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Tahoser n’était décidément pas dans la maison.

Un vieux serviteur d’une prudence consommée eut l’idée d’inspecter le sable des allées et d’y chercher les empreintes de sa jeune maîtresse; les lourds verrous de la porte de ville étaient à leur place et faisaient repousser la supposition que Tahoser fût sortie de ce côté. Il est vrai que Nofré avait parcouru étourdiment tous les sentiers, y marquant la trace de ses sandales; mais, en se penchant vers le sol, le vieux Souhem ne tarda pas à reconnaître, parmi les pas de Nofré, une légère dépression qui dessinait une semelle étroite, mignonne, appartenant à un pied beaucoup plus petit que le pied de la suivante. Il suivit cette trace, qui le mena, en passant sous la tonnelle, du pylône de la cour à la porte d’eau. Les verrous, comme il en fit la remarque à Nofré, avaient été tirés, et les battants ne joignaient que par leur poids; donc la fille de Pétamounoph s’était envolée par là.

Plus loin la trace se perdait. Le quai de briques n’avait gardé aucune empreinte. Le batelier qui avait passé Tahoser n’était pas revenu à sa station. Les autres dormaient, et, interrogés, répondirent qu’ils n’avaient rien vu. Un seul dit qu’une femme, pauvrement vêtue et semblant appartenir à la dernière classe du peuple, s’était rendue de grand matin de l’autre côté du fleuve, au quartier des Memnonia, sans doute pour accomplir quelque rite funèbre.

Ce signalement, qui ne se rapportait en aucune façon à l’élégante Tahoser, dérouta complètement les idées de Nofré et de Souhem.

Ils rentrèrent dans la maison, tristes et désappointés. Les serviteurs et les servantes s’assirent à terre dans des attitudes de désolation, laissant pendre une de leurs mains la paume tournée vers le ciel et mettant l’autre sur leur tête, et tous s’écrièrent comme un chœur plaintif: «Malheur! malheur! malheur! la maîtresse est partie!»

– Par Oms, chien des enfers! je la retrouverai, dit le vieux Souhem, dussé-je pénétrer vivant jusqu’au fond de la région occidentale vers laquelle voyagent les morts. C’était une bonne maîtresse; elle nous donnait la nourriture en abondance, n’exigeait pas de nous des travaux excessifs, et ne nous faisait battre qu’avec justice et modération. Son pied n’était pas lourd à nos nuques inclinées, et chez elle l’esclave pouvait se croire libre.

«Malheur! malheur! malheur! répétèrent hommes et femmes en se jetant de la poussière sur la tête.

– Hélas! chère maîtresse, qui sait où tu es maintenant?

dit la fidèle suivante, laissant couler ses larmes. Peut-être un magicien t’a fait sortir de ton palais par quelque conjuration irrésistible, pour accomplir sur toi un odieux maléfice; il lacérera ton beau corps, en retirera le cœur par une incision, comme un paraschiste, jettera tes restes à la voracité des crocodiles, et ton âme mutilée ne retrouvera au jour de la réunion que des lambeaux informes. Tu n’iras pas rejoindre au fond des syringes, dont le colchyte garde le plan, la momie peinte et dorée de ton père, le grand prêtre Pétamounoph, dans la chambre funèbre creusée pour toi!

– Calme-toi, Nofré, dit le vieux Souhem, ne nous désespérons pas trop d’avance; il se peut que Tahoser rentre bientôt. Elle a cédé sans doute à quelque fantaisie qui nous est inconnue, et tout à l’heure nous allons la voir reparaître gaie et souriante, tenant des fleurs d’eau dans ses mains.» Passant le coin de sa robe sur ses paupières, la suivante fit un signe d’adhésion.

Souhem s’accroupit, ployant ses genoux comme ces images de cynocéphales taillées vaguement dans un bloc carré de basalte, et, serrant ses tempes entre ses paumes sèches, parut réfléchir profondément.

Sa figure, d’un brun rougeâtre, ses orbites enfoncées, ses mâchoires proéminentes, ses joues plissées de grandes rides, ses cheveux roides encadrant son masque comme des poils complétaient sa ressemblance avec les dieux à tête simiesque; ce n’était pas un dieu, certes, mais il avait bien l’air d’un singe.

Le résultat de sa méditation, anxieusement attendu par Nofré, fut celui-ci:

«La fille de Pétamounoph est amoureuse.

– Qui te l’a dit? s’écria Nofré, qui croyait lire seule dans le cœur de sa maîtresse.

– Personne, mais Tahoser est très belle; elle a vu déjà seize fois la crue et la retraite du Nil. Seize est le nombre emblématique de la volupté, et depuis quelque temps elle appelait à des heures étranges ses joueuses de harpe, de mandore et de flûte, comme quelqu’un qui veut calmer le trouble de son cœur par de la musique.

– Tu parles très bien, et la sagesse habite ta vieille tête chauve; mais comment as-tu appris à connaître les femmes, toi qui ne fais que piocher la terre du jardin et porter des vases d’eau sur ton épaule?» L’esclave élargit ses lèvres dans un sourire silencieux et montra deux rangées de longues dents blanches capables de broyer des noyaux de dattes; cette grimace voulait dire:

«Je n’ai pas toujours été vieux et captif.» Illuminée par la suggestion de Souhem, Nofré pensa tout de suite au bel Ahmosis, l’oëris de Pharaon, qui passait si souvent au bas de la terrasse et qui avait si bonne grâce sur son char de guerre au défilé triomphal; comme elle l’aimait elle-même, sans bien s’en rendre compte, elle prêtait ses sentiments à sa maîtresse. Elle revêtit une robe moins légère et se rendit à la demeure de l’officier: c’était là, imaginait-elle, que devait immanquablement se trouver Tahoser.

Le jeune oëris était assis au fond de sa chambre sur un siège bas. Aux murs se groupaient en trophées différentes armes: la tunique de cuir écaillée de plaquettes de bronze où se lisait gravé le cartouche du Pharaon, le poignard d’airain à manche de jade évidé pour laisser passer les doigts, la hache de bataille à tranchant de silex, le harpe à lame courbe, le casque à double plume d’autruche, l’arc triangulaire et les flèches empennées de rouge; sur des socles étaient posés les gorgerins d’honneur, et quelques coffres ouverts montraient le butin pris à l’ennemi.

Quand il vit Nofré, qu’il connaissait bien et qui se tenait debout sur le seuil, Ahmosis éprouva un vif mouvement de plaisir; ses joues brunes se colorèrent, ses muscles tressaillirent, son cœur palpita. Il crut que Nofré lui apportait quelque message de la part de Tahoser, bien que la fille du prêtre n’eût jamais répondu à ses œillades. Mais l’homme à qui les dieux ont fait le don de la beauté s’imagine aisément que toutes les femmes se prennent d’amour pour lui.

Il se leva et fit quelques pas vers Nofré, dont le regard inquiet scrutait les recoins de la chambre pour s’assurer de la présence ou de l’absence de Tahoser.

«Qui t’amène ici, Nofré? dit Ahmosis, voyant que la jeune suivante, préoccupée de sa recherche, ne rompait pas le silence. Ta maîtresse va bien, je l’espère, car il me semble l’avoir vue hier à l’entrée du Pharaon.