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Lorsque Septach Melayn revint du Labyrinthe, elle était presque aussi bonne qu’Audhari, et supérieure à tout le reste de la classe. Septach Melayn le remarqua immédiatement, la première fois que le groupe se réunit ; aussi, quand elle l’approcha, avec quelques craintes, au sujet de cours privés, accepta-t-il sans hésitation.

Ils se rencontraient une heure, tous les trois jours. Il était patient avec elle, gentil, tolérant les erreurs qu’elle commettait inévitablement.

— Voilà, dit-il. De cette façon. Regardez en haut et portez une botte basse, ou vice versa. Je peux lire vos intentions. Vous envoyez trop de signaux avec vos yeux.

Leurs lames se rencontrèrent. Lui fit glisser sa lame sur la sienne et la toucha légèrement à la clavicule. Si ce combat avait été sérieux, elle aurait été tuée cinq fois par minute. Jamais elle ne perçait sa garde à lui. Mais elle ne s’attendait pas à le faire. Il était un maître en tout point. Personne ne le toucherait jamais.

— Voilà ! cria-t-il. Regardez ! Regardez ! Regardez ! Hop !

Elle travaillait à stopper le temps, essayait de transformer ses mouvements lisses en une série de sauts discontinus afin de pouvoir entrer dans l’intervalle entre un segment de temps et le suivant, et finalement le toucher de la pointe de sa lame et elle y réussit presque. Mais malgré cela, il parvenait toujours à esquiver, puis, avec ce don merveilleux qui le faisait paraître revenir sur elle de deux côtés à la fois, à contre-attaquer, et elle ne pouvait se défendre.

Elle aimait s’entraîner avec lui. Elle l’aimait lui, d’une façon qui n’avait rien à voir avec le sexe. Elle avait dix-sept ans et lui… combien ? Cinquante ? Cinquante-cinq ? Il était vieux, de toute façon, très vieux, malgré son panache, son élégance et sa grande beauté. Mais il ne s’intéressait absolument pas aux femmes, c’est ce que tout le monde disait. Pas de cette façon, en tout cas, même s’il semblait apprécier les femmes comme amies, et était souvent vu en leur compagnie. C’était parfait pour Keltryn. Tout ce qu’elle voulait des hommes, à ce moment de sa vie, était de l’amitié, rien de plus. Et Septach Melayn était un merveilleux ami.

Il était charmant et drôle, un homme enjoué et sémillant. Il était sage : lord Prestimion ne l’avait-il pas choisi comme Haut Conseiller du Royaume ? On le disait amateur averti de vins, il s’y connaissait en musique, poésie et peinture, et nul au Château, pas même le Coronal, n’avait une garde-robe plus élégante. Et bien entendu, il était le meilleur escrimeur du monde.

Même ceux pour qui l’escrime n’était qu’un passe-temps sans intérêt l’admiraient pour cela : on ne peut qu’admirer quelqu’un qui est supérieur à tout autre dans une discipline, indépendamment de ce qu’est cette discipline.

Septach Melayn était également gentil et bon, aimé de tous, aussi modeste que ses exploits le lui permettaient, célèbre pour son dévouement à son ami le Coronal. Il était un véritable phénix, le plus heureux, le plus enviable des hommes. Mais en apprenant à le connaître, Keltryn commença à se demander s’il n’y avait pas, quelque part au fond de lui, un noyau de tristesse qu’il s’employait à dissimuler. Indubitablement, il détestait vieillir, lui qui était un athlète si magistral et tellement beau à voir. Peut-être se sentait-il secrètement seul. Et peut-être souhaitait-il qu’il y ait quelqu’un, quelque part parmi les quinze milliards de personnes de cette planète géante, qui puisse se mesurer à lui lors d’un duel.

Au cours de la troisième semaine de leurs cours particuliers, Septach Melayn retira brusquement son masque, après qu’elle eut exécuté une série d’échanges remarquablement bien menés, et dit en la regardant attentivement de tout son haut :

— C’était très bien, madame. Je n’avais jamais vu personne progresser aussi rapidement que vous l’avez fait. Quel dommage que nous devions très bientôt cesser ces leçons !

Il ne lui aurait pas fait plus mal s’il l’avait frappée à la gorge du tranchant de sa rapière.

— Nous le devons ? fit-elle, horrifiée.

— Le Pontife arrivera sous peu au Château pour la cérémonie du couronnement de lord Dekkeret, et après cela les véritables changements commenceront dans le nouveau régime. Lord Dekkeret voudra son propre Haut Conseiller. Je pense qu’il compte nommer le frère de Prestimion, Teotas. Quant à moi, on m’a demandé de rester au service de Prestimion, cette fois comme porte-parole du Pontife. Ce qui signifie, bien sûr, que je vais quitter le Château et m’établir au Labyrinthe.

— Le Labyrinthe… oh, c’est terrible, Septach Melayn ! souffla Keltryn.

— Bah, pas aussi grave que ce que l’on dit, je pense, dit-il avec un gracieux haussement d’épaules. Il y a de bons tailleurs là-bas, et quelques restaurants dignes d’estime. De plus, Prestimion n’a pas l’intention d’être l’un de ces Pontifes reclus qui se cachent tout au fond de cet antre, et ne sortent plus au soleil du reste de leur vie. La cour voyagera beaucoup, m’a-t-il révélé. Je suppose qu’il empruntera plus souvent le Glayge dans un sens ou dans l’autre que la plupart des Pontifes, et qu’il ira plus loin, également. Mais si je suis là-bas avec lui, et vous ici, madame…

— Oui. Je vois.

— Il ne vous viendrait pas à l’esprit, j’imagine, de vous installer vous-même au Labyrinthe ? ajouta-t-il après une courte pause. Dans ce cas, bien entendu, nous pourrions continuer nos études.

Les yeux de Keltryn s’écarquillèrent. Que disait-il ?

— Mes parents m’ont envoyée au Château pour y acquérir une plus vaste éducation, Votre Excellence, répondit-elle, presque dans un murmure. Je ne crois pas qu’ils aient jamais imaginé… que j’irais… que j’irais là-bas…

— Non. Le Château n’est que lumière et gaieté ; et le Labyrinthe, eh bien, est différent. C’est ici l’endroit pour les jeunes seigneurs et dames. Je le sais.

Septach Melayn semblait bizarrement mal à l’aise.

Elle ne l’avait jamais vu autrement que parfaitement calme. Mais là, il était agité ; il tiraillait nerveusement sa petite barbe soignée, ses yeux bleu pâle ne parvenaient pas à croiser les siens.

Il n’était pas possible qu’il ressentît de désir charnel pour elle. Elle le savait. Mais malgré tout, il ne voulait visiblement pas la laisser derrière lui, lorsqu’il suivrait Prestimion dans la capitale souterraine. Il voulait que les leçons continuent. Était-ce parce qu’elle était une élève réagissant si bien ? Ou bien chérissait-il leur amitié inattendue ? Il se sent seul, pensa-t-elle. Il a peur que je ne lui manque. Elle était stupéfaite à l’idée que le Haut Conseiller Septach Melayn puisse avoir ces sentiments à son égard.

Mais elle ne pouvait l’accompagner au Labyrinthe. Ne voulait pas, ne pouvait pas, ne devrait pas. Sa vie se trouvait là au Château, pour le moment, et ensuite, supposait-elle, elle retournerait dans sa famille à Sippermit, et épouserait quelqu’un, puis… eh bien, elle ne pouvait projeter ses pensées plus loin. Mais le Labyrinthe n’avait sa place nulle part dans son avenir, selon son cours normal.