Devant elles, des esclaves noires ou blanches, n’ayant d’autres vêtements que le cercle lombaire, leur tendaient des colliers fleuris tressés de crocus, dont la fleur, blanche en dehors, est jaune en dedans, de carthames couleur de pourpre, d’héliochryses couleur d’or, de trychos à baies rouges, de myosotis aux fleurs qu’on croirait faites avec l’émail bleu des statuettes d’Isis, de népenthès dont l’odeur enivrante fait tout oublier, jusqu’à la patrie lointaine.
A ces esclaves d’autres succédaient qui, sur la paume de leur main droite renversée, portaient des coupes d’argent ou de bronze pleines de vin, et de la gauche tenaient une serviette où les convives s’essuyaient les lèvres.
Ces vins étaient puisés dans des amphores d’argile, de verre ou de métal, qui contenaient d’élégants paniers clissés, posant sur des bases à quatre pieds, faites d’un bois léger et souple, entrelaçant ses courbures d’une manière ingénieuse. Les paniers contenaient sept sortes de vins, de dattier, de palmier et de vigne, du vin blanc, du vin rouge, du vin vert, du vin nouveau, du vin de Phénicie et de Grèce, du vin blanc de Maréotique au bouquet de violette.
Le Pharaon prit aussi la coupe des mains de l’échanson debout près de son trône, et trempa ses lèvres royales au breuvage fortifiant.
Alors résonnèrent les harpes, les lyres, les doubles flûtes, les mandores, accompagnant un chant triomphal qu’accentuaient les choristes rangés en face du trône, un genou en terre et l’autre relevé, en frappant la mesure avec la paume de leurs mains. Le repas commença. Les mets, apportés par des Ethiopiens des immenses cuisines du palais, où mille esclaves s’occupaient dans une atmosphère de flamme des préparations du festin, étaient placés sur des guéridons à quelque distance des convives; les plats de bronze, de bois odorant précieusement sculpté, de terre ou de porcelaine émaillée de couleurs vives, contenaient des quartiers de bœuf, des cuisses d’antilope, des oies troussées, des silures du Nil, des pâtes étirées en longs tuyaux et roulées, des gâteaux de sésame et de miel, des pastèques vertes à pulpe rose, des grenades pleines de rubis, des raisins couleur d’ambre ou d’améthyste. Des guirlandes de papyrus couronnaient ces plats de leur feuillage vert; les coupes étaient également cerclées de fleurs, et au centre des tables, du milieu d’un amoncellement de pains à croûte blonde, estampés de dessins et marqués d’hiéroglyphes, s’élançait un long vase d’où retombait, élargie en ombrelle, une monstrueuse gerbe de persolutas, de myrtes, de grenadiers, de convolvulus, de chrysanthèmes, d’héliotropes, des sériphiums et de périplocas, mariant toutes les couleurs, confondant tous les parfums.
Sous les tables mêmes, autour du socle, étaient rangés des pots de lotus. Des fleurs, des fleurs, des fleurs, encore des fleurs, partout des fleurs! Il y en avait jusque sous les sièges des convives; les femmes en portaient aux bras, au col, sur la tête, en bracelets, en colliers, en couronnes; les lampes brûlaient au milieu d’énormes bouquets; les plats disparaissaient dans les feuillages; les vins pétillaient, entourés de violettes et de roses: c’était une gigantesque débauche de fleurs, une colossale orgie aromale, d’un caractère tout particulier, inconnu chez les autres peuples.
A chaque instant, des esclaves apportaient des jardins, qu’ils dépouillaient sans pouvoir les appauvrir, des brassées de clématites, de lauriers-roses, de grenadiers, de xéranthèmes, de lotus, pour renouveler les fleurs fanées déjà, tandis que des serviteurs jetaient sur les charbons des amschirs, des grains de nard et de cinnamore.
Lorsque les plats et les boîtes sculptées en oiseaux, en poissons, en chimères, qui contenaient les sauces et les condiments, furent emportés ainsi que les spatules d’ivoire, de bronze ou de bois, les couteaux d’airain ou de silex, les convives se lavèrent les mains, et les coupes de vin ou de boisson fermentée continuèrent à circuler.
L’échanson puisait, avec un godet de métal armé d’un long manche, le vin sombre et le vin transparent dans deux grands vases d’or ornés de figures de chevaux et de béliers, que des trépieds maintenaient en équilibre devant le Pharaon.
Des musiciennes parurent, car le chœur des musiciens s’était retiré: une large tunique de gaze couvrait leurs corps sveltes et jeunes, sans plus les voiler que l’eau pure d’un bassin ne dérobe les formes de la baigneuse qui s’y plonge; une guirlande de papyrus nouait leur épaisse chevelure et se prolongeait jusqu’à terre en brindilles flottantes; une fleur de lotus s’épanouissait au sommet de leur tête; de grands anneaux d’or scintillaient à leurs oreilles; un gorgerin d’émaux et de perles cerclait leur col, et des bracelets se heurtaient en bruissant sur leurs poignets.
L’une jouait de la harpe, l’autre de la mandore, la troisième de la double flûte que manœuvraient ses bras bizarrement croisés, le droit sur la flûte gauche, le gauche sur la flûte droite; la quatrième appliquait horizontalement contre sa poitrine une lyre à cinq cordes; la cinquième frappait la peau d’onagre d’un tambour carré. Une petite fille de sept ou huit ans, nue, coiffée de fleurs, sanglée d’une ceinture, frappant ses mains l’une contre l’autre, battait la mesure.
Les danseuses firent leur entrée: elles étaient minces, élancées, souples comme des serpents; leurs grands yeux brillaient entre les lignes noires de leurs paupières, leurs dents de nacre entre les lignes rouges de leurs lèvres; de longues spirales de cheveux leur flagellaient les joues; quelques-unes portaient une ample tunique rayée de blanc et de bleu, nageant autour d’elles comme un brouillard; les autres n’avaient qu’une simple cotte plissée, commençant aux hanches et s’arrêtant aux genoux, qui permettait d’admirer leurs jambes élégantes et fines, leurs cuisses rondes, nerveuses et fortes.
Elles exécutèrent d’abord des poses d’une volupté lente, d’une grâce paresseuse; puis, agitant des rameaux fleuris, choquant des cliquettes de bronze à tête d’Hâthor, heurtant des timbales de leur petit poing fermé, faisant ronfler sous leur pouce la peau tannée des tambourins, elles se livrèrent à des pas plus vifs, à des cambrures plus hardies; elles firent des pirouettes, des jetés battus, et tourbillonnèrent avec un entrain toujours croissant. Mais le Pharaon, soucieux et rêveur, ne daigna leur donner aucun signe d’assentiment; ses yeux fixes ne les avaient même pas regardées.
Elles se retirèrent rougissantes et confuses, pressant de leurs mains leur poitrine haletante.
Des nains aux pieds tors, au corps gibbeux et difforme, dont les grimaces avaient le privilège de dérider la majesté granitique du Pharaon, n’eurent pas plus de succès: leurs contorsions n’arrachèrent pas un sourire à ses lèvres, dont les coins ne voulaient pas se relever.
Au son d’une musique bizarre composée de harpes triangulaires, de sistres, de cliquettes, de cymbales et de clairons, des bouffons égyptiens, coiffés de hautes mitres blanches de forme ridicule, s’avancèrent, deux doigts de la main fermés, les trois autres étendus, répétant leurs gestes grotesques avec une précision automatique et chantant des chansons extravagantes entremêlées de dissonances. Sa Majesté ne sourcilla pas.
Des femmes coiffées d’un petit casque d’où pendaient trois longs cordons terminés en houppe, les chevilles et les poignets cerclés de bandes de cuir noir, vêtues d’un étroit caleçon retenu par une, bretelle unique passant sur l’épaule, exécutèrent des tours de force et de souplesse plus surprenants les uns que les autres, se cambrant, se renversant, ployant comme une branche de saule leurs corps disloqués, touchant le sol de leur nuque sans déplacer leurs talons, supportant, dans cette pose impossible, le poids de leurs compagnes. D’autres jonglèrent avec une boule, deux boules, trois boules, en avant, en arrière, les bras croisés, à cheval ou debout sur les reins d’une des femmes de la troupe; une même, la plus habile, se mit des œillères comme Tmei, déesse de la justice, pour se rendre aveugle, et reçut les globes dans ses mains sans en laisser tomber un seul. Ces merveilles laissèrent le Pharaon insensible. Il ne prit pas plus de goût aux prouesses de deux combattants qui, le bras gauche garni d’un ceste, s’escrimaient avec des bâtons. Des hommes lançant dans un bloc de bois des couteaux dont la pointe se fichait à la place désignée d’une façon miraculeusement précise ne l’amusèrent pas davantage. Il repoussa même l’échiquier que lui présentait en s’offrant pour adversaire la belle Twéa, qu’ordinairement il regardait d’un œil favorable; en vain Amensé, Taïa, Hont-Reché essayèrent quelques caresses timides; il se leva, et se retira dans ses appartements sans avoir prononcé un mot.