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Immobile sur le seuil se tenait le serviteur qui avait, pendant le défilé triomphal, remarqué l’imperceptible geste de Sa Majesté.

Il dit: «O roi aimé des dieux, je me suis détaché du cortège, j’ai traversé le Nil sur une frêle barque de papyrus, et j’ai suivi la cange de la femme sur laquelle ton regard d’épervier a daigné s’abattre: c’est Tahoser, la fille du prêtre Pétamounoph!» Le Pharaon sourit et dit:

«Bien! je te donne un char et ses chevaux, un pectoral en grains de lapis-lazuli et de cornaline, avec un cercle d’or pesant autant que le poids de basalte vert.» Cependant les femmes désolées arrachaient les fleurs de leur coiffure, déchiraient leurs robes de gaze, et sanglotaient étendues sur les dalles polies qui reflétaient comme des miroirs l’image de leurs beaux corps, en disant: «Il faut qu’une de ces maudites captives barbares ait pris le cœur de notre maître!»

V

Sur la rive gauche du Nil s’étendait la villa de Poëri, le jeune homme qui avait tant troublé Tahoser, lorsque, en allant voir la rentrée triomphale du Pharaon, elle était passée dans son char, traîné par des bœufs, sous le balcon où s’appuyait indolemment le beau rêveur.

C’était une exploitation considérable, tenant de la ferme et de la maison de plaisance, et qui occupait, entre les bords du fleuve et les premières croupes de la chaîne libyque, une vaste étendue de terrain que recouvrait, à l’époque de l’inondation, l’eau rougeâtre chargée du limon fécondant, et dont, pendant le reste de l’année, des dérivations habilement pratiquées entretenaient la fraîcheur.

Une enceinte de murs en pierre calcaire tirée des montagnes voisines enfermait le jardin, les greniers, le cellier et la maison; ces murs, légèrement inclinés en talus, étaient surmontés d’un acrotère à pointes de métal capable d’arrêter quiconque eût essayé de les franchir. Trois portes, dont les valves s’accrochaient à de massifs piliers décorés chacun d’une gigantesque fleur de lotus plantée au sommet de son chapiteau, coupaient la muraille sur trois de ses pans; à la place de la quatrième porte s’élevait le pavillon, regardant le jardin par une de ses façades, et la route par l’autre.

Ce pavillon ne ressemblait en aucune manière aux maisons de Thèbes: l’architecte qui l’avait bâti n’avait pas cherché la forte assiette, les grandes lignes monumentales, les riches matériaux des constructions urbaines, mais bien une élégance légère, une simplicité fraîche, une grâce champêtre en harmonie avec la verdure et le repos de la campagne.

Les assises inférieures, que le Nil pouvait atteindre dans ses hautes crues, étaient en grés, et le reste en bois de sycomore. De longues colonnes évidées, d’une extrême sveltesse, pareilles aux hampes qui portent des étendards devant les palais du roi, partaient du sol et filaient d’un seul jet jusqu’à la corniche à palmettes, évasant sous un petit cube leurs chapiteaux en calice de lotus.

L’étage unique élevé au-dessus du rez-de-chaussée n’atteignait pas les moulures bordant le toit en terrasse, et laissait ainsi un étage vide entre son plafond et la couverture horizontale de la villa.

De courtes colonnettes à chapiteaux fleuris, séparées de quatre en quatre par les longues colonnes, formaient une galerie à claire-voie autour de cette espèce d’appartement aérien ouvert à toutes les brises.

Des fenêtres plus larges à la base qu’au sommet de leur ouverture, suivant le style égyptien, et se fermant avec de doubles vantaux, donnaient du jour au premier étage. Le rez-de-chaussée était éclairé par des fenêtres plus étroites et plus rapprochées.

Au-dessus de la porte, décorée de deux moulures d’une forte saillie, se voyait une croix plantée dans un cœur et encadrée par un parallélogramme tronqué à sa partie inférieure pour laisser passer ce signe de favorable augure dont le sens, comme chacun sait, est «la bonne maison».

Toute cette construction était peinte de couleurs tendres et riantes, les lotus des chapiteaux s’échappaient alternativement bleus et roses de leurs capsules vertes; les palmettes des corniches colorées d’un vernis d’or s’inscrivaient sur un fond d’azur; les parois blanches des façades faisaient valoir les encadrements peints des fenêtres, et des filets de rouge et de vert prasin dessinaient des panneaux ou simulaient des joints de pierre.

En dehors du mur d’enceinte, qu’affleurait le pavillon, se dressait une rangée d’arbres taillés en pointe et formant un rideau pour arrêter le vent poudreux du sud, toujours chargé des ardeurs du désert.

Devant le pavillon verdoyait une immense plantation de vignes; des colonnes de pierre aux chapiteaux de lotus, symétriquement distancées, dessinaient dans le vignoble des allées qui se coupaient à angle droit; les ceps jetaient de l’une à l’autre leurs guirlandes de pampres, et formaient une suite d’arceaux en feuillage sous lesquels on pouvait se promener la tête haute. La terre, ratissée avec soin et ramenée en monticule au pied de chaque plant, faisait ressortir par sa couleur brune le vert gai des feuilles, où jouaient des oiseaux et des rayons.

De chaque côté du pavillon, deux bassins oblongs laissaient flotter sur leurs miroirs transparents des fleurs et des oiseaux aquatiques. Aux angles de ces bassins, quatre grands palmiers déployaient comme une ombrelle, à l’extrémité de leur tronc sculpté en écailles, leur verte auréole de feuilles.

Des compartiments, régulièrement tracés par des sentiers étroits, divisaient le jardin autour du vignoble, marquant la place à chaque culture. Dans une sorte d’allée de ceinture qui permettait de faire le tour de l’enclos, les palmiers-doums alternaient avec les sycomores; des cariés étaient plantés de figuiers, de pêchers, d’amandiers, d’oliviers, de grenadiers et autres arbres à fruit; des portions n’avaient reçu que des arbres d’agrément, tamaris, acacias, cassies, myrtes, mimosas, et quelques essences plus rares trouvées au-delà des cataractes du Nil, sous le tropique du Cancer, dans les oasis du désert libyque et sur les bords du golfe Érythrée; car les Égyptiens sont très adonnés à la culture des arbustes et des fleurs, et ils exigent les espèces nouvelles comme tribut des peuples conquis.

Des fleurs de toutes sortes, des variétés de pastèques, des lupins, des oignons garnissaient les plates-bandes; deux autres pièces d’eau d’une dimension plus grande, alimentées par un canal couvert venant du Nil, portaient chacune une petite barque pour faciliter au maître de la maison le plaisir de la pêche: car des poissons de formes diverses et de couleurs brillantes se jouaient dans leur eau limpide à travers les tiges et les larges feuilles de lotus. Des masses de végétation luxuriante entouraient ces pièces d’eau et se renversaient dans leur vert miroir.