était enfin imminente, il ne pouvait y avoir aucun doute à ses yeux que ce serait un jeu d’enfant de démonter le palais, de changer son orientation de quatre-vingt-dix degrés, et de l’ériger à nouveau. N’importe quel architecte de province devrait être capable de diriger ce travail.